Marion Cuerq rêve d'une société où certains mots n'auraient plus aucune signification. Un endroit où les enfants de six ans ne sauraient pas ce qu'est une fessée. Un pays où on bannirait « l'autorité abusive ».
A dix-neuf ans, la jeune femme quitte la France pour aller découvrir ce pays qui la fait rêver, tout au nord de l'Europe.
En Suède les violences éducatives sont interdites depuis 1979.
Sept ans après, elle rentre armée d'un film et d'une envie : montrer que c'est possible. Même qu'on naît imbattables donne la parole à celles et ceux qui « sont né-es avec le droit fondamental de ne pas être frappé-e-s » parce que dit-elle « il faut toujours rester du côté de l'enfant » !
En juillet dernier la France s'est dotée d'une loi d'interdiction des violences éducatives ordinaires, devenant ainsi le cinquante-sixième pays dans le monde à légiférer sur les fessées et autres humiliations punitives des parents sur leurs enfants.
En Suède, le débat remonte déjà à plus de quarante ans. En 1979, le pays fut le premier au monde à s'emparer du sujet. « J'ai toujours été intéressée, passionnée, habitée par la cause des enfants. Je savais que la Suède était un pays très en avance, très visionnaire sur ces questions-là ; à dix-neuf ans, j'ai décidé d'aller voir sur place » résume aujourd'hui Marion Cuerq.
« La loi, c'est la fondation.
Et sans fondation, on ne peut rien construire »
Et c'est pour elle, malgré ce qu'elle sait en arrivant, un « sacré chamboulement ! » « Le savoir et le vivre quotidiennement, c'est quand même pas pareil ! » dit celle qui n'a plus qu'une envie : comprendre ce que ça change dans une société. « Je voulais – dit-elle – savoir ce que ça produisait comme adultes ».
La jeune femme s'installe donc en Suède, apprend la langue, découvre la culture d'une « société construite autour de l'enfance ». Et puis, un jour, elle se lance. « Ça m'est tombé dessus – s'amuse-t-elle – je ne pouvais pas vivre ça et le garder pour moi toute seule ». Elle achète une caméra et recueille les témoignages de ce qu'elle appelle « la génération imbattable », pas « comme une comparaison, mais plutôt comme un voyage ». Un voyage qui devient un film, diffusé en France depuis mars 2018 et qu'elle accompagne aujourd'hui pour susciter le débat et faire avancer la société.
Entre temps, la France a voté sa loi. Mais ce n'est qu'un début. « La loi, c'est la fondation – dit-elle – et sans fondation, on ne peut rien construire. Nos sociétés sont fondées sur des lois. » Mais maintenant, il reste à faire avancer les mentalités en corrélation avec cette loi. Or, reconnaît la jeune femme, si « on a tous envie d'une société plus douce, plus à l'écoute, moins carrée » on est tou-te-s aussi le résultat d'une éducation.
« Dans les pays nordiques,
les sociétés sont fondées sur l'attachement »
« En France – dit-elle encore – on a l'idée très ancrée qu'un enfant est un petit être qui ne nous veut pas que du bien et qu'il ne faut pas se laisser faire, que s'il n'est pas suffisamment cadré, il va prendre le pouvoir ! Alors qu'en Suède, et dans les pays nordiques en général, les sociétés sont fondées sur l'attachement. Le développement de l'être humain est le même, c'est la vision sur ce développement qui n'est pas la même. »
Rentrée en France, en effet, Marion Cuerq est replongée dans ce qu'elle nomme « un paradoxe ». « Les gens en ont marre – s'étonne-t-elle – de l'autorité abusive, de la hiérarchie, de la verticalité, mais avec les enfants c'est ce qu'ils veulent ; ils ne se rendent pas compte que ce qu'ils demandent à abroger au niveau social, ils le prônent dans l'éducation des futur-es citoyen-nes. »
Pourtant, la jeune femme reste optimiste. Et veut garder en tête, malgré ce qu'elle « voit et entend » dans les rues « que la grande majorité des parents veulent bien faire mais qu'ils font avec ce qu'ils ont », qu'ils sont « responsables mais pas pleinement coupables ». Le problème pour elle est social.
« Ce n'est pas dans notre nature de traiter nos enfants comme ça, c'est social et non pas inné – dit-elle encore – Il ne faut pas culpabiliser les parents mais toujours rester du côté de l'enfant. On ne le met pas au coin, on ne l'enferme pas dans sa chambre, on ne se moque pas de lui, on ne lui fait pas peur. »
« Il y a plein de pays qui ont fait ce chemin
et nous pouvons nous en inspirer »
Quand on a posé cette idée il y a quarante ans en Suède, « ça n'a pas plu non plus à tout le monde » rappelle-t-elle. Les parents se sont posé des questions légitimes : on fait comment si on ne peut plus faire comme on a été nous-mêmes éduqués ? Aujourd'hui, plus de 95% des parents suédois sont totalement opposés aux violences éducatives ordinaires.
En France, les choses avancent lentement. Outre la loi, de plus en plus de jeunes parents défendent désormais ce qu'on appelle une éducation bienveillante et empathique. Il leur arrive de se sentir seuls. Ils manquent de modèles et c'est justement ce que Marion Cuerq veut leur apporter.
« Enlevons-nous de la tête que c'est nouveau et qu'on ne sait pas trop comment faire – leur dit-elle - Il y a plein de pays qui ont déjà fait ce chemin-là et nous pouvons nous en inspirer ; vous n'êtes pas en train de faire n'importe quoi ! »
Geneviève ROY
Pour aller plus loin : Même qu'on naît imbattables film documentaire de Marion Cuerq et Elsa Moley (2017) sera diffusé à Rennes 2 (Tambour) le 30 avril prochain
Photo n°2 : Marion Cuerq pendant un tournage en Suède en 2016