Mère de trois enfants, Morgane Colas a décidé, suite à son troisième accouchement, de devenir doula. Les femmes qui font appel à elle pour un accompagnement durant leur grossesse ont généralement, comme elle, connu des histoires de naissance difficiles, ne se sont pas senties écoutées par le personnel médical. La doula, chaînon manquant dans la relation entre patientes et soignant.e.s, permet de reprendre le pouvoir. Morgane Colas se bat pour une reconnaissance de ce métier qui la rend heureuse. Pour elle, une réglementation est nécessaire.
Qu'est-ce qui vous a conduite à devenir doula ?
Morgane Colas - J'ai eu trois enfants. Mon premier accouchement a été assez difficile, assez long ; je pense qu'on peut dire traumatique. J'ai commencé à lire beaucoup de choses sur ce sujet, à écouter les autres femmes en parler. Puis j'ai eu un deuxième enfant. C'était mieux mais j'ai senti qu'une fois encore je n'avais aucune prise sur ce qui m'arrivait. Alors quand je suis retombée enceinte pour la troisième fois, je me suis dit : « cette fois-ci, je n'écouterai que moi et c'est moi qui vais décider de bout en bout de ce que je vais faire ! » J'ai accouché chez moi, on m'a foutu la paix et ça a été l'expérience la plus incroyable de ma vie. A ce moment-là, j'ai compris qu'il manquait un élément important dans le parcours des femmes et que je voulais être cet élément-là ! J'ai découvert le métier de doula et c'est ce que je suis depuis plus de quatre ans.
S'agit-il d'un nouveau métier ou d'une résurgence de quelque chose qui existait entre femme autrefois ?
On pense que le mot « doula » vient de l'Antiquité donc ça date un peu ! La grossesse et la naissance ont toujours été des affaires de femmes, qui se vivaient entre femmes, durant lesquelles les femmes se soutenaient, s'écoutaient, étaient présentes les unes pour les autres. La fin de cette période coïncide avec le moment où sont apparus les premiers médecins accoucheurs. La naissance s'est déplacée de la maison vers l'hôpital et les principaux acteurs dans les hôpitaux étaient des hommes. C'est par les Etats-Unis que les doulas sont revenues en France mais elles manquent cruellement de reconnaissance dans un système médical qui reste très puissant.
Où vous placez-vous dans ce système ?
La doula ne relève pas du tout du milieu médical. C'est un maillon dans la chaîne entre les parents et les professions de santé.Il s'agit d'un métier d'aide. La doula est une femme qui écoute, qui chouchoute, qui par l'attention qu'elle porte à la femme et à ce qu'elle est en train de vivre lui donne le droit d'exister pleinement.
Je n'apporte pas de conseils aux femmes parce que chacune a son histoire, ses limites, ses croyances, etc. et que moi, je n'ai pas d'avis et je ne porte pas de jugement. J'apporte des informations et surtout un accompagnement autour de l'accueil émotionnel. Une naissance, on a beau la préparer, l'imaginer, on ne sait jamais vraiment ce qui va se passer.
Quand j'accompagne une femme, je suis entièrement dédiée à elle, à son bien-être, à faire que rien ne soit vécu comme un échec. Ce qui m'intéresse, c'est comment elle va et comment elle voit son bébé. Je m'adapte en permanence et je trouve ça extrêmement vivifiant.
Dans certains cas, je peux être présente lors de l'accouchement (en l'absence de papa par exemple), m'occuper des courses ou gérer les rendez-vous à la maternité. Après la naissance, j'accompagne aussi les mamans à chouchouter leur bébé, à trouver des connexions positives avec leur bébé. Je peux leur apporter le bien-être qui leur permettra de trouver l'espace et l'élan pour l'apporter elles-mêmes à leur bébé. Il y a parfois des relations compliquées qu'il faut réparer et je peux orienter vers des psychologues. Je suis là où on a besoin de moi finalement !
Le moment d'une naissance, ce n'est pas toujours un chemin semé de roses en fait ?
Bien sûr que non ! Aujourd'hui, en France, une femme se suicide toutes les trois semaines durant la première année de vie de son bébé. Ça montre assez que quelque chose ne se passe pas très bien. Pour moi, une partie de la réponse se trouve dans le fait que les femmes n'ont pas suffisamment la main sur ce qui se passe à ce moment-là. Quand on a l'impression de subir, d'être spectatrice de ce qui est en train de se passer sur son propre corps, on inscrit une forme de mémoire traumatique en lien avec ce moment. On se souvient toute sa vie des gestes, des mots qui ont été posés ce jour-là. Je rencontre souvent des femmes, parfois âgées, qui parlent encore de leur accouchement comme d'un traumatisme.
Le milieu médical reste en France assez réticent vis-à-vis de ce métier ; comprenez-vous pourquoi ?
Je souhaiterais que ce métier soit reconnu et davantage valorisé. Je ne peux pas dire que je ne comprends pas la position des personnels de santé. Ils travaillent dans un domaine ultra réglementé, avec des années d'études, un Ordre qui leur dit ce qu'il faut faire et ne pas faire, etc. Et nous, on n'a aucune réglementation, pas d'obligation de formation et des dérives existent, bien sûr. La Miviludes s'est aussi positionnée en dénonçant des risques de dérives sectaires. Je suis d'accord avec ça ; les femmes sont dans une situation de vulnérabilité, enceinte ou en post-partum, et certaines doulas peuvent en profiter. Et tant que notre métier ne sera pas réglementé, le risque existera.
Je suis par ailleurs formatrice et notamment je forme des doulas. Je pense que si on veut être respectées et pouvoir continuer notre travail correctement, il faut parler le même langage que les professionnel.le.s de santé, savoir ce que dit la science.
Or, aujourd'hui, que se soit les recommandations de la Haute Autorité de Santé, celles de l'OMS ou les recherches en matière de bien-être maternel, les avis se rejoignent : c'est bénéfique pour les femmes de les laisser gérer elles-mêmes. Tout le monde est d'accord là-dessus mais les habitudes et les questions de pouvoir font que c'est difficile de changer.
Je rencontre régulièrement des personnels de santé pour des formations notamment au portage. C'est l'occasion pour moi de leur montrer qu'on va dans le même sens et maintenant, des sages-femmes font appel à moi quand elles sont enceintes.
Qu'est-ce qui vous rend heureuse dans ce métier aujourd'hui ?
Quand les femmes me disent avec fierté : « je l'ai fait ! » C'est généralement la première chose qu'elles disent après la naissance du bébé. Peu importe ce qui s'est passé, ce sentiment est tellement puissant pour elles qu'il va les suivre toute leur vie. C'est comme une reprise de pouvoir et moi, c'est pour ça que je fais ce métier !
Propos recueillis par Geneviève ROY – Rencontre Femmes en Chemin du 16 mai 2024