« A chaque fois qu'on se retrouvait en soirée, tout tournait autour de ça ». Lorsque Melissa, Ablavi et Mustapha évoquent la création de l'association Educustawi, il et elles parlent d'abord de leur vie. Tous trois sont alors AESH dans des écoles élémentaires du quartier de Villejean à Rennes.
« En côtoyant les enfants, on se rapproche de leurs familles » notent-ils. Chaque jour, les trois professionnel.le.s font le constat que des enfants de leur quartier vont mal et que derrière il y a des familles entières et le plus souvent des mamans qui ont besoin d'un accompagnement spécifique.
Un soir ils prennent un papier, un crayon, et dessinent les contours de leur projet en quelques mots : l'éducation des enfants, le bien-être des familles...
« J'ai toujours eu envie de faire quelque chose pour venir en aide aux femmes dans la parentalité » explique Ablavi aujourd'hui devenue médiatrice sociale. Pour elle, co-fonder l'association Educustawi était une évidence.
Elle se souvient de ce soir avec quelques ami.es où les mêmes questions sont revenues dans la conversation : pourquoi voit-on régulièrement des enfants de notre quartier seuls dans l'espace public le soir après 20 heures ? Que faire pour ceux et celles qu'on côtoie à l'école et qui laissent deviner les difficultés familiales ? Comment mieux les accompagner et accompagner aussi leurs parents souvent isolés au cœur du quartier, souvent aussi mal à l'aise pour communiquer avec les enseignant.es, faire une démarche administrative, rédiger un courrier ?
Etablir un lien de confiance avec les familles
A toutes ces questions, Ablavi, Melissa, Mustapha et les autres ont trouvé la réponse : une association dont les deux projets phares seront l'accompagnement à la scolarité des enfants et le bien-être des familles. Educ pour éducation et ustawi pour bien-être (en swahili) !
Désormais les bénévoles d'Educustawi sont au nombre de quinze. Les journées bien-être proposées à Villejean rencontrent un succès impressionnant ; une centaine de personnes sont présentes à chaque édition quatre fois par an. Et il a fallu diversifier les ateliers pour permettre aux mamans de vraiment se détendre. Comme elles venaient avec enfants et maris, l'association a contourné le problème pour proposer un accueil en ludothèque pour les enfants et des activités spécifiques pour les papas. Et c'est finalement l'épanouissement de toute la famille qui est pris en compte.
Toutefois le sujet qui continue à préoccuper les bénévoles d'Educustawi reste de permettre aux femmes de trouver des lieux d'écoute et d'échange. Les ateliers de massage ou de sophrologie, individuels, sont l'occasion d'entrer en contact avec elles, d'établir un lien de confiance pour ensuite proposer des rencontres plus personnelles.
Les bénévoles qui pensaient les rassurer dans des démarches administratives découvrent qu'elles ont aussi besoin de parler des violences qu'elles subissent.
Ne plus se taire face aux violences subies par les femmes
Aujourd'hui, la petite équipe se réjouit et se félicite des avancées accomplies ensemble. Mustapha, devenu agent territorial d'animation dans une des écoles du quartier, garde un œil sur les familles. Pour lui, la « médiation est nécessaire » lorsque la « barrière de la langue » empêche les relations d'exister. « Il y a aussi cette fierté – précise-t-il – on ne se confie pas facilement et c'est difficile de demander de l'aide ».
Pour Ablavi également les origines étrangères des bénévoles sont un atout. Elle-même vient du Togo tandis que Mustapha et Melissa sont Ivoiriens. Les familles, et notamment les femmes auxquelles Educustawi s'adresse sont majoritairement étrangères, parfois récemment arrivées à Rennes, parfois depuis plus longtemps mais plutôt centrées sur leur communauté avec très peu de liens extérieurs. Quand il faut entamer une démarche la complexité des rapports sociaux décourage souvent. « On est devant un écran et déjà avant de répondre à leurs demandes, on leur pose mille questions pour savoir où elles habitent, combien elles ont d'enfants, etc. C'est comme une enquête et elles ne se sentent pas du tout en confiance » assure Ablavi avant d'ajouter : « alors que nous, on est là pour les aider, on les aide et ça s'arrête là ! » C'est donc une sorte d'intermédiaire que propose Educustawi entre l'administration ou l'école et ces familles.
Mais depuis quelque temps, Ablavi et les autres ont décidé d'aller plus loin. « La violence -dit-elle – on en parle beaucoup mais on ne sait pas trop comment ça se passe ; c'est sur ça qu'on veut maintenant travailler ».
Un cas de féminicide qui a endeuillé le quartier au printemps dernier a été une sorte « de goutte d'eau qui a fait déborder le vase ». Les bénévoles de l'association se disent alors que ça suffit. « Elles étaient trois femmes dans le même bâtiment à subir la violence pourtant rien n'était fait – déplorent-ils – on ne pouvait plus se taire ! » C'est ce qui les a conduit à organiser début décembre une première journée de réflexion sur les violences conjugales et intrafamiliales et à mettre en place désormais des actions pour mieux accompagner les victimes.
Sur les murs du local périscolaire où travaille Mustapha, les dessins d'enfants offrent le décor idéal à une photo de groupe. Pour ne pas oublier que tout est parti de là et qu'au cœur des espoirs d'Educustawi il y a cette phrase prononcée en conclusion de la journée du 3 décembre : « si on s'occupe des enfants, on sauve une génération ».
Geneviève ROY