Joséphine Pencalet est morte le 13 juillet 1972 à l'âge de 86 ans. En la croisant dans les rues de Douarnenez, qui aurait pu imaginer que cette ancienne Penn Sardin discrète était en réalité un personnage historique.
Historique dans le sens où elle a marqué l'Histoire des femmes non seulement en Bretagne mais aussi en France, devenant en 1925 l'une des premières femmes élues alors que les Françaises n'avaient pas encore le droit de voter.
C'est sans doute lors de la grève des sardinières dont la Bretagne s'apprête à fêter le centenaire que la jeune femme s'était forgé une conscience politique. Son parcours, l'historienne Fanny Bugnon le retrace dans son dernier livre « L'Election interdite ».
Au soir du 3 mai 1925, jour d'élections municipales, elles sont dix à rejoindre les rangs des élu.e.s en France. Dix femmes, présentées sur les listes du Parti Communiste, qui pourtant ce jour-là n'ont pas eu le droit de voter elles-mêmes.
C'est un paradoxe, en effet, que permet la loi française qui n'interdit pas explicitement aux femmes de se présenter aux élections. Une faille dans laquelle s'engouffre le PC désireux de faire avancer la cause des femmes et son image progressiste. La consigne est donnée à tous les militants : des femmes doivent être présentes sur les listes partout où le Parti peut gagner. Une consigne « diversement appliquée » constate Fanny Bugnon. Mais appliquée en tout cas à Douarnenez, fief historique du PC où une grève de sardinières, très largement soutenue par la municipalité communiste, vient quelques mois plus tôt de mobiliser de nombreuses femmes.
Parmi celles-ci, sans doute, Joséphine Pencalet. L'historienne reconnaît n'avoir trouvé « aucune trace de sa participation » au mouvement qui dura du 21 novembre 1924 au 8 janvier 1925. Mais il est vrai que si les femmes étaient très majoritaires dans cette grève qui revendiquait une revalorisation de leurs salaires, peu de noms sont parvenus jusqu'à nous, sauf ceux des rares femmes du comité de grève. Joséphine est une anonyme parmi les autres mais elle est active puisqu'on la retrouve trésorière d'un syndicat local de l'industrie de l'alimentation dès février 1925.
« On met en avant la sardinière
et c'est le triomphe de la classe ouvrière »
Les femmes, payées 80 centimes par heure travaillée, demandent 1 franc 25. Elles obtiendront 1 franc à l'issue de cette grève considérée donc comme victorieuse. Une victoire sur laquelle le Parti Communiste entend prospérer à l'occasion des élections municipales qui arrivent au printemps suivant.
Pourquoi et comment la jeune femme se retrouve en quatrième position sur la liste du maire sortant Daniel Le Flanchec ? Difficile de le savoir précisément. La raison la plus vraisemblable est qu'elle fut la seule à accepter d'y figurer. Une jeune fille, plus engagée sans doute, avait bien été sollicitée mais elle était mineure et ses parents s'étaient opposés.
Dans ses mémoires, Charles Tillon, lui-même acteur de la grève puis des élections à Douarnenez se souvient de cette « veuve avenante [qui] se dévoua, elle [qui] avait souvent tenu le drapeau rouge pendant la grève ». Ce n'était sans doute pas la première à laquelle on avait pensé, mais elle n'avait pas de mari pour l'empêcher d'y aller !
Joséphine Pencalet est donc déclarée élue et « tout de suite – raconte Fanny Bugnon – elle fait la Une du journal l'Humanité. On met en avant la sardinière et c'est le triomphe de la classe ouvrière que revendique le Parti Communiste, premier parti de France à faire élire des femmes ! »
« Elle revendiquait de ne jamais voter
et incitait même ses proches
à en faire autant »
Bien sûr, on s'y attendait, l'élection sera rapidement invalidée. Mais jusqu'à l'automne, le nom de Joséphine Pencalet apparaît sur les registres, elle siège aux réunions du conseil municipal et signe les délibérations. Fin 1925, elle disparaît. Fanny Bugnon s'étonne qu'aucun commentaire n'accompagne cette disparition. L'annulation de l'élection de la jeune femme est officialisée par la Préfecture sans qu'aucune protestation ne soit semble-t-il émise. « Elle figure parmi les excusés des séances de novembre et décembre, ensuite son nom est simplement rayé sans que la raison soit explicitée » écrit l'historienne.
Une expérience de courte durée qui marquera durablement Joséphine Pencalet. Son engagement politique s'arrête net et sa vie de citoyenne aussi. Elle aura trente ans, rappelle encore Fanny Bugnon, pour exercer son droit de vote entre la loi de 1944 qui accorde ce droit aux Françaises et son décès en 1972. Or, si son nom apparaît bien sur les registres municipaux, jamais elle n'y apposera sa signature. Selon ses descendant.e.s rencontré.e.s par l'historienne, « elle revendiquait de ne jamais voter et incitait même ses proches à en faire autant ».
La façon dont elle avait été « utilisée » pour embellir l'image des hommes politiques de sa jeunesse l'avait sans doute dégoûtée. Pourtant, elle avait gardé ses idées et continua jusqu'à sa mort à se dire « communiste de cœur », affichant même un intérêt prononcé pour la personne de Nikita Khrouchtchev. La petite histoire familiale raconte qu'elle fit, seule et en secret, le voyage jusqu'à Paris en 1960 pour l'apercevoir lorsqu'il fut reçu par le général de Gaulle !
« C'est elle qui fut la plus mise en avant
au moment de son élection
et même après »
Cette année 1925, elles furent donc dix à sortir gagnantes des urnes. Seule Joséphine Pencalet semble avoir joui d'une renommée plus large que les frontières de sa commune d'élection. Aujourd'hui, elle reste une figure de l'Histoire bretonne, avec des rues, des écoles, des salles communales qui portent son nom à Douarnenez bien sûr, mais aussi à Rennes, Nantes et dans nombre de petites communes de la région. « C'est elle – explique Fanny Bugnon – qui fut la plus mise en avant au moment de son élection et même après » ; elle bénéficie d'une volonté largement partagée en Bretagne de vouloir préserver la mémoire sociale, politique et ouvrière.
Lorsque Fanny Bugnon a commencé à s'intéresser à Joséphine Pencalet, elle s'est vite rendu compte qu'elle avait acquis une dimension de légende, presque de mythe, assez éloignée finalement de la réalité de sa vie. « Un nom – écrit-elle – devenu symbole à la fois de l'histoire sociale et de l'histoire des femmes ».
Comme la grève qui réveilla sans doute sa conscience politique est devenue un symbole pour les militantes d'aujourd'hui. Le chant écrit pour les 80 ans de la mobilisation des Penn Sardin retentit fréquemment dans les cortèges féministes bretons. Pourtant, il ne s'agissait pas alors d'une grève féministe, rappelle Fanny Bugnon, mais d'une grève féminine. Même si cet épisode de l'histoire ouvrière bretonne a certainement façonné une certaine conscience de classe et joué un rôle important dans la syndicalisation des femmes. « C'est une séquence intense de politisation – dit encore l'historienne – dont il est resté quelque chose du point de vue de l'identité des femmes. On ne peut pas considérer que c'est une grève féministe ; elle ne comporte aucune revendication d'égalité, mais elle peut inspirer les féministes d'aujourd'hui ! »
Geneviève ROY
Pour aller plus loin : L'Election interdite, itinéraire de Joséphine Pencalet, ouvrière bretonne (1886-1972) de Fanny Bugnon, préface de Michelle Perrot - éditions Le Seuil