La deuxième femme de la Commune de Paris était Bretonne. Plus de 150 ans plus tard, on se souvient de Louise Michel, passée à la postérité ; beaucoup moins de Nathalie Lemel, née à Brest en 1826.
Pourtant, Michelle Brieuc la décrit dans le livre qu'elle lui consacre comme une « figure mythique du socialisme révolutionnaire [qui] a marqué l'histoire de la France » durant les 72 jours que dura cet épisode.
Bretonne elle-même, l'autrice-conférencière veut aujourd'hui permettre à Nathalie Lemel de « retrouver une petite place là où elle a travaillé ses idées » et où est née sa colère contre une société inégalitaire.
Actrice principale d'une période de l'Histoire où pour la première fois les femmes ont joué un rôle considérable, elle connaîtra la prison et même le bagne mais gardera intacte « ses convictions et sa rébellion ».
« La Bretagne est le cocon de Nathalie Lemel, c'est là qu'elle va puiser sa force ; c'est une femme faite de granit, on a l'impression que la mer d'Iroise a irrigué son flux sanguin ». Lorsque Michelle Brieuc raconte son héroïne, on entend la conférencière. Le débit est énergique, les mots précis et les détails sont choisis pour donner vie au personnage.
Bretonne elle-même, l'autrice-conférencière s'est retirée du côté de Saint-Brieuc, sa ville de naissance, voilà une douzaine d'années, à la fin d'une carrière en communication et relations internationales qui l'avait baladée loin de ses terres natales, de Bordeaux à Bayonne ou Nantes, de Turquie en Angleterre.
« Le dégoût des inégalités sociales
s'ancre en elle
et devient son combat »
Revenue « à la case départ » Michelle Brieuc a déjà publié une dizaine d'ouvrages (romans, essais, nouvelles) et signe aujourd'hui une biographie de Nathalie Lemel. L'histoire et le terroir est sa source d'inspiration y compris dans ses romans et les femmes lui ont apporté quelques beaux personnages. Son rêve désormais serait de se pencher sur le parcours d'une « femme magnifique » un peu oubliée bien qu'entrée au Panthéon dernièrement, Geneviève de Gaulle qui l'accompagne déjà lors de conférences dans des musées de la Résistance.
Son intérêt pour les femmes, dit-elle, est « arrivé un peu par hasard ». Bien que femme, Michelle Brieuc dit n'avoir jamais souffert de cette condition tout en reconnaissant que dans le milieu professionnel, il lui a fallu s'imposer. « J'avais envie de travailler beaucoup plus à l'étranger – dit-elle – mais c'était plus les hommes qu'on y envoyait ».
Dans son récit sur le parcours de Nathalie Lemel, Michelle Brieuc insiste sur la place des femmes dans cet épisode de l'histoire de Paris que fut la Commune de mars à mai 1871. Si elles ne peuvent alors ni voter ni être élues, elles n'hésitent pas à investir les barricades, armes à la main. Nathalie Lemel sera à leur tête.
La Bretonne, ouvrière relieuse s'installe à Paris après avoir travaillé à Brest d'abord puis à Quimper où elle avait une librairie rue Kéréon. Elle est depuis son plus jeune âge tenaillée par l'envie de défendre les populations exploitées de la société française d'alors ; « le dégoût des inégalités sociales s'ancre en elle et devient son combat » écrit Michelle Brieuc.
« Elle bouscule les codes
du syndicalisme au masculin »
Dans le café que tenait sa mère à Brest, elle a entendu les revendications des hommes qui venaient boire en sortant du travail et pris conscience des difficultés quotidiennes de ces gens. Elle qui a eu la chance, peu commune alors pour une fille, d'être scolarisée jusqu'à douze ans est restée curieuse. « Elle a – écrit Michelle Brieuc – l'intelligence de ceux qui veulent apprendre ».
Dans ses lectures en Bretagne puis grâce aux milieux militants ouvriers qu'elle fréquente à Paris, elle se forge une conviction : les femmes doivent être les égales des hommes. Sur les barricades de la Commune où elle prend la tête d'une véritable armée de femmes, elle défend son programme : droit au travail pour toutes, égalité des salaires entre les femmes et les hommes, reconnaissance de l'union libre, droit au divorce. Après plus de vingt ans de mariage et la naissance de trois enfants elle s'est elle-même séparée de son époux alcoolique qui avait mené leur commerce à la faillite.
« Elle bouscule – écrit Michelle Brieuc – les codes du syndicalisme au masculin ». Pas facile de se faire entendre dans ce monde ouvrier formé aux théories du misogyne Proudhon pour qui la place des femmes est au foyer voire sur le trottoir. Pourtant, dans l'ombre du militant, féministe avant l'heure, Eugène Varlin, Nathalie Lemel devient une figure incontournable du Paris ouvrier des années 1870, notamment dans les clubs des femmes qu'elle anime.
« Elle a dessiné
les prémices
d'un avenir égalitaire »
Nathalie Lemel « incarne l'Histoire au féminin » écrit Michelle Brieuc qui estime qu'elle a « dessiné les prémices d'un avenir égalitaire » en incitant les femmes à s'exprimer. « J'ai été épatée de voir cette femme qui mesurait à peine 1,50 m mais qui était mue par une force complètement incroyable – dit-elle encore - et j'ai une réelle admiration pour ce type de femmes ». Déportée en Nouvelle-Calédonie en 1873 avec nombre de Communard.es dont Louise Michel, Nathalie Lemel revient en France six ans plus tard, bénéficiant de l'amnistie qui met fin à cet exil politique.
Et jusqu'à sa mort, en 1921, elle gardera intactes son indignation et sa volonté de changer le monde pour plus de justice et d'égalité. « Elle n'est jamais revenue en Bretagne, il ne reste pas grand chose d'elle ni à Brest ni à Quimper ; d'ailleurs la Commune reste un sujet encore un peu tabou » pointe également Michelle Brieuc.
Si Nathalie Lemel, que certaines villes françaises, notamment en Bretagne, commencent à remettre en lumière à travers des noms de rues, a aujourd'hui encore un message à transmettre, il est pour Michelle Brieuc celui de la persévérance.
« Nathalie Lemel n'avait pas d'ambitions personnelles – dit l'autrice-conférencière – elle avait simplement une envie que les choses changent pour les femmes. On voit bien aujourd'hui que tout n'est pas encore gagné à 100%, qu'il faut prouver à chaque fois qu'on est capables. Je crois que son message pourrait être : persévérez, ne lâchez jamais prise. Montrer qu'on a du talent, qu'on peut apporter quelque chose, c'est notre force ! Ça valait la peine, en tant que Bretonne, que je salue à travers ce livre le parcours de cette femme ! »
Geneviève ROY
Pour aller plus loin
Lire le livre de Michelle Brieuc aux éditions Transmettre : Nathalie Lemel, une Bretonne sur les barricades de la Commune
Lire aussi notre article sur Nathalie Lemel publié en septembre 2017