Posée sur le bord de sa Ford Mondeo, capot ouvert, Sarah s'adresse à une vingtaine de personnes assises en demi-cercle face à elle.
A l'ombre des arbres de la Basse Cour, elles tentent, ensemble, de répondre à la question « si un voyant rouge s'allume sur le tableau de bord, qu'est-ce qu'on fait ? »
En ce jour de début août, l'association les Déculassé.e.s s'est arrêtée le temps d'une matinée à Rennes, en pleine tournée estivale dans l'Ouest de la France. Son objectif : la réappropriation, entre femmes et personnes de minorités de genre, des savoir-faire techniques pour plus d'autonomie sur l'entretien de son véhicule.
L'histoire commence en 2021 du côté de Montpellier lorsqu'un petit groupe de femmes crée l'association Les Déculassé.e.s. Elle se poursuit par des ateliers proposés à Montpellier et dans les environs puis avec des déplacements de plus en plus nombreux et de plus en plus loin. Grenoble, Lyon, l'Ariège, et cet été le grand Ouest. Après Angers et Nantes, les montpelliéraines partagent leurs savoirs en Bretagne. Elles étaient à Rennes, le 1er août, après une halte à Bovel puis rejoignaient ensuite Douarnenez et Pifilic dans le Finistère et Questembert dans le Morbihan.
Chaque lieu est choisi en fonction des demandes reçues et grâce à une coordination assurée sur place par des bénévoles locales. Il faut trouver un lieu d'accueil, faire la promotion dans les réseaux alternatifs et autres, gérer les inscriptions.
« Comme des sorcières avec du cambouis partout »
Chaque rencontre est unique. Accueillies la veille dans le pré d'un agriculteur bienveillant, la formation a lieu ce jour-là à quelques kilomètres du centre de Rennes. A Nantes, c'était un collectif punk qui ouvrait ses portes parfois il faut savoir se contenter d'un coin sur un parking public. « Ça nous est arrivé – raconte l'une des sept bénévoles présentes à Rennes – et c’était assez jouissif parce qu'on avait les voitures, capots ouverts, en étoile et on était très visibles. Des mecs passaient et nous regardaient comme si on était des sorcières avec du cambouis partout. » Les Déculassé.e.s, c'est aussi ça : se réapproprier l'espace public.
Parce que « la mécanique est un savoir-faire plutôt attribué aux hommes » les Déculassé.e.s ont choisi de s'adresser exclusivement aux femmes et aux minorités de genre. En mécanique, comme ailleurs, quand les hommes sont là, les femmes se censurent, on le sait ; « elles se sentent moins à l'aise, jugées ».
Les formations des Déculassé.e.s se passent en deux temps. Une partie théorique où toutes les questions sont permises et où parfois les formatrices cherchent les réponses avec les participantes. Si Sarah, seule salariée de l'association, à suivi une formation en mécanique et exercé dans un garage automobile, les autres, toutes bénévoles, apprennent sur le tas avec la volonté de « casser le rapport sachant/apprenant ». Le capot ouvert, le moteur dévoile ses mystères : arbre à cames, soupape, piston... et quand on sait de quoi on parle c'est tout de suite plus facile ; « la voiture n'est plus cet objet dont on ne comprend rien, dont on ne maîtrise rien ». Apporter ces connaissances aux femmes, c'est selon les Déculassé.e.s « leur redonner confiance, les outiller contre le sexisme ordinaire et lutter contre les préjugés » ; c'est aussi dans une visée écologiste « encourager la réutilisation et le recyclage des pièces détachées en proposant des ateliers de réparation et d'entretien éco-responsables ».
« C'est assez puissant l'impact de ces ateliers ! »
La partie pratique se fait ensuite sur son propre véhicule. A la fin de l'atelier, les participantes repartent avec non seulement des notions de mécanique et d'entretien mais aussi l'envie souvent d'aller plus loin, d'en savoir davantage et parfois d'entamer une formation professionnelle. « Il y a des personnes qui ont déjà une appétence pour la mécanique – expliquent les Déculassé.e.s – et l'atelier les conforte et puis il y a celles qui viennent pour démystifier l'objet voiture et apprendre à gérer des angoisses que peut générer la conduite. Et ça marche, c'est assez puissant l'impact de ces ateliers ! »
A Montpellier, les Déculassé.e.s sont à l'origine du festival la Tenaille qui aura lieu en octobre prochain. Chaque année, y sont programmés des ateliers d'initiation et de découvertes en mécanique bien sûr mais aussi en électricité ou en menuiserie ou encore l'occasion d'apprendre à conduire un tracteur et bien d'autres propositions en mixité choisie pour se réapproprier des savoir-faire techniques.
Une initiative qui a déjà fait des émules notamment avec le festival la Chignole à Marseille et prochainement le festival la Goupille à Toulouse. Sarah, Alice, Juliette et les autres rêvent de voir naître de nouveaux festivals un peu partout en France où la demande des femmes est forte et notamment en Bretagne où déjà des liens se nouent avec des collectifs alternatifs et/ou féministes.
En attendant, elles préparent leur prochaine tournée qui cette fois-ci ne les conduira pas dans une région de France mais au-delà des frontières. Au printemps 2025, les Déculassé.e.s seront en Italie où elles sont déjà très attendues. « Après – disent-elle – on ira où les gens nous appellent ! »
Geneviève ROY
Pour aller plus loin : suivre l'association les Déculassé.e.s sur son site et les réseaux sociaux, facebook, instagram