Atypique ou ordinaire ? Une famille qui pourrait sembler banale au premier regard. Un papa, une maman, une fille, un garçon. Une maison à la campagne et un chemin bien tracé. On danse et on monte à cheval. Une sorte de middle-class à l'américaine.
Née dans la Creuse, Mélanie Davranche, a construit sa vie en Bretagne où elle est arrivée avec sa jument et sa thèse de chimie.
Elle y poursuit une belle carrière dans les labos de Rennes 1 et ses travaux sont reconnus par les plus prestigieux instituts.
Au centre de sa vie, il y a sa famille et tout autour la science.
« Je ne sais pas si vous allez comprendre ? » Dans le ton de Mélanie Davranche, aucune supériorité. Plutôt l'envie d'expliquer ce qui lui tient lieu de passion depuis des années dans son laboratoire de chimie. Et pour être honnête, il faut bien reconnaître que ce n'est pas tout simple à suivre – même petits croquis à l'appui – quand on n'a pas l'esprit trop scientifique !
D'abord étudiante en biologie à l'université de Limoges, Mélanie s'est spécialisée dans la chimie appliquée aux traitements des eaux. Aujourd'hui, au Campus de Beaulieu à Rennes où elle est enseignante-chercheure, elle poursuit ses recherches comme géo-chimiste.
« Je travaille sur toutes les interactions entre le sol et l'eau » résume-t-elle avant de préciser sa vraie problématique : « comment est-ce que le sol peut piéger des polluants et/ou les libérer dans l'eau ? » Attention, il n'est pas question ici des pollutions bien connues en Bretagne, notamment celles occasionnées par l'agriculture intensive. Les polluants qui intéressent Mélanie existent à l'état naturel ; « je travaille – dit-elle – sur l'arsenic et les terres rares. »
Elle traque les pollutions du futur
Les grands mots sont lâchés. « L'arsenic, c'est plus facile à expliquer – dit la chercheure – on sait que c'est un poison qui existe à l'état naturel dans les roches. » Son travail trouve des applications concrètes ; par exemple des filtres pour assainir les eaux de boisson. « L'arsenic, c'est un gros problème donc on trouve des financements pour les recherches. Pour les terres rares, c'est plus difficile. » Et pourtant, ça pourrait bien être une pollution fondamentale pour les années à venir.
De plus en plus utilisées dans les produits de haute technologie (tous ceux qui ont des écrans, par exemple) ces éléments se retrouvent de plus en plus aussi dans l'environnement sans qu'on sache comment les recycler. « Ce qui est intéressant – estime Mélanie Davranche – c'est qu'on connaît leur comportement à l'état 0, c'est-à-dire sans pollution, et donc, il sera possible d'anticiper les problèmes. Jusqu'à présent on en trouvait très peu dans les eaux, mais ça va devenir préoccupant. » Une préoccupation qui est au cœur de son travail désormais. « Je m'arrête au stade de l'explication des mécanismes – dit-elle encore – ensuite mes travaux sont réutilisés par d'autres chercheur-e-s en recherche appliquée. Ça permet par exemple de créer des outils pour mettre au point des processus de dépollution. »
« En fait, je ne voulais pas travailler ! »
C'est un peu par hasard que la jeune femme s'installe en Bretagne en 2001. « En fait, je ne voulais pas travailler - s'amuse-t-elle aujourd'hui – je ne me voyais pas du tout dans le monde professionnel industriel après ma thèse. Ce que je voulais, c'était continuer à faire de la recherche dans un cadre qui me permettait vraiment de m'exprimer, comme l'université ou le CNRS, où l'on n'est pas contraints d'obtenir des résultats le plus rapidement possible ! »
Une ouverture de poste à Géo-sciences, le laboratoire de géologie de Rennes 1, lui donne cette possibilité. « Je ne fais plus beaucoup de labo – dit-elle avec un petit regret dans la voix – mais je continue à travailler sur les données de mes étudiant-e-s qui font les manipulations. Je suis plus dans l'interprétation et la rédaction d'articles. Et puis, surtout, quand on passe de l'autre côté, il faut aussi consacrer beaucoup de temps à chercher des sous pour financer les recherches. »
Elle préfère le laboratoire au terrain
Drôle de monde que celui de la recherche. Dans les laboratoires de Rennes, en étudiant des sols bretons, Mélanie se préoccupe en fait du sud-est asiatique où la présence d'arsenic dans l'eau est une des plus grosses causes de mortalité. « Des chercheurs américains ont mis en évidence la relation entre les zones humides qui bordent le Mékong, la pollution du fleuve et celle des nappes souterraines ; on reprend ces données et à partir de prélèvements dans des zones humides de Bretagne, où se trouve aussi de l'arsenic, on essaie d'expliquer les mécanismes. »
Pour elle, pas question d'aller poursuivre les recherches sur place. « Je suis une maman ; j'ai deux enfants » s'exclame-t-elle dans un rire pour illustrer pourquoi elle ne se voit pas « partir deux mois pour faire des prélèvements de sol et d'eau sur les bords du Mékong. » De toute façon, se défend elle aussitôt « je suis avant tout une chimiste de laboratoire. J'aime bien faire des expériences ! »
Même si elle décrit avec volubilité ses activités et parle volontiers de sa carrière, Mélanie n'hésite pas une seconde quand elle déclare : « Ma vie de famille est importante. Je trouve que c'est bien de faire carrière, mais il n'y a pas que ça dans la vie. Le métier sert aussi à avoir un confort de vie ! »
« La Bretagne, ce n'est pas la Creuse ! »
« Ma vie est désormais en Bretagne ; mes enfants sont Bretons – reconnaît Mélanie – On a une superbe maison à la campagne, on a nos chevaux, je ne repartirai plus maintenant ; mais la Bretagne, ce n'est pas la Creuse ! » Si la jeune femme apprécie les côtes et les paysages marins, elle regrette ses forêts creusoises. Pour la cavalière qu'elle est, en effet, difficile ici de chevaucher des heures durant au milieu des arbres. « La campagne n'est pas très préservée – déplore-t-elle – pour deux kilomètres de chemin, il faut faire quatre kilomètres de bitume ! »
Un désagrément qui ne semble pas vraiment entamer son optimisme. Mélanie n'est pas une femme en révolte. Les revendications des autres femmes, elle les « entend » mais elles ne lui « parlent pas vraiment ».
Chez elle, il n'y a pas de chef
« J'ai du mal, je crois, à me mettre à leur place - dit-elle avec franchise – mais je pense que leur combat est légitime. Et puis, elles font changer les choses puisque je bénéficie de la discrimination positive à l'université ! » Car Mélanie reconnaît que si aujourd'hui les femmes sont de plus en plus nombreuses dans les disciplines scientifiques – à part peut-être en géologie où reste forte « l'image du géologue avec son marteau sur des terrains parfois dangereux » - les postes de décision restent occupés très majoritairement par des hommes.
Sa médaille de bronze décernée par le CNRS puis sa nomination en tant que membre junior de l'Institut Universitaire de France lui ont assuré une visibilité à laquelle elle croit devoir son nouveau poste de professeure. Mais bien sûr, en tant que fonctionnaire, elle ne connaît pas les inégalités salariales.
Pas d'inégalités non plus à la maison, même si Mélanie avoue : « j'ai une femme de ménage, quand même, mais pour tout ce qui touche les enfants, les activités périscolaires, etc. ça repose beaucoup sur moi ! » Une répartition qui semble lui convenir ; de toute façon dit elle en riant « chez nous, papa et maman sont sur un pied d'égalité ; il n'y a pas de chef ! »
Sa fille de bientôt douze ans est « une vraie fille qui aime les tee-shirts à paillettes » et qui fait de la danse. Mais son fils de huit ans en a fait aussi car ce modèle-là vient de papa qui est lui-même danseur et qui entraîne un groupe de garçons. « On est peut-être une famille atypique » en conclut Mélanie dans un rire.
Geneviève ROY