Si les ABCD de l'égalité ont défrayé la chronique en 2013 en France, il ne faut pas croire pour autant que cette question est nouvelle à l'école.
Déjà en 1984, un programme avait pour ambition d'orienter les filles dans leurs choix de métiers.
Mais seulement les filles.
Car, trop longtemps comme le regrette Nicole Guenneugues, chargée de mission Egalité au Rectorat de Rennes, « les filles ont été à la fois le problème et la solution ». Il faudra attendre des années, et voir passer de nombreux plans d'action, pour qu'on parle enfin d'égalité et que l'Education Nationale inclut aussi les garçons dans ses politiques.
L'Académie d'été du DIU études de genre à Rennes 2, début juillet, a été l'occasion de revenir sur les différentes mesures mises en place par l'Education Nationale en matière d'égalité filles/garçons à l'école. Nicole Guenneugues a parcouru, textes de lois et circulaires administratives à l'appui, trente ans de politiques éducatives.
Avec les ABCD de l'égalité, puis le Plan Egalité, on voit clairement ce qui est mis en avant. Et ce n'est pas anodin dans la façon dont ces politiques peuvent être déclinées en classe. Mais, si l'on remonte une trentaine d'années en arrière, au cœur de la question, on ne trouvera que les filles.
D'abord des choix économiques
Les politiques qui se mettent en place au début des années 80 doivent beaucoup, selon Nicole Guenneugues, aux mouvements sociaux et au féminisme de la deuxième vague, celui des années 70. En aucun cas, il s'agit d'une demande de l'école où les filles sont largement présentes et obtiennent d'excellents résultats.
Si à la fin des années 50, le principe de mixité instauré dans toutes les écoles répond à une préoccupation essentiellement d'ordre économique, compte tenu de la forte natalité d'après-guerre, il en va de même des volontés formulées dans les années 80. C'est bien la place de la femme dans le monde du travail qui intéresse avant toute chose. D'ailleurs, les postes de chargé-e-s de mission créés au sein des académies sont rattachés aux services d'orientation.
Cinq conventions vont se succéder de 1984 à 2013. La première, signée par le ministre de l'Education d'alors, Jean-Pierre Chevènement, et la ministre des droits de la femme, Yvette Roudy, a pour objectif « l'adaptation des formations technologiques et scientifiques initiales aux professions d'avenir. » En effet, il s'agit « d'assurer l'égalité des femmes et des hommes face à la formation, l'emploi et la promotion au sein des entreprises ».
Les établissements scolaires doivent aménager leurs locaux pour accueillir un public féminin jusqu'alors peu nombreux. Quant à la communication, puisqu'il s'agit de permettre aux filles d'accéder plus facilement à l'emploi, les campagnes d'information se font uniquement en direction des filles et de leurs parents. Au fil des années, les slogans s'enchaînent : « A l'école, orientons-nous toutes directions ; aujourd'hui, les métiers n'ont pas sexes » en 1984 ou encore « C'est technique, c'est pour elles ! » en 1992. On semble penser qu'informer suffira à faire changer la réalité.
L'imagination au pouvoir sur le terrain
Sur le terrain, les acteurs et les actrices qui s'emparent de cette thématique voient plus large. Nicole Guenneugues a ressorti de ses archives un certain nombre d'initiatives mises en place notamment en Bretagne qui montrent que déjà même si les objectifs nationaux « ciblent les questions d'orientation, ils doivent se traiter dans la classe, dans les pratiques pédagogiques ». « La réflexion est déjà bien nourrie – dit-elle – par rapport à la problématique des représentations et le travail engagé fait le lien entre ce qui se passe dans la sphère professionnelle, ce qui se passe dans la sphère domestique et ce qui se passe dans la sphère des loisirs. » A partir de vidéos, de murs d'expression et autres photo langages, les différents outils imaginés parlent déjà d'égalité. « Au niveau des acteurs et des actrices de terrain, jamais les actions ne se sont centrées uniquement sur les problématiques de l'orientation » tient à rappeler la représentante du rectorat.
Il faut attendre la nouvelle convention signée en 2000, jugée dit-on « beaucoup plus ambitieuse » pour voir clairement apparaître les garçons dans cette histoire. « Cette convention souligne – dit Nicole Guenneugues - l'objectif d'améliorer l'orientation scolaire et professionnelle des filles, mais elle rajoute aussi des garçons. On a enfin compris que les choix des garçons sont aussi sexués ! Et on ajoute un deuxième objectif qui est la promotion de relations respectueuses entre les filles et les garçons. » Dans les campagnes d'information, la mixité professionnelle est « interrogée dans les deux sens » On commence même à imaginer qu'un garçon puisse choisir la profession de sage-femme.
Revoir l'ordre des priorités
La dernière convention, celle qui est en application aujourd'hui, est signée en 2013 pour la période 2013/2018. « La nouveauté de cette convention n'est pas tout à fait dans les axes définis – explique Nicole Guenneugues – mais dans la façon dont ils sont ordonnés. La première cible, ce ne sont plus les élèves, encore moins les filles, et ce n'est pas non plus l'orientation. »
En effet, les axes de cette convention sont les suivants : premièrement : acquérir pour pouvoir transmettre, la culture de l'égalité ; deuxièmement : éduquer au respect mais également à la sexualité ; troisièmement : assurer la mixité des filières de formation pour les filles comme pour les garçons, à tous les niveaux d'études.
Nicole Guenneugues a tenu à souligner l'importance qu'il y a à « éclairer les deux aspects » de la question. « Les situations ne sont pas symétriques – dit-elle – et être un garçon minoritaire dans un secteur, ce n'est pas la même choses qu'être une fille minoritaire. Il faut travailler les deux ensemble, sinon on continue à penser que les filles sont à la fois le problème et la solution et en faisant cela, on participe nous-mêmes à la dévalorisation des secteurs où les femmes sont plus nombreuses. »
Une pratique quotidienne
Et comme au fil des années, on s'est éloignés des objectifs purement économiques, le premier degré, c'est-à-dire les élèves de l'école maternelle et de l'école élémentaire, est bien sûr désormais concerné. C'est ainsi que le programme des ABCD de l'égalité a vu le jour. Si Nicole Guenneugues regrette sa disparition, elle note néanmoins « qu'il a permis à un grand nombre de personnels du système éducatif de savoir qu'il existe des politiques sur ces questions » et que finalement les ABCD auront eu « un effet d'entraînement. »
Le Plan d'Egalité qui remplace aujourd'hui le dispositif tant décrié, s'accompagne d'une circulaire dans laquelle l'accent est mis sur le fait que « l'essentiel du travail se conduit au cœur des pratiques ordinaires des enseignants dans la classe. » Si les projets spécifiques sont toujours possibles, c'est bien au quotidien que doit s'inscrire l'égalité filles/garçons. Rappelant que désormais, la formation initiale comme la formation continue des enseignants se doivent d'intégrer les questions d'égalité, Nicole Guenneugues est catégorique : « plus on est formés, moins on a besoin d'outils spécifiques parce qu'on se fait ses propres outils. »
Enfin, dit-elle, si les politiques sont importantes, c'est surtout le nombre d'acteurs et d'actrices qui s'en emparent qui peut faire bouger les choses. « J'entends parfois dire que ces politiques ont été peu efficaces – dit-elle – je crois surtout qu'elles ont été peu effectives ! »
Geneviève ROY
Pour aller plus loin :
On pourra prochainement retrouver l'intégralité de la conférence de Nicole Guenneugues, « De « allez les filles ! » aux ABCD de l'égalité, bilan de trente ans de politiques d'égalité filles/garçons à l'école » sur le site de Rennes 2
Allez les filles ! - livre de Christian Baudelot et Roger Establet (1992) paru en Poche en 2006