Edwina est inquiète. Elle a peur de cette incompréhension qui grandit entre français, peur des manipulations des médias qui n'offrent qu'une vision, toujours la même, de l'information, peur des futures échéances électorales et de la dérive droitière qui fait son chemin partout.
Elle a peur d'avoir dans son entourage – et statistiquement, c'est incontournable – des gens qui adhèrent aux thèses les plus extrémistes.
Alors elle réagit. Et elle agit.
Pour cette jeune femme convertie à l'islam, la « bouffée d'oxygène» se trouve dans l'association Al Houda où elle s'investit de plus en plus et qui lui permet de rencontrer des gens ouverts de tous horizons.
Son travail auprès des personnes atteintes de maladies psychiques contribue aussi à l'équilibre d'Edwina ; même si là aussi, elle doit faire avec le regard des autres.
Edwina est une jeune femme qui aime prendre le temps. Née dans une famille bretonne, dans un « milieu catholique mais sans pratique », elle n'a pas eu d'éducation religieuse et est devenue croyante, toute seule, au fil des années. « A un moment – raconte-t-elle – j'avais besoin de donner un sens à cette croyance. J'avais envie que ma manière de vivre s'articule autour d'une certaine pratique religieuse. »
Elle a vingt ans et elle rencontre dans son milieu professionnel des personnes musulmanes. Elle apprend, découvre l'histoire de l'Islam, trouve aussi des réponses à ses questions. « Je ne me suis pas convertie tout de suite – explique-t-elle encore – j'ai mis un certain nombre d'années à cheminer. » Pour sa famille qui connaît son appétit spirituel, ce n'est pas une surprise. « Ça n'a pas été violent pour eux – dit la jeune femme – ils ont suivi tout mon cheminement sans s'immiscer et aujourd'hui ils sont contents de voir que j'ai une vie saine, que je ne bois pas d'alcool, c'est plutôt positif pour eux. »
Un engagement associatif
« Je me suis convertie en 2012 et à ce moment-là, j'ai commencé à m'intéresser aux actions de l'association des femmes musulmanes de Rennes, Al Houda, dont je connaissais plusieurs membres – dit Edwina - Je me sentais épanouie personnellement, alors j'avais besoin de m'investir. Mon travail me prend beaucoup de temps et d'énergie donc, pour moi, c'est une bouffée d'oxygène ! » Là encore, Edwina a pris son temps « avant de m'engager de manière associative – dit-elle – j'ai voulu prendre le temps de cheminer personnellement dans la foi. »
« On est féministes ;
on défend les droits des femmes »
Aujourd'hui, la voilà donc lancée dans les actions d'Al Houda : militantisme, solidarité, accueil des femmes nouvellement arrivées à Rennes mais aussi des nouvelles converties et de leurs familles qui parfois s'interrogent, temps d'échanges et d'écoute entre « sœurs » et beaucoup de moments conviviaux. Al Houda prend aussi toute sa place dans la vie citoyenne aux côtés des autres associations de femmes de Rennes notamment à l'occasion des journées du mois de mars.
« On se dit féministes à notre sens – explique Edwina – c'est-à-dire qu'on défend les droits des femmes, notamment le droit d'agir par elles-mêmes et pour elles-mêmes. On ne met peut-être pas exactement la même chose derrière le mot « féminisme » que d'autres mais on à notre place dans cette grande définition. On va même plus loin puisqu'on dit que l'Islam en lui-même est une religion féministe et on va puiser dans les textes pour le dire. N'oublions pas que les interprétations, les traductions qui en ont été faites, sont toujours l'œuvre des hommes ! »
Le port du voile, qui cristallise tous les discours sur la question musulmane en France, est loin d'être important pour Edwina et ses amies. « On ne dit pas s'il faut porter ou non le voile. On n'émet aucun avis là-dessus, c'est le choix personnel de chaque femme. On se bat juste pour que les femmes puissent choisir de le porter ou non. »
Un travail passionnant
Ainsi, Edwina, qui couvre parfois ses cheveux, a fait le choix de travailler sans foulard. Aide médico-psychologique depuis deux ans dans une Maison d'Accueil Spécialisée dépendant de l'hôpital psychiatrique de Rennes, la jeune femme est passionnée par cette relation un peu particulière avec les malades. « On fait de l'éducatif, on essaie de les socialiser, de les sortir de leur bulle » dit-elle avec enthousiasme évoquant les sorties au fast-food que certains collègues appréhendent mais qu'elle apprécie beaucoup. Elle s'attache à ces personnes dont les troubles font souvent peur. Et envisage une spécialisation auprès des enfants. « J'ai demandé des formations sur l'enfance et l'autisme – dit-elle – je me laisse quelques années avant de postuler en interne sur la pédopsychiatrie. » Edwina prend toujours son temps.
« Je travaille à Noël et au Nouvel An
puisque je ne célèbre pas ces fêtes-là »
Sous son air un peu timide, Edwina sait s'imposer face à des adultes handicapés aux réactions parfois violentes. Elle a su aussi interpeller sa direction pour vivre sa foi au mieux dans son milieu professionnel. « Ce sont les deux aspects de ma vie qui comptent le plus – dit-elle – Il n'est pas question pour moi de ne pas faire le Ramadan, par exemple ; là-dessus, il n'y a aucun compromis ! »
Pas de problème pour elle ; sa direction se dit heureuse au contraire de la richesse supplémentaire qu'elle apporte à l'équipe et lui propose même des aménagements d'horaire. Par ailleurs, la convention collective de la fonction publique hospitalière lui reconnaît le droit d'obtenir des « jours de congés exceptionnels pour les fêtes religieuses autres que catholiques ». Edwina qui avait un moment songé à poser deux jours de RTT pour les deux fêtes musulmanes annuelles (la fin du Ramadan et la fête du mouton) se dit finalement que « c'est un droit acquis dont il serait dommage de ne pas profiter. »
« Je suis privilégiée – reconnaît-elle – j'ai deux jours de congés de plus que mes collègues. Mais en contre-partie, chaque année je travaille à Noël et au Nouvel An puisque je ne célèbre pas ces fêtes-là et ça permet à au moins une personne de l'équipe d'être en famille. Tout le monde s'y retrouve ! »
Finalement, Edwina se sent plutôt chanceuse quand elle compare sa situation à celle de certaines amies qui vivent « un parcours du combattant » pour trouver du travail même quand elles ont fait cinq ans d'études après le bac, juste « parce qu'elles sont voilées ! »
Une conscience citoyenne
Voilà bien un sujet qui fait perdre son sourire à Edwina. « Ça m'attriste – dit-elle – parce qu'on ne sait pas où tout ça va aller. C'est un combat permanent. Tout ce qui peut représenter notre religion est considéré comme menaçant pour la France. L'Islam paraît toujours comme une religion étrangère. Certaines personnes ne peuvent pas du tout entendre que c'est maintenant une composante de la société. » Elle regrette l'attitude des politiques et en particulier certains débats sur l'identité nationale venus alimenter les clivages ; pour ses amies qui portent le voile ça se traduit par des insultes quotidiennes dans la rue ou les transports en commun. « Il y a une espèce de climat malsain – analyse la jeune femme – Les médias choisissent de mettre en lumière certaines choses comme le terrorisme ou l'extrémisme... On y parle beaucoup de la communauté musulmane mais ce ne sont jamais les personnes concernées qui en parlent ; on existe, quoi ! »
« Un moment donné,
il faut agir ! »
Edwina a peur ; peur de l'avenir de son pays et peur des échéances électorales. « Je pense que, même dans ma famille au sens large, même parmi mes collègues, je suis forcément entourée de gens qui votent pour l'extrême-droite - s'inquiète-t-elle – et j'ai peur que des choses encore plus violentes arrivent. »
Alors en réaction, la jeune femme a choisi l'engagement associatif. Pour avoir une action citoyenne. Pour dialoguer avec des personnes non musulmanes comme elle l'a fait l'année dernière plusieurs fois avec Al Houda ou l'association France-Palestine notamment. « On va continuer le travail associatif, essayer de communiquer – dit-elle – On a des échanges par exemple avec Questions d'Egalité ; on trouve énormément de points communs et d'actions communes. » Pour elle, l'action citoyenne est primordiale. « Un moment donné, il faut agir ! » dit-elle avec conviction.
Geneviève ROY
Pour aller plus loin :Mieux connaitre l'association Al Houda à travers son site et sa page facebook
En savoir plus sur la place des femmes dans l'Islam : rencontre avec Zahra Ali, une des membres fondatrices de l'association, auteure de "Féminismes Islamiques" paru en 2012 (éditions La Fabrique)