Elle aime répéter qu'une sociologue lui a dit que les toilettes publiques restent le premier marqueur de la domination patriarcale.
Même si ça semble étonnant, en effet, le sujet de mémoire de Master 2 d'Alice Ticos, est un « vrai sujet féministe ».
La chercheuse se réjouit de faire son travail à Rennes, une des villes de France les mieux dotées en toilettes publiques mais les premiers résultats de ses recherches heurtent un peu ses hypothèses. Si les femmes hésitent à s'y rendre, les hommes sont presque à égalité à se sentir vulnérables dans ces endroits souvent mal conçus.
Alice Ticos a rejoint la nouvelle formation universitaire de Rennes 2 sur les « approches créatives de l'espace public » avec l'envie de travailler sur la question du genre. C'est au géographe du genre Yves Raibaud qu'elle se réfère pour définir la ville comme un endroit « pensé par et pour les hommes ». Pour elle, ce n'est pas tant le nombre de toilettes publiques qui pose problème aux utilisateur-ices que leur conception. Un des déclics qui lui a donné l'envie de creuser cette question est une conversation avec un ami trans. Avant même de pousser la porte, tout est dit dans la signalétique : d'un côté les hommes, de l'autre les femmes. Pour lui, c'était « une violence » et s'interroge Alice Ticos, « que font les femmes quand leur porte est condamnée ? »
Une question qui en appelle d'autres. Que font les personnes en situation de handicap quand l'icône du fauteuil roulant est associé uniquement à celui des femmes ? Que font les papas qui accompagnent une petite fille aux toilettes ou les mamans qui sont avec leur petit garçon ?
« Quand je parle de mes recherches,
tout le monde a une histoire à raconter »
Les différents entretiens que la jeune femme, déjà diplômée en aménagement et collectivités territoriales, a pu mener ainsi que le questionnaire qu'elle a diffusé cet été se rejoignent. La question des toilettes publiques est moins anecdotiques qu'il n'y paraît. « Quand je parle de mes recherches – dit-elle – tout le monde a une histoire à raconter là-dessus ». A tel point, même, qu'elle se dit qu'un mémoire de master 2 n'y suffira pas et qu'une thèse serait souhaitable.
Sur les 200 questionnaires remplis qu'Alice Ticos a collecté ces derniers mois, une réponse a particulièrement marqué la jeune femme. Elle qui était partie de l'hypothèse que les femmes étaient plus inquiètes que les hommes à l'idée d'utiliser des toilettes publiques, explique aujourd'hui que si 56% des femmes expriment leur « sentiment de vulnérabilité », 53% des hommes le font également. Et dans leur grande majorité, ces derniers reconnaissent n'entrer dans des toilettes publiques que lorsqu'ils n'ont « pas le choix ». Un sentiment d'inquiétude et de vulnérabilité encore plus massivement exprimé par les personnes non binaires.
Or, on le constate dans l'espace public, si les hommes rechignent à pousser la porte d'une sanisette, ils n'hésitent pas se soulager contre un mur ou derrière un arbre. Ce que, bien sûr, les femmes ne font pas. Pas étonnant, du coup, si nombre d'entre elles avouent « se retenir » fréquemment, au détriment de leur confort voire même de leur santé. Plus que les hommes, elles se disent dérangées par le manque de propreté ou de lavabo, les files d'attentes mais aussi par les odeurs, le bruit, voire les portes qui ferment mal.
« Tu seras un homme mon fils
parce que tu feras pipi debout »
Il est intéressant de préciser que Alice Ticos fait sa recherche à Rennes ; 50% des personnes ayant répondu à son questionnaire y habitent. Or, la ville est l'une des mieux équipées d'Europe. Elle se classe en quatrième position en nombre de toilettes publiques par habitant derrière Paris, Lyon et Zurich. Et la question intéresse la municipalité à tous les niveaux qu'il s'agisse du pôle jeunesse éducation comme des services des espaces verts. Du côté des écoles, notamment, des réflexions sont en cours.
Une démarche qu'approuve largement Alice Ticos qui défend l'importance de l'éducation dès le plus jeune âge. La première mesure pourrait être la suppression des urinoirs ; « si on les enlève, on est à égalité » estime-t-elle. Mais attention, pointe encore la chercheuse, il va falloir trouver la « méthode douce et les bons arguments ». Car il semblerait que nombre de familles restent attachées à la position debout pour le pipi des petits garçons. « Tu seras un homme mon fils parce que tu feras pipi debout » ironise Alice Ticos qui ajoute : « une façon de leur dire : tu es debout, tu domines » !
La sociologue Edith Gaillard ne dit pas autre chose quand elle parle de « premier objet matériel de la domination patriarcale ». Et Alice Ticos souligne que les récits de traumatisme vécu par les hommes et les petits garçons dans cet endroit « où tout le monde se regarde » sont légion. Une affaire d'éducation, donc ; une question de changement de société surtout et pour la jeune chercheuse d'engagement militant. « Ça peut sembler un sujet de niche – sourit-elle - mais c'est un vrai sujet féministe et je suis contente de bosser sur cette question ! »
Geneviève ROY
Légende photo 3 : Alice Ticos s'est déplacée dans plusieurs lieux à Rennes avec son kiosque des « rendez-vous pressés » ; l'occasion d'échanger avec les passant.e.s « le temps d'un pipi » ! photo© Alexandre Martin