Ils et elles sont 280 sur tout le territoire français. Un chiffre largement insuffisant pour Dominique Boistard qui occupe la fonction pour la zone d'intervention de la police de Rennes, détaché par l'ASFAD.
Comme lui, les autres intervenants sociaux en commissariats (ou en gendarmeries) ont pour mission de se mettre au service des personnes victimes de violences conjugales mais aussi des auteurs de ces violences pour les orienter vers les services d'aide qui les concernent.
Un poste « inventé » en 1989 par un commissaire de Police de Chartres, sur un modèle déjà existant dans les pays anglo-saxons, et qui est devenu depuis 2005 un « vrai » métier promu par les différents gouvernements dans leurs plans de lutte contre les violences conjugales.
« C'est intéressant de voir de quel côté la police et la justice s'intéressent aux violences – analyse Dominique Boistard – Ici, on s'intéresse à l'infraction, donc au délinquant et tout est axé sur lui. Comme c'est lui qui est mis en garde à vue, il a droit tout de suite à l'assistance d'un avocat et tout un dispositif est mis autour de lui... Alors que la victime, la seule chose qu'on lui demande c'est de déclarer l'infraction, ensuite si elle ne va pas chercher la réponse, personne ne la tient informée de la suite du dossier. »
C'est précisément pour ça que depuis huit ans, Dominique Boistard travaille à l'hôtel de Police de Rennes. Pour entendre et surtout écouter les femmes – car ce sont majoritairement des femmes – victimes de violences conjugales. Les accompagnements pour les victimes existent bien sûr, mais encore ont-elles besoin d'être informées et guidées.
Sans demande, pas d'intervention
« Est-ce que je fais un travail d'urgence ? » s'interroge lui-même Dominique Boistard. Sa réponse est : non. « Ça ne sert pas à grand chose – dit-il – d'intervenir au moment où les violences sont commises. Il faut que les choses s'apaisent un peu pour en discuter. Pour dire les choses très simplement, les policiers travaillent à chaud et moi, je travaille à tiède ! »
En effet, c'est suite aux interventions policières - que se soit à domicile ou lors de dépôt de plaintes en commissariat – que Dominique prend le relais des agents de police. Par courrier, il se met à la disposition des victimes et leur propose un entretien. Un tiers des personnes contactées acceptent de venir le rencontrer dans son petit bureau de l'hôtel de Police. Un chiffre satisfaisant pour le travailleur social qui reconnaît que généralement il faut attendre la demande d'une personne pour qu'une aide sociale lui soit accordée. « Si on n'a pas de demande, on ne peut pas intervenir – résume-t-il avant d'ajouter – moi, avec l'intervention de la police à domicile, je connais les situations où des personnes ont besoin d'aide mais ne l'ont pas encore formulé, donc je suscite cette aide. »
Difficile en effet, parfois, de réagir aux violences conjugales. Et ce n'est quelquefois qu'après plusieurs interventions de police que les femmes acceptent d'être reçues par Dominique. Pour lui, celles qui réagissent dès le premier acte de violence n'ont d'ailleurs pas vraiment besoin de lui. « Ce sont des femmes qui n'ont jamais connu la violence – analyse-t-il - Moi, je vois surtout des femmes qui connaissent ça depuis longtemps. »
« Un policier va être plus méfiant
vis-à-vis des violences psychologiques...
Ce n'est pas à lui de juger »
« Chaque personne a sa limite – explique encore Dominique – Il y a toujours quelque chose qui a été en trop un moment donné et qui fait que la réaction arrive, mais cette chose en trop est très différente d'une femme à l'autre ; ce n'est pas forcément un coup trop fort, ça peut être une parole blessante et ça réveille quelque chose qui fait que ça devient inadmissible. »
Depuis 2010, une loi définit les violences psychologiques au même titre que les violences physiques. Pour Dominique, c'est une avancée importante mais qui a encore du mal à « entrer dans les mœurs » . Son travail, c'est aussi de veiller à la mise en œuvre de cette loi. « Un policier va être plus méfiant vis-à-vis d'une personne qui parle de violences psychologiques parce qu'il n'en voit pas les traces. Or, ce n'est pas à lui de juger s'il y a violences ou non. Il doit juste retranscrire ce qu'on lui dit et c'est ensuite le médecin légiste et le procureur qui reprennent le dossier. Certains policiers ont encore du mal. Alors, j'aide les femmes à préparer leur plainte en leur faisant repérer les différentes violences qu'elles ont subies. » En dehors de toute rencontre formelle instituée par la hiérarchie, Dominique n'hésite donc pas à aller discuter avec les policiers quand il sent leurs réticences et à en référer à la hiérarchie s'il est témoin de certains dysfonctionnements. Il se réjouit d'avoir toujours été suivi sur les avis qu'il donne.
Plutôt mal accompagnées que seules
Mais, même si elles arrivent à en parler avec l'assistant social, les femmes ont parfois du mal à aller jusqu'au dépôt de plainte. Ce qui les freine, explique Dominique c'est de faire une démarche « contre », contre celui qu'elles ont aimé, qu'elles aiment parfois encore et qu'elles disent avoir « peur d'envoyer en prison ». Dominique explique alors que la prison est la dernière des réponses et qu'il en existe beaucoup d'autres avant d'en arriver là. Une façon dit-il de « dédramatiser ». Il existe un dicton qui dit "mieux vaut être seul que mal accompagné", c'est le contraire que Dominique entend souvent : « elles préfèrent être mal accompagnées qu'être seules ». En jeu, la peur de devoir faire face seule aux responsabilités notamment à l'éducation des enfants et puis bien sûr toutes les questions économiques qui entourent une séparation. Mais dans la majorité des cas, elles expriment une certaine reconnaissance ; recevoir un courrier et constater qu'il y a une réponse sociale après l'intervention policière les rassure.
Après cette première rencontre, les femmes sont orientées vers des travailleurs sociaux de secteur et quand un hébergement d'urgence doit être envisagé, c'est l'ASFAD qui prend le relais. Pour Dominique, l'accompagnement s'arrête. « Je sais -dit-il – que certain-es collègues sont frustré-es de ne pas savoir ce qui se passe ensuite, mais moi, ça me convient bien. Je pense que notre intervention doit être la plus courte possible pour permettre aux personnes de retrouver leurs marques elles-mêmes. Si la personne a pu réfléchir pendant notre entretien, si je sens qu'elle repart avec des questions, pour moi, c'est gagné ! Elle trouvera sa solution tout de suite ou dans six mois, mais quelque chose s'est passé ! »
« Pour un homme dire
"je suis victime de ma femme"
c'est costaud »
Quant aux auteurs de violence, l'assistant social en rencontre très peu. « C'est beaucoup moins facile – reconnaît-il – d'appuyer sur le bouton des demandes d'aide quand on est reconnu auteur ; j'interviens seulement quand il faut trouver un nouveau logement. Je les rencontre davantage quand il est question de violences réciproques. »
En effet, si dans les violences physiques 95% des victimes sont des femmes, quand il s'agit de violences psychologiques la proportion hommes/femmes peut être de 50/50. Mais, analyse Dominique en souriant « pour un homme dire "je suis victime de ma femme" c'est costaud ! » Quant aux accompagnements des hommes victimes, rien n'a vraiment été prévu. Pourtant, même s'ils sont largement minoritaires, certains sont aussi victimes, notamment dans les couples homosexuels. Sur le mur de son bureau, Dominique a affiché un poster pour inciter les victimes à appeler le numéro d'urgence mis en place par le gouvernement ; difficile pour un homme de se reconnaître en princesse à la recherche de son prince charmant ! « Ce qu'il faudrait – dit Dominique – c'est une affiche non sexuée qui parlerait des violences faites aux personnes, tout simplement ! »
Sur les près de 600 courriers expédiés l'an dernier, Dominique a ouvert 430 dossiers. On lui demande de voir si les violences viennent en priorité des cinq quartiers sensibles de Rennes. Or, d'année en année, il constate que la répartition reste à peu près la même : 60% des interventions sur Villejean, Le Blosne, Cleunay, Bréquigny ou Maurepas ; 40% sur le reste de la ville. Des chiffres qui ne sont pas si parlants que ça pour le travailleur social qui rappelle que dans les autres quartiers la population est moins dense « Si on connaît beaucoup plus les violences dans les quartiers sensibles, c'est surtout qu'on les connaît moins dans les autres » analyse-t-il. En cause : un habitat plus espacé qui permet moins aux voisins d'entendre ce qui se passe et d'alerter la Police mais aussi la pression que peuvent faire peser sur leur entourage (voisins comme conjointe) les hommes qui revendiquent un certain pouvoir. « Dénoncer quelqu'un qui a un poste à responsabilités, qui prétend connaître telle ou telle personne à la cité judiciaire ou à la mairie, c'est mission impossible pour certaines femmes ! »
Savoir faire la part des choses
Dominique ne s'est pas réfugié derrière son bureau ; il a pris place sur une simple chaise appuyée au mur. Une façon de ne pas mettre de distance entre son interlocuteur et lui. Une pratique habituelle sans doute. Il parle peu de lui et ponctue ses phrases d'éclats de rire ; pudeur, sûrement.
Ce travail un peu particulier pour un travailleur social, il l'a accepté en 2006 parce qu'il avait envie de voir « comment la police et le social pouvaient travailler ensemble ». Il semble qu'il ait su trouver sa place, en tout cas il espère bien rester ici « jusqu'à ce que le temps de travail lui permette ». En creux, on entend : jusqu'à l'âge de la retraite !
« On est plus ou moins atteint par le travail qu'on fait ; moi, je dois être blindé » estime Dominique avec une certaine sagesse, peut-être due à l'âge, peut-être à l'expérience, sans doute aux deux.
« Quand je quitte le commissariat, j'oublie tout – dit-il encore – chaque matin, je reprends mes écrits de la veille pour me les remettre en mémoire. En tout cas, je n'en rêve jamais la nuit ! » S'il apprécie les temps d'échange plus ou moins formels avec sa voisine de bureau, la psychologue du commissariat, ou en équipe avec ses collègues de l'ASFAD, Dominique revendique une certaine solitude à laquelle il semble désormais habitué « Pour occuper un poste d'intervenant social en commissariat – dit-il - il faut savoir travailler en solitaire ; ce n'est pas la route du Rhum, mais, quand même ! »
Geneviève ROY
En savoir plus :
Les travailleurs sociaux en commissariat/gendarmerie sont désormais regroupés en une association nationale, l'ANISCG. L'Etat participe à hauteur de la moitié au financement des postes à la condition qu'une collectivité territoriale finance l'autre moitié. Ce sont souvent les conseils généraux qui gèrent ces postes, parfois les municipalités comme c'est le cas pour le poste de Dominique Boistard, financé (par l'intermédiaire de son employeur l'ASFAD) par la ville de Rennes et celle de Saint-Jacques de la Lande. Actuellement, la couverture territoriale dépend des collectivités. Si quatre postes sont ouverts en Loire-Atlantique ou en Sarthe, par exemple, Dominique Boistard a longtemps été le seul pour toute la Bretagne. Depuis quelques mois deux autres postes ont été créés en Ille-et-Vilaine, l'un à Dinan et l'autre à Vitré. Dominique Boistard, lui, couvre la zone d'intervention de la Police de Rennes, c'est-à-dire la ville de Rennes et quatre communes limitrophes : Saint-Jacques de la Lande, Saint-Grégoire, Chantepie et Cesson-Sévigné.