Elle parle de marteline et de tranchet comme un peintre parle de ses pinceaux ; ce sont ses instruments de travail à Caroline Bernard. Depuis quinze ans, elle pratique la mosaïque, une discipline « discrète » dit-elle, peu connue du grand public et peu mise en valeur par les galeries et autres lieux d'exposition. Si elle a commencé en autodidacte en cassant « des rebuts de carrelage » depuis quatre ans, elle en a fait son activité principale et goûte la liberté que lui a donné la vie de pouvoir transformer ce « passe-temps » en « passion ». Au printemps dernier, elle exposait une série de tableaux à Rennes sous le titre « femme, féminité, féminisme » ; parce que c'est sa façon à elle d'exprimer les choses de la vie, ces « mille faits qui [lui] arrivent comme un boomerang ».
« Les carreaux de Caro » ; sur le mur, près du portail, une petite mosaïque nous informe qu'on est à la bonne adresse. Caroline Bernard est fière de faire visiter son atelier installé depuis peu de temps derrière le garage de la maison familiale à deux pas de la gare de Rennes.
Sur les étagères s'alignent les bocaux de confiture remplis d'éclats de pâte de verre de toutes les couleurs. Au mur, des tableaux de toutes tailles, témoins de ces différentes recherches. En 2009, elle exposait « ponctuation temporelle », en 2013 « femme, féminité, féminisme », aujourd'hui elle travaille sur la nature. Pour elle, il s'agit toujours de parler d'émotions, de « ces mille faits – dit-elle – qui m'arrivent en boomerang et qui nourrisse ma sensibilité tout autant que les injustices ou les moments de bonheur ; c'est juste avoir les yeux ouverts sur le monde et sur les personnes. »
Et pendant deux ans, Caroline a eu les yeux ouverts sur les femmes. « Je ne suis pas dans une démarche féministe pure et dure – précise-t-elle d'emblée – mais j'avais des choses à dire sur les différentes facettes qui font qu'une femme est une et unique, sur la féminité, la maternité, les relations à l'homme, la solidarité aussi entre les femmes et leur connivence que je trouve exceptionnelle. (...) J'ai la chance d'être née dans une culture et dans une famille où j'ai pu avoir mon indépendance, faire les choses comme je l'entendais en partenariat avec mon mari, mes enfants... mais par les événements autour de moi, les femmes que j'ai pu rencontrer dans mes expositions ou ailleurs, en voyage aussi notamment en Egypte, je me suis aperçue que beaucoup de femmes sont encore opprimées, ne s'autorisent pas à s'exprimer ou sont dans le musellement avec des maris machos ou une société qui fait que les choses peuvent être très compliquées dans le monde du travail par exemple. Je ne me bats pas pour moi personnellement car moi j'ai une grande liberté de vie, j'ai la chance de faire ce que je veux, sans contraintes particulières. »
Une histoire de femmes et de rencontres
Si elle avoue avoir besoin de solitude dans l'ultime phase de création quand elle ajuste ses tesselles colorées, on sent aussi que c'est une femme de relation. « J'ai commencé en autodidacte – dit-elle – et puis il y a eu beaucoup de rencontres, des rencontres très importantes avec des femmes mosaïstes. » Un univers en effet qui semble très féminin. Si les hommes sont majoritaires quand il s'agit de gros chantiers, dans « le milieu artistique – pense Caroline – il doit y avoir à peu près deux tiers de femmes. »
Une histoire de transmission, donc, et d'échanges qu'elle cultive notamment avec d'autres artistes rennaises mais aussi avec son public. D'ailleurs sans l'accueil reçu lors de sa toute première exposition, Caroline n'en serait sans doute pas là aujourd'hui.
A l'issue de son congé parental de trois ans pris pour la naissance de son quatrième enfant, elle aurait repris sa blouse blanche et serait retournée dans sa pharmacie où elle officiait depuis vingt ans.
Mais les événements de la vie en ont décidé autrement. Et Caroline est restée à la maison où progressivement, la mosaïque, qui l'avait toujours attirée, s'est imposée. « J'habite à Rennes depuis l'âge de quinze ans, j'en ai cinquante et j'ai toujours admiré les mosaïques d'Odorico avant même de savoir que j'allais assembler quelques morceaux et que ce passe-temps allait devenir une passion et un moyen d'expression. » En effet, élève du lycée Emile Zola, la jeune Caroline passe chaque jour les devant l'immeuble Pitrel, avenue Janvier. « Cet un style, une époque que j'admirais – confie-t-elle – j'ai toujours aimé les années 20 ».
Transmettre pour assurer l'avenir
Un peu oubliée depuis cette époque faste, la mosaïque est peu à peu redécouverte en France notamment à Rennes depuis l'exposition consacrée à Odorico en 2009. Malgré tout ça reste un art peu connu. « C'est une discipline discrète – résume Caroline Bernard – aux Arts du Feu en décembre, place de la Mairie, nous étions six mosaïstes pour plusieurs dizaines de céramistes. »
En Italie en revanche, le berceau de la mosaïque, les artistes sont nombreux et les écoles toujours très actives. « Ici, on a beaucoup de mal à trouver des lieux d'exposition – poursuit l'artiste – pour l'exposition que nous avons faite en juin à l'Orangerie du Thabor avec six autres mosaïstes rennaises, nous avons attendu la salle pendant deux ans ». Pourtant, le public a été très nombreux toute la semaine et ravi de découvrir les travaux exposés.
Alors, pour être plus visibles, les mosaïstes pourraient songer peut-être à transmettre leurs techniques ? « Pas pour l'instant – répond Caroline – on me demande de recevoir des élèves, mais pour moi, c'est trop tôt. Je suis encore en période de recherche et d'expérimentation. Je cherche plus les échanges avec d'autres mosaïstes avertis. J'ai tellement d'admiration pour les maîtres qui m'ont formée que je ne me sens pas prête à dire : je vais vous montrer. Ce sera une autre étape qui viendra un jour parce qu'il faut que ça passe par là si on veut que la mosaïque perdure et que les gens s'y intéressent. »
En attendant, l'artiste rennaise poursuit sa propre formation. Elle part en Italie en mai et juin 2014, dans la très célèbre école de mosaïque de Spilimbergo découvrir les nouvelles techniques de cet art qui continue à évoluer. Elle compte en revenir avec de nouvelles connaissances mais aussi de nouvelles envies. « L'envie de continuer pour moi, c'est maintenant une évidence – reconnaît-elle – on s'intéresse à mon travail, on me fait confiance sur des projets enthousiasmants, j'ai des commandes pour plusieurs mois... Ce sont les prémices d'une grande aventure ! »
Une vie qui recommence à cinquante ans ? « Je pourrais penser à ma retraite et ça me fait sourire - répond Caroline - Car je suis plutôt au début d'une deuxième partie de vie. J'ai l'impression d'être devant une route qui s'ouvre et je m'aperçois que plus j'en fait, plus j'ai envie d'en faire, d'exprimer des émotions, de rechercher des bruits, des formes, des choses qui m'ont émue et que j'ai envie de retranscrire. »
Geneviève ROY
http://www.lescarreauxdecaro.wordpress.com