L'égalité entre les femmes et les hommes, elle en a fait son combat depuis dix ans. Elue en 1998 au conseil régional, Gaëlle Abily, la brestoise, occupe depuis 2004 le poste de vice-présidente en charge de l'égalité des droits. Une fonction « inventée » par la Bretagne et que nombre de régions n'ont pas encore adoptée. Depuis janvier 2013, elle a rejoint le Haut Conseil à l'Egalité, instance nationale mise en place par le gouvernement. A quelques mois de la quatrième Biennale de l'égalité en Bretagne, elle revient sur des questions essentielles telles que l'emploi des femmes en période de crise, les stéréotypes de genre dans l'éducation et ailleurs mais aussi des réalisations concrètes de la région en faveur de l'égalité des droits, car dit-elle : « l'égalité, ce n'est pas du discours, c'est être utile au quotidien !»
« En situation de crise, les femmes sont encore moins visibles -dit Gaëlle Abily - elles sont les premières victimes en se retirant elles-mêmes du marché du travail car elles se disent : il vaut mieux que mon mari travaille, moi c'est moins « grave ». Aujourd'hui, les secteurs d'activité touchés en Bretagne, par exemple l'automobile ou l'électronique sont des métiers majoritairement occupés par des hommes. Mais l'agroalimentaire est vraiment l'exemple contraire. Avec Doux, on a l'illustration à la fois des difficultés que peuvent rencontrer les femmes et de la dynamique qu'il est possible d'enclencher pour sortir de cette situation. Quand cette entreprise licencie 422 salariés, 66% sont des femmes. »
Et si Gaëlle Abily peut citer ces chiffres avec précision c'est que depuis plus d'un an, une expérimentation permet d'envisager le reclassement professionnel des ex-salariés de Doux sous l'angle de l'égalité. Or, comme le rappelle la vice-présidente de Bretagne, « on ne reclasse pas de la même manière une femme ou un homme, une ouvrière ou un cadre, une femme de 50 ans ou un homme de 30 ans ! Et dans chacun des cas, il faut une approche beaucoup plus fine. »
« L'égalité est l'affaire de tous »
Ainsi, le travail fait par les partenaires de la Région que sont aujourd'hui Pôle Emploi, les organismes Perfegal ou Catalys, le réseau Opcalia ou les différentes communautés de communes concernées, montre que sur les 280 femmes licenciées, 84% ont plus de 50 ans (contre 59% chez les hommes) et que l'immense majorité – près de 90% - sont ouvrières (environ 50% pour les hommes). « C'est le premier résultat de l'expérimentation ; si on ne l'avait pas posé de cette manière, on n'aurait pas la connaissance précise de qui sont ces femmes et ces hommes » commente Gaëlle Abily qui tient aussi à rappeler que, même si ces données devraient être partagées par les hommes, dans la réalité quand on parle des femmes on doit envisager non pas « seulement des compétences mais aussi un contexte de vie ». Il faut alors tenir compte pour leur reclassement des enfants ou petits-enfants voire des parents âgés à charge et aussi travailler avec elles sur leur disponibilité et leur mobilité. Une approche globale que permet l'expérimentation en cours.
« Faire de l'égalité, ce n'est pas un discours, c'est être utile au quotidien » insiste l'élue. Et c'est aussi l'affaire de tous. Ce qu'ont bien compris les communes du Val d'Oust et Lanvaux et du Pays de Questembert, heureuses d'ouvrir leur réseau d'entreprises aux femmes qu'elles n'auraient sans doute jamais rencontrées sans ce dispositif. Par ailleurs, ces ouvrières qui ont passé vingt ou trente ans dans la même entreprise ont besoin de temps pour refaire connaissance avec le marché du travail ; elles acceptent volontiers les visites d'entreprises et la découverte de nouveaux métiers. Certaines communes se sont enfin engagées à embaucher de façon temporaire pour permettre aux salariées en fin de carrière de valider les deux ou trois trimestres qui leur manquent avant de faire valoir leurs droits à la retraite .
Voilà de quoi réjouir Gaëlle Abily qui voulait que cette expérimentation ne soit pas « une innovation pour se faire plaisir » mais un moyen de « faire bouger les lignes ». Et aussi une sorte de modèle puisque six expérimentations semblables sont actuellement en cours en Bretagne et pourront si elles sont validées être reproduites ici ou ailleurs en cas de besoin.
« L'égalité est une priorité publique »
Quand elle n'assure pas ses fonctions en mairie de Brest où elle est adjointe à la culture ou au Conseil régional, Gaëlle Abily prend souvent le train pour Paris. Depuis un peu plus d'un an, elle a été appelée au Haut Conseil à l'Egalité, instance mise en place par le premier ministre et le ministère aux Droits des femmes. Et elle se réjouit de ce fourmillement d'initiatives : « J'ai vraiment vécu cette nomination comme une reconnaissance de la dynamique et du travail mené en Bretagne par la Région mais aussi par tout le réseau qui se mobilise depuis des années. Depuis longtemps, les collectivités locales, le mouvement associatif et le monde du travail avaient un peu le sentiment d'être seuls dans la bataille pour l'égalité ; l'Etat étant absent sur ces questions-là. L'arrivée d'un ministère de plein exercice et la création d'instances qui permettent de porter haut et fort l'ambition et l'enjeu de l'égalité et de redire que c'est une priorité publique, c'est énorme et ça fait du bien à tout le monde ! »
Une grande joie et beaucoup de travail, aussi, reconnaît-elle. Le Haut Conseil est l'interface entre le gouvernement d'une part et l'Assemblée nationale et le Sénat de l'autre. Ce n'est pas un lieu de décision mais de réflexions et de recommandations en amont des lois comme il l'a été notamment pour la loi concernant la prostitution ou encore la loi d'égalité ; c'est aussi un lieu qui peut s'autosaisir de questions de société s'il estime qu'elles méritent une approche genrée ou répondre aux demandes de la ministre aux droits des femmes ; la commission de travail à laquelle participe l'élue bretonne lui a par exemple demandé d'être rapporteure d'un travail sur les stéréotypes dans la communication institutionnelle.
Alors, vu de Paris, la Bretagne est-elle vraiment en pointe en matière d'égalité ? « Je crois, oui » répond Gaëlle Abily dans un rire, gênée semble-t-il de le reconnaître. Il paraît – raconte-t-elle – que quand le gouvernement a voulu faire le tour des régions, on lui a dit : allez d'abord voir ce qui se passe en Bretagne ! « Je veux bien les croire – avoue-t-elle – même si je ne le mesurais pas avant. On a été la première région à désigner une vice-présidence mais l'histoire des régions est récente et on sait que c'est quand même plus une politique portée par la gauche. Aujourd'hui, la moitié des conseils régionaux s'est doté d'une délégation, parfois d'une vice-présidence souvent d'une conseillère déléguée. Ce n'est pas le cas des départements ni des communes. Alors, si on a pu faire des émules, tant mieux ! Partout il y a maintenant des réalisations très intéressantes dont on s'inspire aussi parfois. Mais je pense que c'est chez nous qu'on a le plus avancé sur la transversalité notamment, l'idée d'en faire une question comme les autres, pas un truc à part ! »
« L'égalité n'est pas une théorie »
Et si la Bretagne a quelques longueurs d'avance, elle pourra le mesurer au mois de mai prochain. Pour la quatrième Biennale de l'égalité, c'est le Morbihan qui reçoit. Les 16 et 17 mai à Lorient, la question sera : l'égalité, qu'est-ce que ça change concrètement dans nos vies ?
Car le concret, elle y tient Gaëlle Abily ! « L'idée c'est d'être concret – explique-t-elle – L'égalité, ce n'est pas une théorie c'est comment dans la vie quotidienne chacun, s'il s'en empare, peut faire bouger les choses et comment ça modifie les regards et les comportements. Pour la quatrième édition, c'est une sorte d'évaluation qui n'est pas facile à faire parce qu'en matière d'égalité, il ne s'agit pas de compter ; il s'agit de mesurer des choses qui touchent au long terme, qui touchent à l'individu, à l'émotionnel, aux rapports intimes. »
Avec plus de 200 partenaires, soit encore plus qu'en 2011 à Saint-Malo pour la troisième Biennale, le rendez-vous de Lorient se déclinera autour de quatre thèmes : les politiques publiques, les violences, l'égalité professionnelle et l'éducation à l'égalité avec des temps d'échanges, de débats, de formations mais aussi des films et autres animations culturelles et bien sûr la présence massive des associations très actives sur ces questions. « On veut faire de ces deux jours des moments conviviaux pour tous – résume Gaëlle Abily – L'égalité n'est pas qu'une affaire de spécialistes. Des spécialistes existent et il en faut, mais la Biennale c'est aussi un lieu pour que tout le monde puisse se retrouver et on veut que se soit accessible au plus grand nombre et notamment aux jeunes, qu'il y ait des croisements et des rencontres. »
Et l'élue entend soigner particulièrement l'accueil des scolaires, en priorité les lycéens et apprentis du Morbihan, la région ayant mis l'éducation et la formation au cœur de sa politique d'égalité.
Un terrain un peu glissant dans le contexte d'aujourd'hui ? « C'est toute la contradiction des avancées de progrès – reconnaît la vice-présidente de Bretagne – plus on donne de la visibilité à ces questions-là notamment au travers des différentes mesures adoptées comme les lois sur la prostitution ou le mariage pour tous et plus on fait émerger les oppositions et les pires conservatismes. L'égalité n'est pas une opinion, c'est une valeur, c'est un droit ; et donc, c'est normal de l'enseigner et de l'apprendre. Certains voudraient laisser penser que sous couvert d'égalité on veut que tout le monde soit identique ; l'égalité ne nie pas les différences ; au contraire, c'est une réponse au vivre-ensemble, au respect des différences de chacun ; c'est l'idée que quel que soit le sexe, la couleur, l'origine, l'orientation sexuelle, on a tous accès aux mêmes droits. Enseigner l'égalité ce n'est pas enseigner que les filles et les garçons sont identiques c'est au contraire former des citoyens et des citoyennes de demain pour que les petites filles puissent dire qu'elles ont autant le droit que les garçons de jouer au centre de la cour de l'école et pas de rester sur les côtés et que les petits garçons trouvent normal que les filles viennent jouer au foot avec eux. »
Geneviève ROY
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