Entre les femmes de l'association Al Houda et Lauriane Lagarde, réalisatrice de documentaires, il y a eu ce que la jeune femme appelle « une vraie rencontre ». De ces rencontres qui laissent des traces.
Elles ont accepté de se montrer sans tricher face à la caméra. Elle a su établir avec elles une confiance telle qu'elles semblent en avoir oublié l'objectif.
Un joli film présenté voilà quelques semaines à Rennes et visible bientôt sur les chaînes de télé régionales.
Mais pourquoi parler des femmes musulmanes en France – et leur donner la parole - est-il toujours un exercice si difficile ?
« Sans elles, il n'y aurait pas de film. Elles m'ont fait changer ma manière de voir les choses ; elles m'ont un peu transformée. » Lorsque Lauriane Lagarde parlent des femmes de l'association Al Houda, c'est d'abord la complicité et une certaine amitié que l'on sent dans ses propos. Pendant près de deux ans, la jeune réalisatrice a déposé sa caméra dans les réunions plus ou moins formelles, les temps de formation ou les rencontres conviviales et festives de l'association. Pour elle, l'objectif était « d'entendre ces femmes sans filtre », sans expert pour expliquer les choses, sans questions pour orienter les échanges.
« Mon projet – dit-elle – c'était de donner la parole à ces femmes. » Les mots, en effet, tiennent une grande place dans ce documentaire de 52 mn présenté en avant-première début novembre à Rennes. Les femmes y parlent entre elles, elles parlent d'elles et du regard que l'on porte sur elles.
« Nos revendications sont sociales et citoyennes »
Au fil des mois de tournage, Lauriane Lagarde a pris son temps, s'est mise en « immersion » pour que la confiance s'installe entre elle et ces femmes musulmanes habituées à être jugées non pas pour ce qu'elles sont mais pour ce qu'elles montrent. « Je n'ai pas voulu faire un film militant – dit la réalisatrice – mais il se trouve que j'ai filmé des femmes qui militent. »
Elles s'appellent Béatrice, Fouzia, Edwina, Nathalie ou Marjolaine. Elles sont jeunes ou moins jeunes ; certaines ont des enfants. Elles sont professeures, infirmières ou comptables. Leur vie ressemble à toutes celles des femmes qui vivent et travaillent à Rennes. Leur association, elles l'ont voulu pour défendre les droits des femmes. « Comme toutes les femmes françaises – explique Fouzia lors de l'échange après la projection – nous subissons beaucoup de discriminations ; il y a des problèmes que les femmes rencontrent quelle que soit leur religion et je pense que tous ces problèmes-là sont plus graves qu'un foulard. »
Le besoin de se justifier, toujours. Car, oui, elles portent le foulard. Et c'est leur choix. Pourtant, chaque fois qu'elles ont l'occasion de discuter, d'échanger, de présenter leur association, c'est immanquablement, comme ce samedi matin au cinéma l'Arvor, cette question du foulard qui revient. « On nous renvoie toujours à ces questions religieuses – dit encore Edwina – alors que nous, nos revendications, elles sont sociales et citoyennes ! »
« On ne peut traiter ces femmes de victimes et de coupables »
Lauriane Lagarde a choisi de partager la scène avec ces femmes, les invitant à venir la rejoindre pour échanger avec la salle. Ce n'était pas prévu. Mais les questions et les réflexions du public tournent en boucle sur ce fameux morceau de tissu (foulard, voile, bonnet ou autre turban) dont elles se couvrent les cheveux.
Une légère émotion dans la voix de la réalisatrice indique sa déception de devoir défendre ainsi le sujet de son film. « On ne peut pas traiter ces femmes à la fois de victimes et de coupables - estime-t-elle – il y a tellement de clichés qu'on projette sur ce voile et sur ces femmes que mon projet c'est justement de montrer que derrière il y a des individualités, des gens comme moi, comme nous, avec des différences et des difficultés. Le film sert à ça : les entendre. Et j'espère juste que les avoir entendues vous aura un peu alimentés dans votre réflexion pour aller vers l'autre ! »
Le poids du regard de l'autre posé sur elles, c'est bien ce que vivent ces femmes chaque jour. Leur association se dit ouvertement féministe. Ce qu'elles revendiquent c'est la juste place qui est la leur dans la société française comme dans la communauté musulmane.
« On est Françaises ; on vit en France. Et on n'est pas responsables de ce qui se passe ailleurs » dit ainsi Fouzia quand on l'interpelle sur les droits des femmes en Afghanistan. « Il y a des voiles qui sont acceptés et d'autres pas – dit-elle encore - Quand une princesse saoudienne vient à Paris on lui ouvre les magasins malgré sa burqa ! » Des propos soutenus par Edwina qui ajoute : « on n'en est plus à revendiquer de pouvoir travailler avec notre voile mais simplement de pouvoir sortir dans la rue sans se faire cracher dessus ou insulter. »
« Le but du film : vous permettre de les écouter »
Dans la salle de cinéma, le climat est lourd. Le documentaire, lui, nous a montré des femmes souriantes, cultivées, qui débattent des écritures saintes aussi bien qu'elles partagent un gâteau ou organisent une manifestation. Des femmes qui témoignent avec pudeur et sincérité de leurs difficultés quotidiennes, des images négatives qu'on leur impose : si elle porte le voile, elle ne doit pas avoir accès à la culture ni être capable d'aider ses enfants dans leurs devoirs. De leur envie de plus en plus fréquente de ne plus sortir de chez elles pour se préserver des regards hostiles.
« Le but de mon film, n'est pas de vous convaincre, mais de vous permettre de les écouter » avait dit Lauriane Lagarde dans sa présentation.
Le chemin semble encore long pour que ces femmes soient considérées comme des citoyennes « à part entière » !
Geneviève ROY
Photos extraites du film
Pour aller plus loin :
Le film de Lauriane Lagarde « A Part entière» sera diffusé le jeudi 26 novembre à 20h45 sur toutes les chaînes de télévision locales de Bretagne : TVR (TNT canal 35, Orange canal 245, Câble numérique canal 95, Free canal 364 et en direct sur tvr.bzh) - Tébéo (TNT canal 31, Orange canal 246, Free canal 366 et en direct sur tebeo.bzh) - TébéSud (TNT canal 33, Free canal 365 et en direct sur tebesud.fr)
Des rediffusions seront programmées les jours suivants.