Longtemps on a opposé le féminisme et les religions, accusées d'être responsables de l'oppression des femmes. Depuis quelques années de nouveaux courants semblent se dessiner. Après le Comité de la Jupe en France et les revendications de certaines femmes musulmanes à être considérées aussi comme des féministes, et alors que l'Eglise anglicane ordonne les femmes à l'égal des hommes, les voix sont de plus en plus nombreuses dans les trois principales religions monothéistes pour défendre l'égalité entre les femmes et les hommes.
Depuis plus de 100 ans, l'ACF a choisi de défendre les droits des femmes dans l'Eglise catholique parce que dit la présidente départementale d'Ille et Vilaine « les revendications féministes sont tout à fait légitimes ». Une affirmation que ne démentirait pas Delphine Horvilleur, rabbin à Paris, venue présenter son dernier livre à Rennes le mois dernier. L'occasion d'aller voir de plus près si les femmes qui prient sont aussi des femmes qui luttent.
« Moi je me dis clairement féministe et le mouvement aussi » déclare Françoise Ravary-Dalibart, présidente de l'Action Catholique des Femmes 35, mouvement créé en 1906 pour défendre les curés au moment de la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat et devenu officiellement, statuts à l 'appui, une association féministe, membre du Comité de la Jupe, de la Conférence des Baptisés et cofondateur de l'association Elles Aussi qui défend la parité en politique.
« Dans l'Eglise on est un peu mal à l'aise parfois – reconnaît-elle - mais on se dit que si on veut être entendues, il faut rester pour dire qu'on n'est pas d'accord. Les femmes sont majoritaires à la fois comme pratiquantes et comme personnes qui s'engagent, pourtant dans les instances décisionnelles de l'Eglise, elles ne sont pas présentes. »
Et s'il est parfois difficile de se dire féministe dans l'Eglise catholique, il n'est pas simple non plus d'être croyante face aux mouvements féministes. « Les revendications des féministes me paraissent totalement légitimes. Le droit à l'avortement je suis pour tout comme le mariage pour tous » dit encore Françoise Ravary-Dalibart qui pourtant a souvent du mal à trouver sa place dans les modes d'actions des associations féministes dont « les formes ne [lui] conviennent pas toujours. »
Suite à la vague rose et bleue de la Manif pour tous, « l'Eglise a une certaine image dans la société civile – regrette-t-elle encore – et on prend ça en pleine figure de temps en temps. Pourtant dans l'Eglise les positions ne sont pas tranchées et les avis très divergents. Mais on ne montre que le négatif... Nous, on n'a pas trouvé les moyens ou le courage de nous manifester ! »
Un accès égalitaire à l'interprétation religieuse
Des divergences que revendiquent également Delphine Horvilleur concernant sa confession. « Les traditions religieuses ont toujours parlé par des voix plurielles et il faut aujourd'hui être capable d'entendre toutes ces voix et d'entendre les débats internes à ces traditions religieuses – expliquait-elle à l'occasion de sa conférence le 19 mars à Rennes - Il n'y a pas de consensus, et le judaïsme insiste particulièrement là-dessus parce qu'au cœur de la tradition juive il y a un amour du débat et un refus de l'accord absolu. En réalité, le judaïsme chérit un certain désaccord. »
Celle qui a été obligée de quitter la France pour avoir accès à une école rabbinique mixte a très tôt fait le choix de défendre l'égalité. « J'ai grandi dans un monde où la religion, l'identité juive avaient une place importante dans ma construction identitaire, dans mon intégration au sein du judaïsme en tant que jeune, juive, française – dit-elle encore - et il m'a semblé qu'il y avait des voies alternatives, un questionnement autour de l'accès égalitaire des hommes et des femmes à l'interprétation religieuse. »
Aussi a-t-elle décidé de devenir rabbin, une fonction aujourd'hui occupée par seulement trois femmes en France où le judaïsme libéral n'est pas majoritaire contrairement aux Etats-Unis où la jeune femme a suivi sa formation.
Pour elle, promouvoir le féminisme et l'égalité femmes/hommes dans les religions est non seulement possible mais c'est une urgence. « Je crois qu'on en a le devoir – dit-elle – lorsqu'on relit la Bible on se rend compte qu'il y a de grandes héroïnes qui incarnent le féminin, qui sont capables de prendre leur destin en main, de changer l'histoire. »
Parler aux femmes ou parler des femmes
Comme la rennaise Zahra Ali, féministe musulmane, Delphine Horvilleur déplore que les hommes aient trop longtemps confisqué les textes religieux. « L'interprétation a été faite à travers les siècles uniquement par les hommes et bien souvent pour les hommes, et on a fait taire les voix du féminin ; on a continué à parler des femmes mais on a cessé de parler avec les femmes – explique-t-elle - Aujourd'hui on est dans un temps de révolution au sein des pensées religieuses qui est le temps d'accès des femmes aux textes ; ça suscite une réflexion renouvelée non seulement sur les femmes mais sur les genres en général, sur le masculin et sur le féminin. »
De son côté, la militante musulmane, auteure du livre « Féminismes Islamiques » en 2012, relevait lors de la présentation de son ouvrage, la mauvaise lecture du Coran et « les lois édictées par une élite d'hommes qui lisent les sources selon leur bon vouloir et qui imposent une vision patriarcale de la religion. »
Trois religions, trois femmes. Une même idée : on peut être croyante et revendiquer les luttes féministes. D'ailleurs, Françoise Ravary-Dalibart, rappelle que le mouvement qu'elle préside aujourd'hui est d'abord un lieu de parole et d'écoute non mixte car « il y a encore des femmes qui ont besoin d'un lieu pour exprimer entre elles sans le poids du conjoint des souffrances personnelles dans leur couple ou par rapport au divorce par exemple » Et elle cite le livre blanc sur les violences faites aux femmes réalisé dans les années 80/90 par son mouvement.
« Quand on utilise le religieux pour justifier notre revendication d'égalité on a tout gagné – dit de son côté Zahra Ali – parce qu'on s'adresse à des femmes pour qui c'est le référent majeur et on leur dit : non seulement ce que vous vivez est injuste mais Dieu n'est pas d'accord avec ça ! »
Homme et femme côte à côte
Pour répondre à certains religieux israéliens qui voilà quelques années demandaient aux femmes de s'éclipser de l'espace public « en violation totale de la mixité et de la parité si chère à la société israélienne », Delphine Horvilleur, elle, a choisi d'écrire « En tenue d'Eve » parce que dit-elle « la dimension des religions dont on entend le plus parler aujourd'hui malheureusement c'est sa difficulté à gérer la place des femmes dans l'espace public et à concevoir que ces femmes puissent exister dans l'espace public sans avoir à se cacher. »
Elle y montre comment les religions tentent de priver les femmes de ce qui les rend « sujet pensant et parlant » c'est-à-dire leur tête. « Le visage ou la voix des femmes qu'on essaie de masquer sont précisément chez l'homme des organes qui le définissent comme sujet, les organes du logos ; sa possibilité d'exprimer par son visage, ses expressions et sa voix, ses opinions, deviennent des zones sexuelles chez la femme qui est ainsi amputée de ce qui ferait d'elle pleinement un sujet et non pas simplement un être sexuel. »
Pour elle, à un accent près les choses auraient pu être tellement différentes ! Elle démontre en effet qu'une erreur (?) de traduction a fait naître Eve de la côte d'Adam alors que le texte initial la voyait simplement apparaître au côté du premier homme.
« A un accent près en français, la traduction a des conséquences majeures, phénoménales, politiques et sociologiques. Considérer que le féminin premier, la première femme, est sortie de la côte de l'homme, c'est placer immédiatement dans l'histoire le féminin comme étant un élément de soutien, d'assistance. Etre capable d'envisager, comme semble-t-il le suggère l'hébreu, que l'apparition de la femme se fait côte à côte, c'est installer une relation entre le masculin et le féminin premiers comme une relation de sujet à sujet et non pas d'objet à sujet. Donc on peut s'imaginer que les conséquences de cette mauvaise traduction auraient été fort différentes sur notre civilisation ! » Une façon d'illustrer sa conviction que « lorsque les hommes et les femmes mêlent leurs voix à l'interprétation des textes, tout le monde est gagnant. »
Geneviève ROY
Pour aller plus loin
L'interview de Zahra Ali réalisée en décembre 2012 à l'occasion de la présentation à Rennes de son livre.
Livre "Les pieds dans le bénitier" de Christine Pedotti et Anne Soupa, fondatrices du Comité de la Jupe - Presse de la Renaissance (2010)