Vincent Lavoué est né en 1976 ; il a presque le même âge que la loi Veil. Gynécologue obstétricien, il a toujours pensé que l'IVG était « un acte médical comme un autre ».
Depuis cinq ans, il est responsable du centre IVG au sein du service de gynécologie obstétrique de l'hôpital sud de Rennes.
Il reconnaît que ce n'est pas tout à fait comme ailleurs. « On ne m'a jamais demandé ce que je pensais de l'accouchement » plaisante-t-il en évoquant le nombre de fois où on le sollicite pour un article, une conférence ou un débat sur le thème de l'interruption volontaire de grossesse.
« Nous sommes dix personnes à travailler au centre IVG, quatre hommes et six femmes ; le service a longtemps été masculin mais avec les départs en retraite, ce sont surtout des femmes qui arrivent – explique le docteur Lavoué – Un certain nombre de médecins, les plus âgés, en ont fait un acte militant. Moi, j'ai fait exactement le chemin inverse. Je suis arrivé en disant : ça fait partie de mon métier ! Et en fait, c'est un peu plus compliqué. Que je fasse un accouchement, une hystérectomie ou une IVG, pour moi il s'agit toujours des mêmes patientes. Mais en ce qui concerne l'IVG, c'est un acte qui est défini par la loi ; ce n'est pas une pathologie qui dit qu'il y a besoin d'un acte médical. Et c'est un acte qui fait encore débat ! Du coup, avec l'IVG on sort de la sphère purement médicale et ça devient une sphère aussi politique ! »
L'IVG, ni valorisant, ni rentable
Et c'est tellement vrai que certains praticiens continuent, quarante ans après le vote de la loi, à faire valoir leur clause de conscience pour refuser de pratiquer l'IVG. Un refus que leur permet la loi et qui selon Vincent Lavoué ne remet pas en cause l'accès à l'IVG pour toutes les femmes. « En tout cas, pas à Rennes – précise-t-il – puisque le centre de l'hôpital sud existe et qu'il ne refuse personne ! »
Néanmoins, il reconnaît que pratiquement toutes les IVG de Rennes sont pratiquées chez lui et en tout cas toutes dans les services hospitaliers publics*. « Si vous appelez dans d'autres structures que la notre, on va vous dire de venir ici. En France, pour 800 000 naissances vivantes on compte 200 000 IVG, soit une grossesse sur cinq, si on enlève les fausses couches ; donc dans toutes les structures qui font des accouchements on devrait avoir une grossesse sur cinq qui correspond à une IVG et quatre grossesses sur cinq à une naissance ! Or, ici, nous avons 4000 accouchements par an pour 2000 IVG, soit une sur trois ! Donc, c'est qu'elles ne sont pas faites ailleurs ! Pourtant, ce sont les mêmes dames qui sont acceptées pour un accouchement dans les autres structures ! »
La cause pour lui ne se situe pas du côté de la mauvaise volonté mais plutôt du côté financier. « Outre qu'il n'est pas valorisant, cet acte n'est pas rentable ; les structures perdent de l'argent avec l'IVG – explique-t-il – La limitation de l'accès, ce n'est pas un défaut de l'application de la loi, c'est un défaut de moyens des hôpitaux. Si on prend la Bretagne, les contraintes d'accès se trouvent dans des villes où les hôpitaux peinent à se maintenir ; si la maternité est en difficulté parce qu'il y a peu d'accouchements, la priorité c'est de maintenir une maternité et l'IVG peut être une question qui passe après. C'est aussi à cause de l'irrégularité de la demande. Pour une petite structure qui va faire 100 IVG par an, on a une moyenne de deux par semaine, mais ça peut être six une semaine puis zéro pendant trois semaines.» Difficile dans ce cas-là de mobiliser des locaux vides et des personnels inoccupés !
Dissocier l'accueil et la pratique
Pour lui, la solution réside peut-être dans la façon de poser le problème. S'il conçoit que les IVG soient concentrées dans les grands centres hospitaliers où on peut disposer de locaux séparés pour la maternité et l'IVG, où les médecins et personnels soignants sont plus nombreux, il pense que l'accueil des femmes en demande d'IVG pourrait, lui, se faire partout. « Il faut dissocier la question de l'accueil et celle de la réalisation de l'IVG – dit-il – Une femme qui souhaite une IVG doit pouvoir trouver les réponses à ses questions auprès de professionnels de la santé près de chez elle. » Un travail dont se chargent notamment les associations, mais regrette Vincent Lavoué « les associations comme le Planning Familial, sont aussi dans les villes ! »
Le docteur Lavoué qui croyait ces questions derrière nous, a été étonné de voir resurgir des débats plutôt vifs concernant l'avortement à l'Assemblée et ailleurs, à l'occasion de la suppression voilà quelques mois de la notion de détresse inscrite dans la loi Veil.
« Pour nous médecins, ça ne change rien – dit-il – Nous ne demandons jamais aux femmes une quelconque justification à leur demande. La question de détresse est personnelle ; nous avons des infirmières, des psychologues, des conseillères conjugales qui sont à l'écoute, mais de toute façon, nous ne refusons personne. »
Plus qu'une question de femmes, une question de société
Autre sujet de discussion : le délai de sept jours imposé par la loi entre le premier entretien au centre IVG et l'acte lui-même. « Pour la grande majorité des patientes, je pense que ça ne sert à rien – estime le gynécologue – A partir du moment où les femmes franchissent la porte du centre, c'est qu'elles ont pris leur décision. Par ailleurs, sept jours, c'est à peu près le délai qu'il nous faut pour organiser les choses. » Le médecin reconnaît toutefois que près de 10% des patientes reçues en entretien ne se représentent pas sept jours plus tard pour l'intervention.
« Il y a autre chose que j'ai appris en faisant des IVG – dit encore le docteur Lavoué pour conclure l'entretien – Les associations féministes en font un droit des femmes. Moi, je pense que c'est plus large que ça ; c'est un droit de société ! Bien sûr, ce sont les femmes qui sont enceintes, mais si on veut arriver, comme nous le souhaitons, à « normaliser » l'IVG et à en faire un acte médical comme un autre, il faut que ça concerne toute la société et pas seulement les femmes. Nous avons près de la moitié des patientes qui viennent en couple pour demander une IVG et il est souhaitable que cette décision se prenne à deux, en tout cas que ça ne reste pas un débat féminin ! »
Geneviève ROY
* - Le docteur Lavoué précise qu'il parle de l'IVG "de structure" c'est-à-dire celle pratiquée dans les cliniques ou les hôpitaux. Il existe à Rennes des médecins de ville (généralistes et gynécologues) qui assurent des IVG médicamenteuses ; ils sont au nombre de dix et ont passé une convention avec le CHU de Rennes. Ils réalisent entre 100 et 150 IVG par an. "Il faut pouvoir leur rendre hommage pour leurs investissement - dit Vincent Lavoué - car ils permettent par leur action de normaliser l'activité IVG."
Modification du 16 janvier :
A la veille de l'anniversaire de la loi Veil, Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, a présenté un nouveau programme d'action en faveur de l'accès à l'IVG.
Ce programme se décline en trois axes : l'accès à l'information, la simplification du parcours des femmes et la garantie d'une offre diversifiée sur tout le territoire. Il comprend des mesures attendues comme la création d'un numéro national sur la sexualité, la contraception et l'avortement, l'extension du remboursement à 100% des actes jusqu'alors non pris en charge (biologie, échographies...) ou la possibilité pour les centres de santé de réaliser des IVG instrumentales.
Pour aller plus loin : le site du ministère dédié à l'IVG