Aux Ateliers du Vent, pour le premier festival Dangereuses Lectrices , les 28 et 29 septembre, il y avait plus de vélos que de balais sur le parking.
Et pourtant, le mot le plus prononcé ce week-end fut sans aucun doute le mot « sorcière ». Une figure féminine qui revient en force malgré l'acharnement qu'on a mis durant des siècles à la faire taire. Conférences, table ronde, discussions diverses lui étaient consacrées.
Et si l'invitée du dimanche, Eliane Viennot, a davantage parlé de la reféminisation de la langue française que de recettes de potion magique, pas de doute que pour quelques académiciens, elle fait bien figure de sorcière tant se détermination est grande à répéter que « non, le masculin ne l'emporte pas sur le féminin » !
Il y a celle qui ne se sent pas « légitime » mais accepte qu'on lui attribue ce nom ; celle qui considère que pour l'être vraiment il faut avoir « une pratique » ; et puis toutes celles qui les écoutent et qui pensent sans doute qu'elles le sont forcément puisqu'elles sont féministes, c'est-à-dire rebelles !
Aux Ateliers du Vent à Rennes pour ce – très réussi - premier festival Dangereuses Lectrices c'est la figure de la sorcière qui était interrogée par les lectrices et les autrices réunies pour deux jours sous le signe de l'écriture et de la lecture comme « activités fondamentalement émancipatrices ».
Le retour des sorcières ?
« Femme en marge, en butte à la haine des hommes, la sorcière est celle qui, par son pouvoir et sa liberté, effraie autant qu'elle séduit » expliquait l'équipe organisatrice du festival. Comme l'a démontré Mona Chollet dans son ouvrage, la sorcière du 21ème siècle est celle qui est souvent définie comme une femme « trop » (trop libre, trop indépendante) ou « pas assez » (pas assez féminine, pas assez mère).
Un public très nombreux, très jeune et très majoritairement féminin, s'est pressé ce week-end comme pour dire bien fort que les sorcières sont de retour et n'ont peut-être jamais été aussi nombreuses.
A la question posée « être sorcière, qu'est-ce que ça veut dire aujourd'hui ? » il semblerait que chacune ait sa propre réponse. Pour l'illustratrice et romancière Diglee, ne peut être nommée sorcière que celle qui a des « pratiques magiques ». « Il y a la dimension spirituelle et la dimension militante et il ne faut pas tout mélanger » précise de son côté la blogueuse Taous Merakchi. Tandis que la cinéaste Camille Ducellier revendique pour sa part sa « sorcellerie » dans son « mille-feuille identitaire ». « A un moment de ma vie où j'étais à la fois passionnée par des lectures ésotériques et baignée dans une culture féministe, ce terme a été réconciliateur – a-t-elle expliqué - ça me compose, ça fait partie de mon identité ! »
Dangereuses autrices ?
Face aux lectrices en recherche d'émancipation, les conférencières se sont succédé. On a encore parlé de sorcières avec Laura Nsafou, vu du côté de la diaspora africaine, et avec Fanny Bugnon qui explore l'histoire notamment à travers des procès de femmes, présumées coupables d'emblée parce que femmes. Avec Martha Diomandé, c'est l'exciseuse, héritière de savoirs et de pouvoirs, qui s'invitait pour clore le week-end.
Avant elle, la linguiste Eliane Viennot a su passionner un auditoire nombreux par des histoires d'accords et de conjugaison. Elle avait intitulé son propos « dangereuses autrices » en clin d'œil à un terme qui suscite de nombreux débats depuis quelques années parce qu'il « arracherait les oreilles » de certaines personnes.
« Quand on dit auteur ou écrivain, ce n'est pas du neutre qu'on emploie mais bien du masculin » a insisté la conférencière rappelant qu'elle n'appelait pas à la « féminisation » des mots mais plutôt à leur « dé-masculinisation ». Car la langue française fut autrefois plus riche qu'aujourd'hui et on a « oublié » nombre de mots qui pourtant étaient reconnus par les grammairiens et qu'on retrouve sous les plumes les plus éminentes. « C'est une affaire de société avant d'être une affaire de langue – a-t-elle déclaré – la langue française sait parler égalitairement ».
Derrière les mots, quels pouvoirs ?
Alors pourquoi inventer des mots quand ils existent déjà ? Et Eliane Viennot en appelle à toutes et à tous : « j'invite – dit-elle - à dire « professeuse » évidemment puisque c'est le bon mot et j'aime beaucoup dire que Voltaire n'en a jamais connu d'autres ! » Et tant pis si votre correcteur d'orthographe le souligne en rouge ! De même, Eliane Viennot aime citer des exemples d'emploi de « écrivaine » dès le 13ème siècle ou de « autrice » au 15ème siècle.
« Ce qui les énerve – s'amuse-t-elle avec son public – ce ne sont pas les mots, ce sont les dames ! Il y a des dames au début du 17ème siècle qui commencent à faire carrière dans les lettres et c'est insupportable pour ces messieurs ! » En effet, la condamnation d'un certain vocabulaire est bien la « la conséquence de l'arrivée des femmes sur les terrains de la parole publique, de la pensée, de la création ».
De même qu'on avait brûlé les sorcières qui osaient faire profession de santé, on brûla symboliquement celles qui osaient faire profession d'écriture ! La femme lettrée, une sorcière comme les autres ? C'est peut-être l'idée qui se cache derrière ces « dangereuses lectrices » qu'on espère encore nombreuses et tout aussi impertinentes l'an prochain pour une seconde édition du festival que chacun-e en sortant appelait déjà de ses vœux !
Geneviève ROY