C'est parce qu'elles avaient compris qu'elles pouvaient utiliser le cinéma comme arme de lutte politique mais qu'elles avaient peu ou pas accès aux formations classiques que les féministes des années 70 se sont emparées des techniques de vidéo.
Il nous reste aujourd'hui des images d'archives formidables que des universitaires ont décidé d'ouvrir au grand public sur la plateforme Bobines Féministes. Une jolie manière de célébrer au printemps prochain le cinquantenaire du mouvement de libération des femmes en France.
Pour ouvrir la saison des Mardis de l'Egalité, Hélène Fleckinger, maîtresse de conférence à l'université de Paris 8, a donné à Rennes un petit aperçu de ces pépites de militantisme.
1970/2020. Cinquante ans de lutte des femmes et de combats pour l'égalité. Si cet anniversaire sera sans doute largement célébré au printemps prochain, c'est dès maintenant que Hélène Fleckinger a voulu, à l'invitation du mouvement HF Bretagne, mettre à l'honneur ces femmes militantes, qui ont construit les archives des toutes premières années du mouvement de libération des femmes.
Il s'agissait alors, comme le rappelle la conférencière, d'un « mouvement informel, sans carte, sans adhésion, non mixte » autonome par rapport aux organisations syndicales ou politiques qui s'inventait « dans l'action et dans l'expérimentation ». A son image, les réalisatrices qui ont voulu montrer leurs sœurs en lutte ont choisi de sortir des chemins déjà balisés. La caméra est devenue pour elles un moyen d'expression parmi d'autres : chansons, photos, tracts, affiches, etc. Et comme elles étaient peu nombreuses dans les rangs des cinéastes reconnus (3% en 1969) et qu'elles n'étaient pas formées aux techniques argentiques classiques, elles se sont tournées vers la nouveauté.
« Une optique d'intervention sociale et politique »
Apparue au tout début des années 70 en France, la vidéo dite légère a d'emblée répondu à leurs besoins. Et elles ont su s'en servir avant que les hommes ne les accaparent. Cette nouvelle technique leur permet de travailler en autonomie, rapidement puisqu'elle ne nécessite pas de développement de pellicule, et pour un moindre coût.
Autrement dit, c'est un outil idéal de contre-pouvoir pour accompagner les luttes et diffuser des témoignages ou montrer des actions ; un peu comme « une double libération : celle des femmes et celles des images ».
Très vite de nombreux collectifs de femmes se mettent en place. Dans une « optique d'intervention sociale et politique » elles se donnent pour mission notamment de recueillir des paroles de femmes sur des sujets totalement occultées par les cinéastes en place ou la télévision de l'époque : l'avortement, la contraception, le viol, la sexualité bien sûr mais aussi tout ce qui fait la vie des femmes au quotidien : la grossesse, l'éducation des enfants, le travail domestique. Ce sera aussi un outil d'expression très prisé des ouvrières en grève.
« Des médias de groupes et non pas des médias de masses »
La place des femmes dans le monde de l'image reste infime, certes, mais en 1979 le nombre des réalisatrices a tout de même été multiplié par trois pour passer à 9%. Leur travail a permis de « montrer de nouveaux points de vue, de proposer de nouvelles histoires, de nouveaux récits ». C'est l'autre moitié de la population française qui s'est soudain exprimé, apportant son regard sur un monde jusqu'alors « infirme, mutilé, privé de la vision des femmes » comme l'écrivait en 1974 Viviane Forrester, citée par Hélène Fleckinger.
Dans ce « nouveau média sans passé, sans usage prédéfini par les hommes » les femmes ont trouvé une façon souple d'organiser leur travail ; seules, elles pouvaient filmer, monter, réaliser... L'historienne y voit aussi « une manière de casser la division du travail entre le manuel et l'intellectuel ou l'artistique », mais souligne une difficulté : la diffusion. En effet, les lieux dans lesquels les images pouvaient être partagées n'étaient alors équipés que de projecteurs argentiques et les premières vidéastes étaient obligées de transporter leur propre matériel, inventant ce qu'on appellait la « vidéo brouette ».
Ce qui explique sans doute qu'on parle aussi à l'époque de « média de groupes et non pas médias de masse ». Cependant, si le public touché était peu nombreux chaque projection se prolongeait par des échanges et des discussions propres à expliquer et alimenter les luttes politiques. Et Hélène Fleckinger se plaît à rappeler que ce sont les « vidéos féministes qui étaient les plus demandées » et qu'elles ont permis un « essaimage des questions féministes dans le cinéma de fiction » où l'on commence alors à parler de « films de femmes ».
Geneviève ROY
Pour aller plus loin :
La plateforme numérique Bobines Féministes, très prochainement en ligne, regroupera des archives sonores et audiovisuelles accessibles au grand public.