A l'initiative du Comité Laïcité 35 de Rennes, et dans le cadre des journées des droits des femmes, Chahla Chafiq, sociologue et écrivaine iranienne, a ouvert le débat ce jeudi 2 mars à la Maison Internationale de Rennes, pour parler de laïcité mais aussi de diversité.
Une occasion pour dénoncer les enjeux que soulèvent ces deux termes sur la question d'égalité femmes-hommes.
Dans un contexte où diversité et laïcité ne font pas toujours bon ménage, le principe d'égalité entre les hommes et les femmes est mis de côté. Le Comité Laïcité 35 donne ainsi le ton dès le discours introductif de cette conférence, parlant de la laïcité comme « le pilier de notre pacte républicain ». Un terme dont l'histoire mouvementée, a défini la séparation entre l'État et l'Église depuis la loi de 1905 en France. Cette conception de la société se heurte aujourd'hui à un nouveau terme, tout aussi riche de sens, qu'est la diversité.
Pour répondre à cette question polémique, Chahla Chafiq utilise son parcours personnel. Exilée d'Iran depuis 1983 en raison de son engagement dans les partis de gauche, son arrivée en France a été un véritable choc pour elle. Elle y dénonce un pays plongeant dans le conformisme à partir des années 80, se heurtant à une inertie progressive. Gardant en tête l'image d'un pays animé par de nombreuses questions, elle se heurte à un conformisme en pleine évolution, en particulier dans les universités, où elle est surprise du silence omniprésent dans les amphis. Ce manque de débats et de questionnements sociétaux et politiques l'interpelle quant à son propre engagement militant et son expérience révolutionnaire de 1979.
« Aucune culture n'est pure, il y a toujours eu des mélanges »
Les mots de la sociologue ont pu paraître à certains empreints de cynisme vis à vis de la France, mais pourtant, force est de constater qu'ils s'accordent avec son actualité. Elle y souligne ainsi l'importance d'un lieu interculturel où se joue un enjeu national, dans un contexte de campagne électorale, parlant de la France sans toutefois la nommer explicitement. Les quelques rires gênés dans la salle répondent aux affirmations de la sociologue.
Rappelons que les années 80, sont pour la France celles de l'émergence du Front National et de ses discours liés à l'immigration qui rejettent l'idée même de diversité et usent d'arguments jugés pragmatiques. Chahla Chafiq souligne toutefois l'importance de cette diversité qui habite la France et que cette dernière ne peut nier. Comment ne pas parler d'identité lorsque le terme de diversité est prononcé ? La sociologue parle d'une France en pleine quête identitaire durant cette période électorale mouvementée.
« Aucune culture n'est dite pure - rappelle Chahla Chafiq - car il y a toujours eu des mélanges entre les civilisations, au niveau des espaces, du temps et des rencontres. Nous parlons sans cesse d'identité et désormais, de manière exacerbée ». La sociologue appuie sur le point central de cette quête d'identité, désormais mise à toutes les sauces, et qui néglige les fameuses nuances apportées par la réalité du terrain. La diversité devenant ainsi le fil rouge d'une question politique majeure : le rapport à la citoyenneté et notamment pour les femmes. Le mot citoyenneté est apparu pendant la Révolution Française ; pourtant, malgré la Déclaration reconnaissant la diversité, « celle-ci ne concerne qu'une tranche de la population, autrement dit, les hommes » rappelle Chahla Chafiq, les femmes n'étant citoyennes que « de manière indirecte ».
« Les idées circulent trop vite, les savoirs ne sont pas toujours vérifiés »
Pour le mouvement des femmes, la sociologue soulève là aussi un problème de formulation, creusant le clivage entre le débat académique et social, faute de nuances dans les propos. Tous les mouvements semblent selon elle, devenir une quête identitaire. Elle prend comme exemple le Féminisme Islamique qui émerge pendant les années 95. « On cherche à donner une identité pour tout, or une identité englobe une idée générale mais rien ne peut être général, car la nuance est partout - constate Chahla Chafiq - Une généralité ne peut définir une réalité dans toute son entièreté. De plus, nous sommes dans un contexte où le développement des réseaux sociaux est très important. Les idées circulent trop vite, on a accès à trop de savoir qui n'est pas toujours vérifié. »
Aller voir par soi-même ce qui se passe réellement sur le terrain permettrait de constater l'existence d'une réelle diversité, qui ne serait pas seulement théorique. « En voulant être universaliste, on crée de nouvelles cases, de nouvelles étiquettes - dit encore la sociologue - mais les conséquences de ces concepts amènent à se perdre dans sa recherche identitaire, à perdre le sens profond de sa pensée et de ses combats, et cela ne favorise en rien l'égalité entre les hommes et les femmes». On en oublierait presque à quel point l'humain ne peut se définir d'une seule façon, étant donné sa pluralité.
Une pluralité que Chahla Chafiq utilise aussi pour définir les médias. « De par leur circulation beaucoup trop rapide, les informations ne sont pas bien assimilées dans leur ensemble et ne donnent pas l'occasion aux citoyen-ne-s de réfléchir, de s'interroger sur leur rôle face à l'actualité et à son traitement médiatique - explique t-elle - Cette absence de réflexion reflète une société à part entière, et l'état d'esprit de sa population ». Car ce manque d'exigence et de responsabilités vis à vis des médias, ne permet pas le développement d'une réflexion critique.
Le constat de la sociologue dévoile ainsi un véritable engagement envers les médias, qui donneraient un nouveau souffle de résistance face au conformisme ambiant. Car selon elle, prendre véritablement conscience du monde dans lequel on évolue permettrait de développer un esprit critique et une intelligence collective, face à cette diversité qui marque notre société actuelle. Et ainsi, donner une chance à l'égalité entre les hommes et les femmes « dans un monde où la connerie devient générale » termine Chahla Chafiq, un éternel petit sourire aux coins des lèvres.
Louise Pillais