Agnès est sage-femme. Elle est aussi écrivaine. Alors pour dire sa colère et son indignation, pour réagir aux propositions faites cette semaine par la ministre de la Santé, elle a choisi de s'exprimer comme elle aime et sait le faire : elle a écrit.
Elle s'interroge sur cette surdité collective, au bout de près de cinq mois de grève que personne ne semble prendre en compte, et se demande si finalement le vrai problème ne serait pas juste qu'il s'agit d'une revendication de femmes pour des femmes !
Elle nous offre son témoignage.
« J'ai mal à ma profession.
Une crampe. Une grosse crampe qui ne passe pas, et sur laquelle on frapperait violemment pour en augmenter la douleur.
Quatre mois et demi de lutte et au final, juste le sentiment qu'on nous donne des choses que nous avons déjà (le statut médical), qu'on nous refuse des choses que nous ne demandions pas (le statut de médecin).
J'ai mal à ma profession car j'aime mes patientes, et ce sont elles qui essuieront les éclats de ces bombes qui sont en train d'exploser dans cette guerre multifocale, entre les médecins et les sages-femmes, entre les sages-femmes elles-mêmes. Et dire qu'on va nous reprocher cet état de guerre, comme certains reprochent à la femme violée d'avoir porté une jupe trop courte : «Tu l'as bien cherché !».
Mais nous, nous cherchons quoi ? Juste le respect de notre travail, de nos compétences, inscrites dans le code de la santé publique depuis déjà si longtemps. Il paraît que nous ne pouvons pas avoir le même statut que les médecins, les pharmaciens et les dentistes, pourtant à nos côtés dans les textes, parce que nous ne prenons pas en charge des «malades». Pardon. Nous prenons en charge la santé des femmes. En effet, c'est nettement moins louable, Monsieur Couty.
Mais quand j'ai en face de moi, pour la rééducation de son périnée, cette patiente qui a vécu des années d'inceste par son père et par son oncle, et qui, à 50 ans, me demande, à travers mon accompagnement émotionnel au fil des consultations, de lui apprendre à dire «non», je trouve mon travail louable.
Quand je pose un stérilet à cette patiente de 22 ans qui en est déjà à sa troisième grossesse dont deux non désirées, faute de contraception efficace, et qui n'avait personne pour le faire avant plusieurs mois (à l'hôpital), je trouve mon travail louable.
Et toutes ces patientes enceintes, que j'ai orientées vers un service d'urgence, parce que moi, petite sage-femme, pourtant indigne d'un statut PH parce que ne traitant pas les malades, j'ai été formé au dépistage de la pathologie, et que, concernant l'une ou l'autre de ces femmes, je leur ai peut-être sauvé la vie, je trouve mon travail louable.
J'ai peur de comprendre le fond du problème. J'ai peur et j'ai mal à mon deuxième X. Parce qu'au fond, c'est quoi une sage-femme ? C'est une femme qui s'occupe des autres femmes, qui les accompagne dans leur santé physique, émotionnelle, dans leur sexualité surtout, puisqu'il en a bien fallu une pour être enceinte, dans leur sexualité encore quand elles demandent une contraception. La sage-femme ouvre à la femme le chemin des possibles vers la liberté. La liberté de disposer de son corps, dans son accouchement, dans sa vie de couple, dans la société.
J'ai peur que ce soit ça qui coince, dans cette société qui n'arrive toujours pas à donner à la femme les mêmes droits humains qu'à l'homme.
Alors quand en plus la sage-femme revendique cette même liberté, cette fois-ci de disposer de son art, et cerise sur le gâteau, d'être reconnue pour cela, c'en est trop. On la piétine, on la ridiculise. A une époque, on la brûlait comme une sorcière. Autres temps, autres mœurs. Le résultat est sensiblement le même. Une crampe dans le cœur.
J'ai mal à ma profession, mais j'en suis fière. J'en suis fière à un point que vous n'imaginez même pas, parce que sur mon lit de mort, quand je regarderai le passé, j'aurai devant les yeux ces femmes que j'aurai un jour prises par la main pour les accompagner vers ce chemin de liberté.
Et ça, ça, personne ne pourra me l'enlever. »
Agnès LEDIG, sage-femme et écrivaine