Aujourd'hui entre 100 et 140 millions de filles et de femmes sont encore concernées par l'excision dans le monde. Bien qu'interdite par la loi dans de nombreux pays et dénoncée par l'ONU, cette pratique se poursuit principalement en Afrique et au Moyen Orient. Certains en appellent à la religion d'autres à la tradition pour justifier l'injustifiable. En cette journée internationale de lutte contre les mutilations sexuelles féminines, la fédération nationale GAMS soutient le projet « l'excision parlons-en » destiné notamment à travers un site Internet à informer et sensibiliser de la plus large façon possible sur cette atteinte aux droits des femmes. Au milieu des derniers préparatifs pour la journée Miss Africa du 8 février à Rennes, Martha Diomandé, présidente de l'association ACZA 35, a fait l'aller-retour à Paris pour participer au colloque. Son combat, elle y croit même si elle est consciente qu'il faut du temps pour changer les mentalités.
Quand elle est arrivée voilà dix ans à Rennes, Martha Diomandé ne voulait pas entendre parler de l'excision. « C'est l'Europe qui m'a ouvert les yeux » dit-elle aujourd'hui. Pourtant, pour elle le combat reste l'affaire des africaines : « c'est la femme africaine qui doit pouvoir défendre sa cause » résume-t-elle.
C'est donc forte de son expérience personnelle qu'elle a fondé l'association ACZA 35 et retourne trois fois par an dans son village de Côte d'Ivoire à la rencontre des matrones, ces femmes « puissantes » qui pratiquent l'excision et défendent la tradition.
Si Martha reconnaît que l'accompagnement des européens – et du monde entier – dans cette lutte est importante, elle soutient aussi qu'il faut d'abord approcher et comprendre les mentalités locales notamment dans ces zones rurales qu'elle connaît bien dans l'Ouest de la Côte d'Ivoire où la tradition animiste est encore très prégnante. « Le combat doit commencer d'abord dans les zones rurales en Afrique – explique t-elle – Et il faut que les femmes arrêtent de se présenter comme des victimes. Moi, quand j'ai été excisée, à l'âge de 7 ans, je n'ai pas lu dans les yeux des femmes qu'elles voulaient me tuer. J'ai vu une fierté de femmes qui pensaient que j'étais devenue comme elles. » C'est aussi de là qu'elle tient sa légitimité auprès des matrones : « si tu n'es pas excisée, elle ne t'écoutent pas »
Ce que Martha a appris en Europe c'est qu'il était important aujourd'hui de briser le tabou de l'excision et d'aborder la question des souffrances et des conséquences de cette mutilation notamment au moment de l'accouchement. Mais elle a su prendre le temps nécessaire. « On n'est pas allées tout de suite pour dire aux femmes qu'on venait éradiquer l'excision – raconte-t-elle – on a commencé par un projet de développement durable et quand on a vu que 150 matrones s'intéressaient à notre projet on a commencé les formations. On a constaté que toutes les femmes de ces zones rurales étaient accouchées par les matrones car il n'y a pas de sage-femme dans ces villages ; alors, on a proposé des formations pour que les matrones remplacent l'excision par l'accouchement ». Et l'association prévoit aussi de construire des « cases de matrones » pour que les accouchements se fassent dans les meilleures conditions d'hygiène.
Miss Africa, c'est une couverture !
Danseuse et chorégraphe à Rennes, Martha se partage entre son pays et la France. Mais son combat l'accompagne partout. Ainsi la journée Miss Africa programmée chaque année au moment de la journée internationale de lutte contre les mutilations génitales féminines n'est rien d'autre que le second versant de l'activité de l'ACZA.
« Miss Africa, c'est une couverture pour attirer les jeunes filles » dit Martha d'une façon un peu énigmatique. Si elle cherche à attirer les jeunes Françaises originaires d'Afrique ou du Maghreb ce n'est pas seulement pour leur permettre de défiler sur un podium comme on a pu lui reprocher à la création de l'événement.
Derrière le spectacle et l'élection de cinq miss, l'objectif est bien de libérer la parole sur la question de l'excision et d'informer les jeunes filles. « Les conférences ne servent qu'à ceux qui sont déjà sensibilisés – se justifie Martha – on n'y voit jamais de jeunes filles. Moi, avec Miss Africa, chaque année j'arrive à toucher plus de cinquante jeunes filles et beaucoup s'engagent ensuite dans la lutte contre l'excision alors qu'elles ne s'étaient jamais posé de question sur les droits des femmes auparavant. Certaines ne savent rien, d'autres savent mais n'osent pas en parler. Nous les informons pour qu'elles puissent aussi parler à leurs copines. »
Et Martha y tient beaucoup, l'élection de Miss Africa à Rennes n'a rien à voir avec celle d'une quelconque Miss France ! Ici, pas besoin d'avoir les mensurations d'une Barbie. Si Miss Gazelle répond plutôt aux critères traditionnels des concours, Miss Awoulaba récompense les formes généreuses, Miss Amazone les formes sportives, Miss Cacao les métisses et autres antillaises et Miss Maghreb vient rappeler que l'excision, c'est aussi un problème du monde musulman.
La réparation, ça fait peur !
Depuis quelques années, l'excision est aussi au cœur du travail d'un service du CHU de Rennes où l'équipe du professeur Harlicot propose des opérations de chirurgie réparatrice aux femmes excisées.
Une démarche que Martha a du mal à comprendre. « Je suis un peu mitigée sur le travail de la réparation – explique-t-elle – Moi, personnellement, je ne le ferai jamais. Pour moi, réparer n'est pas la solution. C'est trop dur de penser à cette douleur ; je ne veux plus revivre ça ! » Plus tard, elle dira aussi : « la réparation ça fait peur ; ça réveille trop de choses ». Mais si elle ne l'envisage pas pour elle, elle soutient en revanche le travail du professeur pour les jeunes filles « violées » par l'excision, celles qui sont nées en Europe et se retrouvent piégées un jour en Afrique. « On leur vole quelque chose et elles peuvent demander réparation » reconnaît-elle. Ce que Martha espère surtout c'est qu'un jour l'excision n'existera plus et qu'alors la réparation n'existera plus non plus. Pourtant en avril dernier, en voyage dans son village de la région des 18 Montagnes, Martha a entendu parler de ces 120 fillettes de 7 à 12 ans excisées le même jour. Pour elle, la politique d'interdiction mise en place par les pays concernés n'est pas la bonne car les matrones n'ont pas peur des arrestations. « La rétention n'est pas la bonne solution – pense-t-elle – parce qu'aujourd'hui l'excision est cachée. » Martha croit plutôt au dialogue et à l'éducation.
Geneviève ROY
Lire aussi l'interview de Patrizia Morganti, sage-femme à l'hôpital sud de Rennes et membre de l'équipe du professeur Harlicot qui propose une réparation aux femmes excisées.
Pour en savoir plus : Des résultats inégaux en Afrique