« Quelles sont les avancées concrètes sur les terrains d'affrontements pour que le corps des femmes cesse d'être un champ de bataille ? » s'interroge Renée Dickason.
A Rennes 2, l'enseignante chercheuse a contribué à l'installation d'une nouvelle chaire de recherche sur « la mémoire des survivant.es et la visibilisation des viol(ence)s », inaugurée en novembre dernier en présence de son parrain le gynécologue, prix Nobel de la Paix 2018, Denis Mukwege.
Renée Dickason est historienne de la culture et des médias, civilisationniste du monde contemporain et spécialiste des mémoires de guerres et de conflits. Et c'est bien de mémoire qu'il s'agit quand elle travaille à la reconnaissance des femmes victimes de violences, le viol en particulier.
Peu importe les réalités culturelles, les femmes sont soumises aux violences que ce soit dans leur propre pays ou lors de leurs déplacements, que ce soit à leur domicile ou à l'occasion de leurs diverses activités notamment quand elles sortent travailler pour nourrir leurs familles. Un sujet qui dépasse les frontières et génère beaucoup d'autres questions dont principalement l'égalité femmes/hommes mais aussi tout ce qui touche à l'éducation et à la place et la reconnaissance des femmes dans la société. Ces violences qui alimentent tant de fictions avec force détails sont pourtant, déplore Renée Dickason, absentes des livres d'Histoire qui se montrent à cet égard « discrets, elliptiques ou incomplets ».
Lutter contre les oublis de l'Histoire
A quelques semaines seulement de l'inauguration de la Chaire et de la visite du docteur congolais Denis Mukwege en Bretagne, l'actualité nous redit que le Congo reste une terre de violences pour les femmes. L'invasion récente du Sud-Kivu après celle du Nord-Kivu rappelle que cette région des Grands Lacs d'Afrique de l'Est est le théâtre de violences indicibles.
Utilisé comme arme de guerre dans tous les conflits armés, le viol est aussi présent partout comme moyen de détruire les femmes, de réduire à néant leur vie. En France, selon le ministère de l'Intérieur, pour l'année 2023 ont été recensés 93 féminicides, 319 tentatives de féminicides et 773 suicides ou tentatives de suicides de femmes ayant subi du harcèlement par leur conjoint ou ex-conjoint.
« Le travail de mémoire et de mémorialisation – développe Renée Dickason – est un moyen de lutter contre les oublis de l'Histoire et les effacements de ces exactions. Il importe urgemment de faire évoluer les comportements et les mentalités à tous les niveaux de nos sociétés, en contribuant massivement à transformer nos modes de pensées et d'actions ».
C'est dans cet esprit qu'elle a fondé la chaire Recherche Action Docteur Denis Mukwege au sein du département des Sciences Humaines et Sociales de l'Université Rennes 2. Dans cet esprit également qu'est en cours de réalisation un mémorial vivant virtuel, le premier en France, constitué de témoignages. Un mémorial qui ne se veut pas un musée mais bien un outil à vertu thérapeutique pour accompagner les victimes vers leur reconstruction.
Les témoignages collectés seront ceux des femmes victimes de violences sexuelles bien sûr qu'il s'agisse de violences subies dans le cadre d'un conflit armé ou d'un parcours de migration, mais aussi des témoignages de personnes les ayant accompagnées ou les accompagnant encore aujourd'hui (personnels soignants, humanitaires, juristes, journalistes, etc.)
Mettre des mots pour se reconstruire
« Comment dénoncer l'insoutenable, l'indicible ? » s'interroge encore Renée Dickason pour qui « il serait temps d'agir autrement ». Son travail consiste notamment à « réunir des fragments de mémoire, des mots déchirés et déchirants » comme « une spirale infernale, qui se répète à satiété ».
Avec la Chaire de Rennes 2, ce sont des ateliers, des séminaires, des colloques qui pourront être organisés mais aussi des actions de prévention et de formation à l'intention des survivant.es soit en présentiel soit à distance. Rennes pourra également accueillir des chercheur.es travaillant dans les domaines des violences genrées, sexistes et sexuelles dans le monde. Le premier rendez-vous est donné en mars autour de Régine Komokoli, figure militante rennaise arrivée de Centrafrique en France au début des années 2000 et aujourd'hui élue départementale en Ille-et-Vilaine.
Le projet porté par Renée Dickason est destiné à apporter des réponses autant qu'à soutenir des survivant.es. Libérer la parole, mettre des « mots aux maux », garder des traces pour mieux lutter contre l'oubli et permettre aux femmes de retrouver confiance et de se reconstruire. Un sujet que l'historienne qualifie d' « humain, humaniste et humanitaire » en écho au docteur Denis Mukwege qui défend l'idée que « nous avons toutes et tous le pouvoir de changer le cours de l'Histoire ».
Geneviève ROY
Pour en savoir plus : consulter le site de l'Université Rennes 2
Pour apporter votre témoignage en qualité de victimes ou de personne ayant accompagné des victimes, contacter Renée Dickason :
Pour assister à la première conférence, « Des bottes jaunes à la République: Itinéraire d’une résiliente, de femme sans papiers à élue française » avec Régine Komokoli: rendez-vous le jeudi 13 mars à Rennes 2 à 17h
Photos Renée Dickason et Denis Mukwege - ©Région Bretagne (18 novembre 2024) et ©Université Rennes 2 (19 novembre 2024)