Ce dimanche matin-là, Enora a parcouru les dix kilomètres de la Roazon Run comme tout le monde. Enfin, presque.
Courir est devenu un dépassement de soi pour cette jeune femme agressée sur les bords de la Vilaine alors qu'elle faisait son footing. Si aujourd'hui, elle peut l'envisager et même en parler librement c'est grâce au groupe de parole où elle s'est inscrite voilà quelques mois.
A l'association Parler, dont une antenne a ouvert à Rennes l'an dernier, les femmes victimes de violences sexuelles viennent déposer leurs mots et écouter les histoires des autres pour reprendre confiance en elles, confiance en la vie.
C'est Sandrine Rousseau, élue européenne EELV et victime dans ce qu'on appelle l'affaire Baupin, qui en a eu l'intuition : l'une des étapes les plus compliquées pour les victimes c'est de trouver des espaces de parole sans remise en cause, « parler pour que ça compte ». En 2017, avec quelques autres femmes victimes, elle crée Parler à Paris. Les groupes de parole prennent vite leur essor – les besoins sont nombreux – et des demandes arrivent d'autres villes de France. Marine, engagée dans le projet, revient à Rennes, sa ville d'origine, en 2019 et décide d'y fonder une antenne les attentes étant fortes localement.
« La première année, j'ai un peu porté l'association à bout de bras » raconte la jeune femme rapidement rejointe par des amies qui souhaitent s'engager aussi puis par des participantes aux groupes de parole qui deviennent bénévoles à leur tour. Une histoire brève mais déjà riche nourrie de relations de confiance.
« Enora et Ambre ont tout de suite voulu prêter main forte » se réjouit Marine. Il arrive un moment, en effet, où certaines femmes se sentent assez fortes pour changer de place dans le groupe de parole. « On se sent mieux alors on veut donner ce qu'on a reçu » dit simplement Enora. A Rennes, plusieurs étudiantes ont ainsi fait le choix de rejoindre les bénévoles de l'association. Une opportunité pour Marine qui se sent moins seule et peut proposer davantage de rendez-vous tout en gardant à l'esprit la nécessité d'un accompagnement. « Il ne s'agit pas de réactiver le traumatisme de ces femmes elles-mêmes victimes ; comme toujours quand on travaille avec de l'humain, il faut garder notre empathie et nous protéger en même temps » estime-t-elle.
« Il faut parfois se nourrir des histoires des autres
pour trouver la force de parler »
L'antenne rennaise bénéficie d'une visibilité de plus en plus accrue ; le bouche à oreille fait le reste. « Depuis le mois d'août on reçoit environ deux nouvelles demandes par jour » insistent les bénévoles. Quand on s'inscrit à un groupe de parole, on vient rencontrer d'autres femmes. Une particularité à laquelle tient l'association ; ici, pas de thérapeute. « C'est une démarche d'écoute et d'entraide entre paires – explique Marine – on vient déposer ce qu'on a envie de déposer ce jour-là, ce qu'on n'a pas pu dire ailleurs sans attente de réponse ; simplement pouvoir dire dans un espace d'écoute bienveillant ».
Ambre rapporte le témoignage d'une étudiante lors du dernier groupe de parole qui disait « quand j'en parle à mes copines, elles ne comprennent pas la gravité » ; pour elle, d'autres victimes, non seulement vont pouvoir comprendre mais en plus, elles ne jugeront pas.
Si l'association s'appelle Parler, l'écoute y tient aussi une grande place. « Parler c'est le premier médicament quand on a connu ce type de traumatisme mais c'est un exercice qui se fait dans les deux sens – expliquent les animatrices – l'écoute des autres peut aider à cheminer ; il faut parfois se nourrir des histoires des autres pour trouver la force de parler ». L'absence d'un-e thérapeute est plutôt bien vue par les participantes – encouragées toutefois à se faire accompagner par ailleurs - tout comme le mélange des générations et le groupe fluctuant d'une rencontre à l'autre.
A Rennes, la plus jeune inscrite n'a que 16 ans quand la plus âgée en a 65. Marine se félicite d'apporter un soutien aux plus jeunes qui auront « tellement plus de temps » pour se reconstruire, mais accorde aussi beaucoup d'attention aux plus âgées, empêchées de parler pendant longtemps. « Elles nous disent à quel point des lieux comme le nôtre sont une chance pour les victimes » dit-elle.
« C'est rassurant
de savoir que les personnes avec qui tu es
sont bienveillantes »
Si la parole et l'écoute sont au cœur du projet de Parler, les participantes ont vite estimé elles-mêmes que ça ne suffisait pas. Les envies sont réelles et les idées variées pour vivre des temps informels de convivialité qui permettent aux unes et aux autres de retrouver une certaine confiance au sein d'un groupe ou simplement la capacité à sortir. Des ateliers multiples ont ainsi été envisagés : socio-esthétique, self-défense, théâtre... Programmés au printemps, ils sont en attente depuis la crise sanitaire mais devraient voir le jour prochainement. Seul, l'atelier course a pu reprendre à la rentrée.
Si l'Urban Trail n'a pas pu se faire en avril, c'est la Roazon Run, le 27 septembre dernier, qui a donné l'occasion à quelques jeunes femmes de se lancer ce défi. L'objectif est double : se dépasser et rendre visible l'association. Pour l'instant, les tee-shirts servant à identifier les coureuses ne sont pas prêts mais le premier objectif est rempli.
Ce dimanche matin-là, sur les bords du canal, Ambre, Jeanne et Marine ont soutenu Enora dans sa course de l'espoir. « Le premier entraînement a été douloureux – se souvient Marine – et puis, finalement, en prenant le temps, en se tenant la main, en étant ensemble, on a pu aller au bout. »
Participer à une course, c'est d'abord pour ces femmes défendre le message suivant : on a été des victimes mais ça ne va pas nous empêcher de continuer à faire du sport, à aller au cinéma ou dans les bars... « C'est rassurant – estime Ambre – de savoir que les personnes avec qui tu es sont bienveillantes ». Des petits pas franchis ensemble vers l'avenir.
Geneviève ROY
Pour mieux connaître ou contacter l'association : voir le site, la page facebook ou localement s'adresser à :