Toutes les rues qui mènent à son atelier portent des noms de peintres ; un joli hasard et une façon d'entrer en douceur dans l'univers de Bénédicte Klene.
Celle qui se définit comme « artiste plasticienne et chroni-croqueuse » n'en finit pas de rentrer du Groenland où elle a participé à une résidence d'artistes en février/mars 2019.
Un voyage au pays du froid qu'elle qualifie d'extraordinaire, qui a bouleversé ses « petits riens » et qu'elle veut aujourd'hui partager largement.
Il y a vingt ans, Bénédicte Klene suit son envie de faire évoluer ses pratiques artistiques. Finies les peintures et les installations ; elle choisit de revenir au dessin avec des petits croquis au trait noir enrichis d'infinis détails. Maisons, arbres, paysages en panoramas... Loin, très loin, des glaces du grand nord. Ces petits dessins qu'elle prend l'habitude d'appeler, selon l'expression trouvée par ses enfants, « mes petits riens ».
Aujourd'hui, ces fresques sur papier blanc, crème ou gris clair, pliées en accordéon et reliées pour la plupart dans de jolis petits carnets qu'elle fabrique elle-même ont envahi son atelier niché au milieu des arbres, dans la périphérie de Rennes.
« Un grand château posé sur un jardin blanc »
De ces leporellos chers à son coeur, elle en rapporté trente-trois mètres en mars 2019 de retour du Groenland. L'histoire qui continue à l'enthousiasmer commence par un simple appel à candidature. Sur le "bateau givre" le Manguier, pris dans les glaces de la baie de Disko, à l'ouest du Groenland, le capitaine Philippe Hercher organise des résidences d'artistes. Bénédicte, séduite par le projet, tente sa chance et sa candidature est retenue. Elle fera partie de la troisième résidence, plusieurs autres suivront. « C'est extraordinaire – ne cesse-t-elle de répéter – On est vraiment au bout du monde ! Quand on descend de l'avion et que le sol est complètement glacé ça fait un peu peur ! On perd ses repères !»
Avec quatre autres artistes français – photographe, musicienne, céramiste et graveuse – elle va vivre un mois dans ce qu'elle nomme « un grand château posé sur un jardin blanc ». C'est l'hiver, le thermomètre affiche -27° le jour de l'arrivée et on ne circule qu'à pied voire à moto-neige quand l'épaisseur de la glace le permet entre des îles-villages aux noms inconnus : Aasiaat, Akunnaaq, Qammavinnguaq...
Dérèglement climatique oblige, même au Groenland les hivers sont plus doux ! « Quand on est arrivés, c'était vraiment tout blanc – raconte Bénédicte – puis au fur et à mesure on voyait la mer apparaître et la banquise devenait plus fragile. Début mars, ça s'est franchement réchauffé, on était autour de -10°. C'est magnifique parce qu'on a l'impression de marcher sur de la neige, mais c'est la mer qu'on a sous les pieds et on sent les marées ; de temps en temps apparaissent des petites méduses, des moules... »
« Une de boite en carton pour mettre les mains à l'abri du vent »
L'artiste s'est vite habituée à la température ; seule contrainte : « passer son temps à s'habiller et se déshabiller ». Dans ce pays tout semble plus compliqué, plus fatigant aussi. « Tout demande un effort – résume Bénédicte – il nous fallait trois quart d'heure de marche pour aller au village, on devait puiser l'eau quelques kilomètres plus loin dans une source chaude ». Et puis pour elle qui dessine des paysages, il faut travailler en plein vent.
« Je m'étais aménagé un petit traîneau pour dessiner dehors sous une peau de bœuf musqué – se souvient-elle – et j'avais fabriqué une espèce de boite de carton pour mettre mes mains à l'abri du vent ». Malgré son équipement, Bénédicte ne peut pas travailler longtemps dehors ; elle y fait ses croquis puis elle rentre au chaud sur le bateau ou dans une petite maison du village pour, à travers les vitres ou à partir de photos, ajouter les touches de couleur.
De toute façon en cette période hivernale, les jours sont assez courts : lever du soleil vers dix heures et coucher vers trois heures et demi, quatre heures de l'après-midi. Quand il fait nuit, on reste au chaud sauf précise l'artiste, des étoiles plein les yeux, pour les aurores boréales. « Là – dit-elle – on passe son temps à l'extérieur, autour du bateau pour profiter du spectacle et on en prend plein les mirettes ! »
« Un tel sentiment de pureté, et puis évidemment, le silence »
A son arrivée sur le Manguier, Bénédicte était chargée de soixante mètres de papier blanc ; au fil des jours, de découvertes de paysages sublimes en rencontre avec ses co-résident-es d'abord, puis avec les habitant-es du village, elle en a dessiné plus de trente-trois mètres qui forment désormais une trentaine de petits carnets qu'elle pourrait commenter pendant des heures.
Au blanc intense des panoramas répondent de merveilleux portraits notamment des enfants de l'école (une classe, sept élèves) avec lesquels elle a conçu des leporellos, certains rapportés en France et offerts à des écolier-ères de Saint-Grégoire et de Bécherel qui avaient avant son départ réalisé eux-mêmes des dessins pour les élèves d'Akunnaaq. Un des objectifs de la résidence est en effet la mise en place pour tou-tes les artistes présent-es d'actions avec les habitant-es. Une façon de faire connaissance et de passer de chaleureux moments de convivialité. C'est aussi au cœur du village que les artistes français peuvent aller prendre une douche ou faire une lessive dans la maison commune mise à leur disposition.
« Finalement depuis mon retour, je n'ai pas arrêté de travailler sur le Groenland - dit Bénédicte Klene en installant sur les murs de son atelier les affiches destinées aux expositions passées ou à venir - Il y a encore beaucoup de choses à dire, beaucoup de choses à raconter et je n'ai pas abandonné l'idée d'éditer mes carnets ». Un projet reporté pour cause de coronavirus.
« Il y a un tel sentiment de pureté là-bas - dit-elle encore en feuilletant ses carnets - La lumière est absolument extraordinaire et puis évidemment, il y a le silence ! On a l'impression de ne pas avoir de limites ; les seules limites c'est le danger de la banquise qui se fragilise. Alors quand on rentre, ça fait drôle mais on se laisse reprendre par la vie ! »
Bénédicte a posé le pied sur le sol – pas gelé – de France le 16 mars 2019. Le jour de la naissance de sa première petite-fille ; la « plus belle des façons – selon elle – de revenir à une vie normale après ce voyage exceptionnel en Arctique ».
Geneviève ROY
Pour aller plus loin : retrouver le travail de Bénédicte Klene : voir son site – avoir un aperçu en images de sa résidence sur le Manguier : Panoramas des Petits Riens du Groenland (2'43) et Dans la timonerie du Manguier (2'07) et Les Petits Riens du Groenland en cartes postales (8'52)