Elles savent que leur situation va être de plus en plus difficile. A la période des fêtes, où elles seront encore moins visibles dans les esprits et les médias, s'ajoutent la fatigue d'une longue lutte et les divisions internes sur les modes d'action à mettre en place. Sans compter les grandes centrales syndicales qui tentent de reprendre la main décrétant que le collectif n'est pas apte à négocier avec le ministère.
Pourtant, Charlotte Godet, sage-femme au CHU de Rennes, y croit encore : « nos revendications sont intactes ; si on peut ne pas être d'accord sur les actions pour y parvenir, c'est clair et net qu'on suit le collectif et qu'on n'a pas envie d'arrêter avant d'avoir eu ce qu'on demandait. » Même si aujourd'hui, elle craint les pressions. En effet, les centres hospitaliers commencent à souffrir de l'absence de remboursement CPAM, une des actions étant de ne plus coter les accouchements afin de dénoncer une fraude persistante. « On savait bien que c'était le nerf de la guerre » sourit Charlotte qui nous livre son témoignage.
Certaines déclarent des burn-outs et sont en arrêt de travail, d'autres préconisent de durcir le mouvement tandis que d'autres encore préfèrent garder les modalités d'action en vigueur depuis le16 octobre. Jeudi 20 décembre, les sages-femmes attendaient l'arbitrage de la ministre de la Santé, Marisol Touraine. Elles devront encore attendre jusqu'au mois de mars pour espérer voir leur statut évoluer. Fatiguées, mais toujours déterminées, elles ont décidé de poursuivre la grève. Témoignage de Charlotte Godet, sage-femme au CHU de Rennes.
« Lundi dernier, la manifestation ne s'est pas bien passée à Paris. Il y avait encore 4500 sages-femmes dans la rue malgré toutes celles qui devaient travailler ce jour-là, soit 25% de la profession. Ce n'était pas la même manifestation que le 7 novembre ; il y avait beaucoup plus de camions de CRS, ils étaient beaucoup plus agressifs et certaines sages-femmes ont été blessées et ont fini aux urgences. Au vu de l'ambiance générale devant le ministère on s'est tout de suite dit qu'ils allaient nous annoncer quelque chose de pas cool. Et c'est ce qui s'est passé. Au sortir de cette réunion, Edouard Couty, qui est chargé de négocier avec le collectif, nous a pondu deux propositions qui ne nous conviennent pas.
Suite à ces annonces, plusieurs sages-femmes ont eu envie de durcir le mouvement et ont déclaré qu'elles n'iraient plus au travail sans assignation ; d'autres ont dit que dans l'état de fatigue où elles étaient, elles iraient voir leur médecin pour demander un arrêt de travail en se sentant en burn-out. Depuis, surtout en région parisienne, les sages-femmes manquent à l'appel dans les maternités.
Collectif ou syndicats
En Bretagne, le fait de prendre un peu les patientes en otage, ça divise le mouvement. Certaines sages-femmes ont la conviction que si on ne fait pas comme ça rien ne bougera – je pense qu'elles n'ont pas tort parce qu'au bout de deux mois à essayer de faire les sages-femmes gentilles on voit bien ce que ça donne – mais ne pas venir au travail sans avoir reçu l'assignation en main propre c'est quand même un peu difficile parce que ça veut dire qu'en attendant il y a une collègue qui est obligée de rester en poste et on n'est pas du tout à l'aise avec ça ! Par contre nos revendications sont intactes ; c'est clair et net qu'on suit le collectif et qu'on n'a pas envie d'arrêter avant d'avoir eu ce qu'on demandait.
Marisol Touraine a voulu nous faire attendre jusqu'aux fêtes de Noël parce qu'elle sait très bien qu'on a déjà du mal à être entendu du fait de nos assignations et de nos obligations légales à aller travailler, alors en plus dans la semaine de Noël, c'est compliqué pour nous.
En plus, nous subissons aussi une récupération du mouvement par les grosses centrales syndicales qui ne représentent pourtant que 2 ou 3% de la profession mais ont l'habitude de défendre le personnel paramédical dans les centres hospitaliers publics. D'ordinaire les ministères rencontrent les centrales syndicales, jamais les collectifs. Là, ils ont été obligés de nous écouter parce qu'on était à toutes les réunions mais aujourd'hui les centrales essaient de s'emparer du mouvement en disant que notre collectif n'a pas les épaules pour négocier avec un ministère.
Qu'en pensent les médecins ?
Autre difficulté : la pression des directions des centres hospitaliers. Depuis le début de la grève on dénonce la fraude à la sécurité sociale que tous les milieux hospitaliers publics réalisent depuis longtemps. Quand on est sage-femme et qu'on fait un accouchement, on cote en acte CPAM ; cette cotation est faite pour que la sécurité sociale rembourse les hôpitaux. En tant que sage-femme on n'a pas le droit de coter un acte qui est normalement réalisé par un médecin ; donc, c'est une fraude.
Ça fait très longtemps que nous demandons à avoir nos propres cotations. Depuis le début de la grève, on ne cote plus nos actes. Et dans certains milieux hospitaliers ça vient juste de remonter à la direction qui commence à voir qu'il n'y a plus d'entrée d'argent et qu'il faut que quelqu'un reprenne tous les dossiers pour les coter correctement. On savait bien que ça c'était le nerf de la guerre. Maintenant, on va être face à une pression forte des directions. Dans beaucoup d'hôpitaux c'est déjà le cas avec du harcèlement, des CDD qui ont été gracieusement remerciés, etc. Mais on est assez à l'aise dans nos baskets parce qu'on est conscientes que c'est une fraude qu'il faut faire cesser.
Au CHU de Rennes, on maintient ce qu'on faisait déjà, c'est-à-dire ne plus réaliser la cotation, continuer à se noter grévistes et à avoir une participation massive dans la grève ; on se syndique de plus en plus à l'ONSSF qui est un des syndicats professionnels du collectif et on va essayer d'ouvrir le dialogue avec les médecins, ce qui n'a pas été beaucoup fait jusqu'à maintenant, pour leur demander réellement ce qu'ils pensent de tout ça et comment ils se positionnent ! »
Propos recueillis par Geneviève ROY
Notre photo n°3 : une action des sages-femmes du Finistère sur le Pont de l'Iroise le 20 décembre
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