En espéranto, ce mot signifie « ensemble ». Kuné, c'est le choix que des femmes d'un quartier de Rennes ont fait pour nommer leur collectif.
Venues de tous les horizons, de France, d'Afrique et d'ailleurs, elles ont un beau jour de 2020 décidé de prendre leur vie en main. Histoire de montrer qu'elles sont capables de « se mêler de [leurs] affaires ».
Depuis, elles s'organisent, multiplient les actions et montent leurs projets solidaires dans le quartier. Et puis, parce que l'une d'elles est morte au printemps dernier, assassinée par son mari, les voici engagées dans un nouveau défi : se former à l'écoute bienveillante pour accompagner les femmes victimes de violences conjugales.
C'est autour de Régine Komokoli que se dessine jour après jour depuis bientôt trois ans le collectif Kuné. Si elle se défend d'être « au cœur de tout » la jeune femme est pourtant bien devenue une référence pour nombre de femmes de Villejean, à Rennes. « Nous avons une organisation matricielle » rappelle-t-elle détaillant les différentes actions que le collectif a déjà dû mettre en place. « Nous fonctionnons – dit-elle – avec des cheffes par action. Pour préparer un repas c'est Fatima qui est cheffe de cuisine ; pour une manifestation ce sera plutôt moi... »
Une autre propose des ateliers d'esthétique, d'autres encore ont géré une cleanwalk destinée à débarrasser le quartier de ses déchets, ont fabriqué des masques pour les habitant.es lors de la pandémie de covid ou encore confectionnent des cadeaux solidaires en fin d'année. Leur mode d'action : être partout !
« On se dit que c'est important pour les femmes
de se donner le pouvoir »
« Il y en a qui vont à l'école, d'autres qui sont caissières ; certaines fréquentent la Paroisse Saint-Luc et d'autres le Centre Islamique Avicenne – s'enthousiasme Régine Komokoli – On accepte tout le monde parce qu'on se dit que c'est important pour les femmes de se donner le pouvoir, surtout quand on a été humiliées et dominées ; il faut reprendre la main. Notre idée c'est de faire des choses ensemble, en toute sécurité, comme on le fait en Afrique » Si la jeune femme, aujourd'hui élue au conseil départemental 35, convoque ses origines, à Kuné on trouve des femmes de tous les horizons. Comme elle le rappelle, le quartier de Villejean compte une cinquantaine de nationalités et on y parle des langues du monde entier.
Une « valeur ajoutée » pour Kuné quand il s'agit aux femmes d'y confier leurs souffrances. Le meurtre d'une habitante d'une tour de Villejean au printemps 2022 a mis au cœur des préoccupations du collectif les violences conjugales. Quelques jours après le drame une marche blanche organisée au pied des immeubles a mis le projecteur sur ces femmes engagées. « La marche nous a rendues visibles – se souvient Régine Komokoli – et depuis nous avons de nombreuses sollicitations. Beaucoup d'entre nous ont connu ces situations de violence alors nous avons eu envie d'y répondre ».
Ainsi est née l'idée d'un accompagnement ciblé. Consciente des responsabilités que cette action leur donne, les femmes de Kuné ont décidé de se former à l'écoute bienveillante et de s'outiller pour répondre aux victimes et savoir les orienter vers les structures d'aide. Leur atout c'est non seulement d'avoir souvent été elles-mêmes confrontées aux mêmes situations mais surtout d'être au cœur du quartier, de pouvoir entendre les femmes dans leurs langues maternelles et en toute confidentialité. Parler d'un sujet comme la violence nécessite, elles le savent, beaucoup de sécurité.
« On fait de l'oignon-thérapie ;
il se passe beaucoup de choses pendant l'épluchage »
Encore quelques dons sur le financement participatif en ligne et la formation des huit bénévoles intéressées pourra commencer. Une formation adaptée, prenant en compte les spécificités de Kuné, notamment les langues maternelles multiples des stagiaires mais aussi leurs charges familiales et en particulier la garde des jeunes enfants. « On a un programme sur mesure » se réjouit Régine Komokoli.
« Notre idée – dit-elle encore – c'est de travailler dans le secret pour sortir du silence ». L'objectif est double : sécuriser les femmes et insécuriser leurs conjoints violents. « Il faut que les femmes sachent qu'elles peuvent nous rencontrer mais aussi que les agresseurs sachent qu'on est formées et qu'on est partout ; ils vont avoir peur à leur tour ». La maison de quartier leur offre un lieu sûr. « Elle est tellement visible qu'on ne la voit plus. Il se passe plein de choses pour les enfants, des activités... on peut brouiller les pistes donc quand une femme vient elle ne se sent pas en danger et son mari n'est pas censé savoir pourquoi elle vient ».
Lorsque régulièrement Kuné y propose un repas solidaire c'est autour de l'épluchage des oignons que se disent les choses les plus personnelles. « On fait de l'oignon-thérapie – s'amuse Régine – Ça pique les yeux, on pleure et il se passe beaucoup de choses pendant l'épluchage. Et puis, quand on est passé par là, pas besoin de se parler, les regards suffisent ».
Samedi dernier, une fois les oignons épluchés, c'est Fatima qui régnait dans la cuisine jusqu'à l'heure du repas du soir. En attendant, un temps de réflexion était proposé en présence de Julie Caré, autrice du livre Pour exister et elle-même victime de violences conjugales.
Dans le quartier, beaucoup de femmes sont isolées et Kuné leur apporte un réseau de soutien, leur permet de sortir de chez elles. Pour Régine Komokoli, c'est d'abord des « moments d'émancipation ». Très fière, elle affirme dans un rire « on produit de la citoyenneté, quoi ! »
Geneviève ROY
Photos : marche du 23 avril 2022, organisée à Villejean par Kuné