« Le corps médical a été un de nos plus grands ennemis ». C'est ainsi que Christine Lallement résume la place des femmes dans le sport de compétition à la fin du 19ème siècle et au début du 20ème.
Et elle cite en fin de conférence Marie-Georges Buffet constatant qu'il « aura fallu un siècle pour que le sport féminin existe vraiment. »
Entre les deux, des femmes se sont battues pour y faire leur place et permettre à toutes de pratiquer les différentes disciplines qui peu à peu leur ont été accessibles.
A l'invitation de l'association Femmes Entre Elles, l'ancienne championne d'aviron et professeure d'EPS en retraite a tenté de répondre à la question « peut-on parler d'égalité entre les femmes et les hommes dans le sport de haut niveau ? » Sa réponse est nuancée.
Dans une France où le corps des femmes était considéré comme une sorte de sanctuaire entièrement dédié à la maternité et où les valeurs déclarées de la compétition se conjuguaient au masculin – force, domination, technique – le sport de haut niveau a bel et bien été inventé par les hommes et pour les hommes. C'est ce que rappelle Christine Lallement en ouverture de sa conférence donnée mardi soir pour le lancement à Rennes des journées des droits des femmes qui se déclinent cette année sur le thème de l'égalité dans le sport et la culture.
Citant Pierre de Coubertin, père des JO modernes, affirmant qu'il n'y aurait « pas de femelles aux Jeux Olympiques » Christine Lallement estime que les femmes dans le sport c'était le bouleversement assuré de tous les codes sociaux en vigueur. Et les résistances auront été tenaces puisqu'en 1999 encore à l'occasion d'un combat de boxe à Seattle entre une femme et un homme on parle d'un « précédent dégradant et dangereux ».
Des sportives autonomes qui savent s'adapter
Quelques figures de femmes ont cependant réussi à traverser le siècle. La conférencière se plaît à nommer Alice Milliat, née à Nantes en 1884, mais plus connue dans le reste de l'Europe que sur le territoire français ou encore Suzanne Lenglen, la « diva du tennis » idole du public français dans les années 1920 jusqu'au jour où elle souhaite devenir professionnelle et se voit radier par la fédération nationale.
Le véritable démarrage du sport de haut niveau pour les femmes en France ne peut se faire finalement que dans les années 1960, époque d'émancipation dans de nombreux domaines. L'accès à l'école reporté à quatorze puis à seize ans les ouvre à la pratique sportive tandis que l'âge du mariage et donc de la première maternité recule. C'est pour elles le début d'une certaine autonomie même si le sport féminin reste « le parent pauvre ». L'ancienne championne d'aviron – six fois championne de France – a connu des entraînements difficiles à l'époque où les équipes féminines disposaient de peu de moyens et parfois même devaient travailler seules ou avec un entraîneur incompétent. « Il fallait faire avec – se souvient-elle – savoir s'adapter. »
Il faudra attendre la fin des années 1980 pour que certaines disciplines pratiquées par les femmes fassent leur entrée aux JO : la boxe et le marathon en 1986, le saut à la perche en 1987, le rugby en 1989 notamment. Sans oublier qu'être performante pour une femme c'est souvent suspect ; les tests de féminité dans l'athlétisme se multiplieront de 1969 à 1999 ! Quant aux épreuves mixtes, celle de tir sera supprimée des JO en 1996 ; aucun rapport sans doute avec le fait qu'une femme ait remporté la médaille d'or en 1992 devant sept hommes !
Etre performante ne suffit pas, il faut être jolie
Christine Lallement souligne l'importance de la médiatisation progressive des sports féminins et des combats menés par les sportives elles-mêmes mais aussi le travail réalisé par des politiques et en particulier certaines ministres des sports comme Marie-Georges Buffet. Aujourd'hui, certaines choses ont changé et l'INSEP par exemple où s'entraînent les sportifs-tives de haut niveau a ouvert une halte-garderie aux heures d'entraînement. Mais la France peine à rattraper son retard contrairement à la Norvège qui fait figure de modèle en Europe grâce à d'importants moyens accordés par les pouvoirs publics. Si 85% des Françaises disent pratiquer régulièrement ou assez régulièrement une activité physique, elles ne sont encore que 35% licenciées dans des clubs.
Là où les inégalités restent criantes surtout c'est au niveau des responsabilités où perdure le système de cooptation, toujours favorable aux hommes. Sur les 88 principales fédérations nationales de sports olympiques, une seule femme est présidente : Isabelle Lamour en escrime depuis 2013 ! Seulement 12% des entraîneurs nationaux sont des femmes et seulement 17% des cadres techniques.
La loi de 1984 exigeant que chaque sport ait une représentation équilibrée et proportionnelle à la pratique – si 30% de femmes pratiquent, 30% des postes de direction doivent être occupés par des femmes – n'est pas appliquée et aucune sanction n'est prévue pour contraindre les clubs. Christine Lallement semble attendre beaucoup de l'application de la nouvelle loi, celle de 2014. Mais elle-même a refusé un poste de cadre technique et reconnaît que le sexisme permanent du milieu sportif incite peu les femmes à s'engager. « Elles prennent la place d'un homme – explique-t-elle – donc, il faut qu'elles apportent quelque chose en plus. »
Au début du 20ème siècle, le premier sport à s'ouvrir aux femmes – certes de milieu favorisé – était le tennis. Aujourd'hui, plus d'un siècle après, c'est aussi celui où l'égalité est la plus visible notamment en termes de rémunération. Comment ne pas imputer au manque d'ouverture des fédérations l'absence prolongée des femmes ? Certaines disciplines résistent toujours ; les bons résultats des femmes en boxe par exemple sont rarement mis en avant. Et les femmes continuent à souffrir d'injonctions que les hommes ne connaissent pas. « Etre performante ne suffit pas – selon Christine Lallement – une femme sportive doit aussi être belle à regarder ! » Au risque sinon de ne jamais trouver de sponsor ; « les deux sportives qui s'en sortent le mieux – estime Christine Lallement – sont deux jolies filles : Amélie Mauresmo et surtout Laure Manaudou ! »
Geneviève ROY