Klara

Ancienne étudiante de Rennes 2, très active dans les mouvements contestataires ces dernières années, Klara suit de loin « ce qui se passe en ce moment en France » et regrette de ne pas pouvoir s'investir.

La dernière manifestation à laquelle elle a participé lui a laissé un souvenir « horrible ». « C'était le 1er mai le plus triste de ma vie – raconte-t-elle – on était à peine septante ! »

C'est vrai qu'aujourd'hui Klara habite à Bruxelles où la culture de l'engagement n'est pas la même. Alors avec une amie journaliste elle a choisi un autre mode d'expression.

Elles viennent de créer Soromance, leur propre fanzine, du fait-main pour prendre la plume et le crayon, et autoriser d'autres filles de leur entourage « talentueuses, créatives, que l'on entend jamais » à s'exprimer par l'écriture ou le dessin.

Dans la grande maison de quatre étages qu'elle partage avec une dizaine de personnes à Schaerbeek, quartier nord-est de Bruxelles, la connexion skype est mauvaise, mais la voix n'a pas changé. Klara Coudrais a gardé toute son énergie et sa détermination pour défendre les convictions qui lui tiennent à cœur.

Dans la capitale belge qui l'a accueillie après ses études de cinéma à Rennes 2, la jeune femme ne s'est pas investie dans un parti politique ou un syndicat. « Je ne sais pas si je vais rester longtemps et puis au départ, la ville me paraissait un peu hostile » avoue-t-elle décrivant un climat de « débauche » où règnent drogues et alcool. Mais c'est surtout l'absence de « tradition militante et la culture du laisser-faire » qui lui pèsent. « La population ici est chouette – dit-elle encore – mais les Belges n'ont pas vraiment le goût du débat. Ici, c'est plutôt : allons boire une bière ! »

 

« Qui définit la violence ?

Les riches, les dominants ? »

 

Avec un peu de regret dans la voix et surtout une grande lucidité, elle analyse la situation de la France en ce printemps mouvementé. « J'ai suivi un peu l'occupation de la fac et surtout la répression, c'est ce qui est le plus choquant » dit-elle évoquant « depuis les attentats du Bataclan, tout le système sécuritaire qui s'est mis en branle, l'état d'urgence et la présence policière partout. »

Formée dès l'adolescence dans des partis d'ultra gauche et très engagée sur le plan syndical durant toutes ses années d'études, Klara sait l'importance de « l'éducation politique ». La jeune femme a d'abord regardé avec méfiance des mouvements comme les Indignés ou aujourd'hui Nuit Debout craignant des « discussions à n'en plus finir avec très peu de fonds finalement ». Aujourd'hui, elle sent que « la colère monte » en France, mais reste confiante. « Je ne sais pas exactement ce qui se passe à la Nuit Debout de Paris ou de Rennes – dit-elle - mais j'ai l'impression que peut-être ça pourrait être un bon début de convergence des luttes. »

Vu de Belgique, ce qu'elle retient c'est aussi bien sûr la façon dont les médias parlent de ces journées de revendications. « Ça me dégoûte – s'emporte-t-elle – de voir qu'on parle de violence de la part de gamins qui cassent trois vitrines et qu'on ne parle pas de violence quand des patrons licencient à tour de bras ! Qui définit la violence ? Les riches, les dominants ? Quand les conditions économiques sont tellement pourries qu'on ne peut pas faire ce qu'on veut de sa vie, c'est ça la vraie violence ! »

 

« On voulait créer

une atmosphère de travail

propice aux femmes »

 

KlaraetMarieDes idées à défendre, Klara n'en manque pas. « C'est justement pour ça – explique-t-elle – qu'avec Marie, on a monté Soromance. » A la recherche de « nouveaux supports de création » Klara a rencontré à Bruxelles Marie Hamoneau, jeune journaliste du quotidien La Capitale. Entre celle qui voulait « recommencer à écrire, à dessiner » et celle qui se sentait à l'étroit dans une rédaction qui « lui impose des sujets vraiment pourris » l'amitié est née tout de suite avec cette envie de faire quelque chose à deux !

Soromance ? Un mot valise pour lier ensemble « sororité » et « romance » sur le modèle du mot anglais bromance. Car oui, pour les deux jeunes femmes, cette aventure est bien destinée aussi à défendre des idées féministes. A deux elles choisissent les sujets, écrivent, illustrent, mènent les interviews, mais aussi sollicitent des contributrices, assurent la mise en page, la maquette et les traductions des articles ou témoignages en langues étrangères !

« Dans notre entourage, il y avait beaucoup de filles talentueuses, qui avaient des choses à dire et que l'on entendait rarement » explique Klara qui ajoute « en plus souvent, on se fait mépriser par les hommes et on peut rarement compter sur le soutien des autres femmes. Notre idée c'était de créer avec notre fanzine une atmosphère de travail propice aux femmes où elles puissent s'exprimer et être encouragées à le faire. »

 

« Bruxelles, en ce moment,

c'est de la folie ! »

 

Le premier thème est tout trouvé. Habituées à fréquenter les scènes musicales rock (un studio de répétition occupe le sous-sol de la grande maison de Schaerbeek) Klara et Marie se sont souvent fait « traiter de groupies » un terme qu'elles estiment insultant. « Ça commençait à m'énerver – dit Klara – car il y a très peu de femmes dans ce milieu-là et c'est l'expression d'un vrai mépris. » Pour le deuxième numéro en préparation, c'est sur la nuit que les deux jeunes femmes ont choisi de se pencher : les meilleures et les pires, celles pleines de cauchemars mais aussi bien sûr la place des femmes la nuit dans l'espace public.

couverturesCe nouveau numéro devrait sortir vers le 20 juin, date du Salon du Fanzine de Bruxelles auquel Soromance compte bien participer. Quant au premier numéro, pris d'assaut par les participant-e-s de la soirée de lancement dans un bar bruxellois ou depuis sur internet, il est en rupture de stock. Klara attend son amie pour relancer une nouvelle fabrication.

Car, explique-t-elle, c'est aussi une activité manuelle qu'elles recherchaient toutes les deux avec ce projet. Et c'est sur la table de la cuisine, armées de fils et d'aiguille, qu'elles finalisent à la main leur fanzine. Les mains occupées par le travail manuel mais toujours prêtes à s'intéresser au tumulte du monde. « Ce qui m'inquiète le plus c'est le déploiement des forces de l'ordre dans toutes les villes européennes – s'indigne Klara soucieuse de revenir au début de notre conversation – Bruxelles en ce moment, c'est de la folie ! Et ce sont nos impôts qui sont dilapidés dans tous ces dispositifs militaires qui globalement ne servent à rien ! »

Geneviève ROY

Pour aller plus loin : Soromance est présent sur facebook et on peut acheter le fanzine en ligne (paiement par compte Paypal)