Si le mot « musées » est masculin, les femmes sont nombreuses à les faire vivre, que ce soit en tant qu'artistes ou en tant que professionnelles, conservatrices ou médiatrices notamment.
C'est tout le sens du nom donné à l'association Musé.e.s dont les créatrices revendiquent fortement l'écriture inclusive. Derrière ce choix, elles affirment leur volonté de mettre en œuvre une « approche globale des questions féministes, non seulement dans ce qu'on expose ou qu'on va acquérir mais aussi dans la gestion des équipes ».
Leur premier travail est l'édition d'un « ouvrage de synthèse sur les problématiques féministes dans les musées de France ». A l'initiative du projet, Eloïse Jolly ne manque pas d'enthousiasme à l'heure de la relecture du livre qui devrait paraître fin juin.
Leur rencontre a eu lieu au Musée de Bretagne. Huit jeunes femmes, professionnelles du monde des musées, travaillaient alors (en stage, en alternance ou en CDD) à Rennes. Il aura fallu quatre ans pour que l'idée fasse son chemin et c'est dispersées sur le territoire, de Dijon à Vannes, en passant par l'Ecosse qu'elles veillent sur leur jeune association, créée au printemps 2021 à Rennes, là où résident toujours quatre d'entre elles dont Eloïse Jolly.
Portées par des convictions féministes, les jeunes femmes font le même constat : les musées français font la part belle aux hommes. Elles savent pourtant que des initiatives existent dans certains lieux, que des chercheur.se.s travaillent sur les questions d'égalité au musée, que le public lui-même est sensible à ces questions. Et que les professions muséales sont très largement féminines. Leur objectif sera donc de « faire convergence entre les différents milieux concernés pour réfléchir ensemble et faire avancer les choses ». Et ça passera par la rédaction d'un guide pour un musée féministe qu'elles confient à des spécialistes.
« Faire des expositions de femmes artistes
n'est pas toujours pertinent ;
on les met ensemble parce que ça marche bien
mais c'est du marketing »
C'est un financement participatif en ligne qui a permis à la petite association de mener à bien son projet. Montrer l'avancée des recherches mais aussi donner à voir des exemples qui marchent ; voilà à quoi devrait répondre l'ouvrage. « Notre livre est découpé en trois parties – détaille Eloïse Jolly – la recherche et la réflexion ; un retour d'expériences de professionnel.les et une libre parole de visiteur.se.s et/ou de militant.e.s ».
Car si la France est encore très en retard par rapport à certains autres pays notamment les pays anglo-saxons ou le Québec, des initiatives méritent d'être signalées. « Il n'y a pas que les musées parisiens – défend Eloïse Jolly – même des tout petits musées perdus en région font des choses intéressantes ! » Elle relève notamment le travail remarquable du réseau des musées de Rouen Normandie autour d'une charte sur la parité ou encore le projet Société Mouvante du Frac Bretagne.
On ne peut que constater ces dernières années une certaine envie de professionnel.les, soucieux de programmer des expositions, mais rappelle Eloïse Jolly, le 8 mars ne suffit pas, c'est toute l'année qu'il faut penser aux femmes. De même que « faire des expositions de femmes artistes n'est pas toujours pertinent ; on les met ensemble parce que ça marche bien mais c'est du marketing alors que certaines artistes ont des pratiques singulières qui mériteraient des expositions monographiques, consacrées seulement à leur propre travail ».
Les bonnes intentions, donc, ne font pas tout. Un travail en profondeur semble nécessaire dans ce monde où les femmes, pourtant majoritaires au moment des études et dans les emplois occupés, peinent à trouver leur place aux postes de décisions. Si elles forment 80 à 90% des personnels, elles ne sont plus que 40% dans les directions. Et, précise Eloïse Jolly, la Bretagne n'est pas meilleure élève que les autres régions. Selon les chiffres de HF Bretagne les acquisitions d’œuvres de femmes se situent autour de 20% et les œuvres créées par des femmes ne représentent qu'environ 30% des œuvres exposées.
Et si le plus grand musée de France, le Louvre, a une femme à sa tête depuis quelques mois, c'est juste qu'elle a changé d'endroit. Laurence des Cars dirigeait auparavant le musée d'Orsay où son ancien poste est aujourd'hui occupé par un homme. « Un jeu de chaises musicales » pour Eloïse Jolly.
« C'est beau le mot « enlèvement » ;
les peintures sont belles, on ne voit pas toujours qu'il y a contrainte,
mais il s'agit bel et bien de viols ! »
Autre problème évoqué par l'ouvrage en préparation de l'association Musé.e.s, l'importance du rôle éducatif. « Les musées, c'est ce qui va rester » dit encore Eloïse Jolly qui regrette que les présentations des œuvres ne soient pas plus explicites. Et de donner un exemple : dans les musées des Beaux-Arts nombreux sont les tableaux représentant des enlèvements. « C'est beau le mot « enlèvement » - dit la jeune femme – les peintures sont belles, dans les postures des personnages on ne voit pas toujours qu'il y a contrainte, mais il s'agit bel et bien de viols ! »
Elle rêverait de cartels désignant clairement l'agression comme il en existe à l'étranger. « Peut-être que certaines médiatrices sensibilisées à ces questions en parlent dans leurs visites – dit-elle – mais il reste un gros travail à faire en particulier lors des visites scolaires de collégien.ne.s ou lycéen.ne.s ».
Certaines des chercheuses qui ont rédigé des articles dans l'ouvrage à paraître viennent de signer une tribune pour appeler notamment les musées à leur faire plus souvent appel lorsqu'ils doivent monter une exposition ou acquérir des œuvres. Eloïse Jolly se réjouit de voir les choses bouger ; « si notre travail pouvait aider les gens à se rencontrer, on seraient super fières ! » dit-elle. Une soirée de présentation est en préparation pour la fin du mois de juin ; l'association qui devrait ensuite voir grossir ses rangs se retrouvera en septembre pour programmer d'autres événements consacrés à la diffusion de l'ouvrage mais surtout des idées défendues par les femmes de Musé.e.s
Geneviève ROY