Depuis notre rencontre en juillet 2016, Anne Lecourt n'a pas flotté tranquille sur l'eau comme dit la chanson.
Suite à la publication de son livre Elles qui disent, elle reçoit un coup de téléphone d'un responsable des éditions Ouest-France. Il veut éditer son ouvrage en version « étoffée ». Autrement dit, elle a six mois pour doubler les portraits de femmes.
Ce qu'elle appelle une « nouvelle facette de l'aventure » lui laisse un goût doux amer : la joie de voir son travail reconnu mais aussi quelques regrets d'être soumise au calendrier de l'édition et de se voir devenue un produit de marketing.
L'histoire d'Anne Lecourt, c'est avant tout une histoire de reconnaissance. Recueillir les témoignages de femmes « discrètes », Bretonnes nées dans les années 1930, pour en faire des portraits sensibles et attachants et leur permettre pour la première fois de parler d'elles est une démarche qu'elle revendique. « Je leur ai permis d'avancer au grand jour, la tête haute ; ces petites femmes qui n'osaient pas ont enfin pris la parole » se réjouit l'auteure aujourd'hui. L'accueil de son premier livre, publié sans éditeur, est aussi une belle reconnaissance de son travail. « Un éditeur m'a fait confiance » dit-elle, rêveuse, bien décidée à ne pas en rester là.
« Elles ont été reconnues
même quand elles essayaient
de brouiller les pistes »
Pourtant, Anne Lecourt exprime aussi des frustrations. Quand Ouest-France Editions la contacte, le temps s'accélère pour elle. Elle doit en six mois reproduire un travail qui lui a demandé presque deux ans la première fois. Au final, le livre comporte donc les huit premières rencontres auxquelles s'ajoutent sept nouveaux récits. Et l'horizon s'élargit du canton de Montfort-sur-Meu en Ille-et-Vilaine jusqu'à Brest, Lorient ou encore Nantes. Elle travaille aussi avec un photographe, Daniel Le Danvic, qui rejoint le projet.
« J'étais prise par le temps. L'éditeur voulait une rentrée littéraire en septembre, ça ne m'a pas laissé beaucoup le loisir de fouiller » regrette l'auteure qui doit aussi veiller à ne pas oublier son objectif premier : donner la parole aux femmes et ne pas se « laisser embarquée par les histoires » en oubliant leur si précieuse « petite voix ». Touchée par toutes ces histoires singulières et ces parcours de « féministes qui s'ignorent », elle avoue continuer à aller régulièrement voir ces femmes dont pourtant les portraits sont depuis longtemps achevés.
Surprise pour l'auteure ! Même celles qui ne voulaient pas voir figurer leur vrai nom ou leur photo sur le premier livre accepte aujourd'hui d'apparaître au grand jour. « Elles ont changé d'avis, c'est prodigieux ! - s'enthousiasme-t-elle – c'est le regard des autres qui les a changées. Elles ont été largement reconnues et applaudies même quand elles essayaient de brouiller les pistes et on est venu les féliciter. »
« Une sardine
parmi les autres sardines
de la boite ! »
Avec ce deuxième livre, Anne Lecourt découvre aussi un nouveau monde. Si le premier projet était très personnel, celui-ci lui échappe parfois. « C'est un peu mon passage dans la cour des grands. Je suis plus visible, c'est vrai – reconnaît-elle – mais je m'expose aussi davantage à la critique ; il faut être solide. » Celle qui a « renoncé à son premier métier » pour se lancer dans l'aventure de l'écriture se doit de « rebondir familialement et financièrement ». Et découvre que pour les professionnel-le-s du livre et de l'édition, elle n'est « qu'une sardine parmi toutes les autres sardines de la boite ! »
« Ils font du marketing et je ne décide de rien, ni du format, ni du prix » dit encore Anne Lecourt qui précise : « ça a du bon parce que, moi, je ne sais pas me vendre mais je suis une parmi des centaines d'autres et je ne sais pas quelle sera la durée de vie de mon livre ni quelle chance on lui laissera ! »
Anne Lecourt aimerait bien que « ça marche » ; pour son éditeur, pour elle aussi. Car elle s'est prise au jeu et rêve désormais de poursuivre sa carrière d'écrivaine. « Est-ce que Ouest-France sera à nouveau intéressé ? » s'interroge-t-elle. Pas sûr ! Pourtant, elle a « déjà d'autres choses à leur proposer ».
Car cette première expérience lui donne envie « de ne plus arrêter d'écrire ». De la fiction, peut-être pas ; même si elle dit avoir un « petit roman » en cours. Anne Lecourt reste « très attachée à la vie des autres » et veut continuer à « amener les gens à se raconter ». Pas seulement les femmes âgées. Elle se voit bien en immersion dans le monde du travail, celui du handicap...
En attendant, c'est avec beaucoup d'excitation qu'elle envisage son nouveau projet. Un centre social du Finistère lui a confié la collecte de témoignages d'usager-ère-s. « Une rupture avec la vie quotidienne, juste une chambre chez l'habitant plusieurs jours par semaine avec mon ordinateur et je vais être embarquée dans l'histoire des gens - dit-elle - Je ne sais pas du tout qui je vais rencontrer mais c'est un petit bonheur à venir. »
Geneviève ROY
Pour aller plus loin :
Les Discrètes, paroles de Bretonnes (1930/1970) de Anne Lecourt – photographies de Daniel Le Danvic – Editions Ouest-France (2017) - 21€
Lire aussi notre premier article : "Ses huit grands-mères lui ont dit" publié en juillet 2016