Quand on lui parle de la réforme du divorce, Valérie Objilère-Guilbert est sans ambiguïté. « C'est une loi faite par les hommes et pour les hommes ! » dit-elle.
Avocate à Rennes, spécialiste du droit des familles, elle sait de quoi elle parle. Des couples qui divorcent, elle en reçoit chaque année plusieurs centaines dans son cabinet.
Elle sait que cette démarche est toujours « difficile, douloureuse » émaillée de « nombreuses violences » de toutes sortes et craint que cette « énième réforme » ne fasse « des dommages collatéraux ».
Pour elle, « brader la justice familiale, c'est faire du mal à toute la société ».
Valérie Objilère-Guilbert se dit « très sensible à la cause des femmes » et elle ajoute : « des hommes aussi, en général ». Le droit de la famille « au sens large » s'est imposé pour celle qui avoue « aimer cette matière parce qu'elle touche à l'humain, à l'intimité et qu'on peut vraiment aider les gens ».
D'ailleurs, l'avocate ne se contente pas d'accompagner les familles dans sa pratique professionnelle, elle milite également au CIDFF 35 dont elle est membre du conseil d'administration et au sein de l'association Aide Juridique d'Urgence dont elle est vice-présidente.
« C'est un métier d'engagement – dit-elle encore – pour être toujours enthousiaste, il faut aimer les gens. J'aime bien être disponible pour mes clients, c'est une relation de confiance sur le long terme et il doit y avoir autre chose que l'argent entre l'avocat et son client ! » En témoigne sur son bureau ce petit dessous de verre rapporté de Londres par une cliente la sachant adepte des objets kitsch !
On ne fait rien avec une pension de 150€ !
« 30 à 50% des couples se séparent ou divorcent, c'est énorme ! » rappelle l'avocate qui précise que cela « touche toutes les couches de la société avec des répercussions sur l'emploi et la vie sociale ». Pour elles, les difficultés qu'entraîne le divorce touchent particulièrement les femmes notamment celles qui se retrouvent en situation de monoparentalité. « L'argent - analyse-t-elle – est généralement du côté masculin et une pension alimentaire moyenne est de 150€ par enfant ; on ne fait rien avec 150€ ! » Les femmes, toujours « inférieures économiquement », se retrouvent seules avec des enfants à charge quand elles sont jeunes, souvent sans emploi et sans qualification quand elles ont cinquante ans.
Son expérience de ce type de situations défavorables aux femmes lui fait craindre que la réforme du divorce par consentement mutuel se fasse une fois encore au détriment des familles. « Depuis toujours le ministère de la Justice fait des économies sur les familles parce que c'est ce qui se voit le moins – dit-elle – mais brader la justice familiale, c'est faire du mal à toute la société. » En effet, c'est un argument d'économie qui prévaut dans la présentation de cette réforme. Simplifier les procédures permettraient d'économiser de l'argent et du temps pour les magistrats actuellement en charge des dossiers. A Rennes, cinq juges aux affaires familiales se partagent actuellement cinq mille dossiers par an.
« La société raisonne vite aujourd'hui, à l'heure d'internet – estime Maître Objilère-Guilbert – On pense que tout peut se faire d'un seul clic ! Autrefois, pour divorcer il fallait passer deux fois devant le juge ; aujourd'hui, c'est seulement une fois. Le divorce est totalement contractualisé ; il fait l'objet d'une convention soumise à l'approbation du juge qui reçoit chacun des époux séparément et doit s'assurer de la réalité et de la liberté du consentement de chacun ». Si la réforme est appliquée, il ne s'agira plus que d'une simple visite chez le notaire.
Le juge, le « côté solennel » du divorce
Or, l'avocate le sait bien : « il y a des divorces plus ou moins contraints », des petits arrangements qui se font généralement au détriment de l'un – de l'une ? - des deux époux. Aujourd'hui, les deux époux peuvent venir ensemble chez un même avocat ; demain, chacun devra avoir le sien propre. « Quand deux personnes viennent me voir pour divorcer, je ne leur demande jamais pourquoi ils divorcent – explique l'avocate – mais si quelque chose ne va pas entre eux, je m'en rends compte. Quand chacun aura son avocat, est-ce qu'on saura ce qui se passe de chaque côté ? »
« La justice ne peut pas se contenter d'une vision instantanée » plaide encore maître Objilère-Guilbert qui défend le « côté solennel » apporté par le juge. « Son rôle est essentiel. J'aime bien que le magistrat existe – dit-elle – j'aime bien l'idée qu'il contrôle » et notamment qu'il demande aux avocats de revoir leur copie si la convention rédigée ne paraît pas équitable et que l'un des deux époux semble lésé.
Un rôle que le notaire demain ne sera sans doute pas en mesure d'assumer. D'autant croit savoir l'avocate que les rémunérations prévues seront très faibles. « Quel serait l'intérêt des notaires ? » s'interroge-t-elle se disant « plutôt opposée » à la réforme qui divise les avocats, chacun ayant de bonnes raisons d'être pour ou contre. Rejoignant nombre d'associations féministes dans leur analyse, l'avocate craint « que les familles souffrent, que les enfants soient peu respectés et que la partie la plus faible soit encore infériorisée ».
Pourtant, pragmatique, elle sait aussi que si elle doit faire avec, elle le fera. Ce qu'elle craint ce sont les « dommages collatéraux », ces conventions mal réfléchies qui reviendront en appel quand les époux en prendront conscience. « Les économies de procédures qu'on va faire à la base – pense-t-elle – se répercuteront après sur le service après-vente du divorce ! » Ce qui ne ferait finalement qu'alourdir le travail des magistrats.
Sur les grues plutôt que chez le juge
« Comment peut-on autant banaliser le divorce ? » se demande encore Valérie Objilère-Guilbert témoin chaque jour de toute la violence générée par des séparations difficiles. S'ils sont nombreux, les divorces par consentement mutuel ne sont pas les plus fréquents. Et à l'heure de la séparation, les couples souvent se déchirent. « L'imagination pour se faire mal n'a pas de limites » commente l'avocate qui décrit ce qu'elle appelle la « violence 2.0 » apparue depuis quelques années. Internet, les téléphones portables, les réseaux sociaux, comme autant de nouvelles armes pour détruire ce et ceux qu'on a aimés !
« Les pauvres enfants, ce qu'on leur fait porter ! » se désole l'avocate évoquant notamment le bras de fer qui se joue parfois autour de la garde des enfants. « Je n'ai jamais observé chez les magistrats de réticence à accorder la résidence alternée aux pères – dit-elle – ce qui guide c'est l'intérêt de l'enfant. Mais il faut reconnaître que les femmes assument plus que les hommes encore aujourd'hui. Et que pour beaucoup d'entre eux, un week-end sur deux et la moitié des vacances scolaires, c'est largement suffisant ! »
Alors, les papas sur les grues, que faut-il en penser ? « Est-ce que c'est une bonne solution quand on refuse de se rendre chez le juge d'aller se percher en haut d'une grue ? – s'interroge Valérie Objilère-Guilbert sans perdre son calme – Et de se victimiser alors qu'on n'a pas voulu faire valoir ses droits au moment où on pouvait le faire ? Les juges aux affaires familiales aujourd'hui ne sont pas pro-mères et quand les pères ont les capacités matérielles, éducatives, affectives, etc. et veulent obtenir une garde alternée, ils l'obtiennent ! C'est aussi simple que ça ! »
Geneviève ROY