1975/2015. Voilà quarante ans, Simone Veil obtenait le vote de la loi légalisant l'avortement. Pour en arriver là, de nombreuses femmes s'étaient battues et beaucoup avaient laissé leur vie dans des avortements clandestins.
A leurs côtés, des soignants, hommes et femmes, avaient aussi pris des risques considérables.
Publié voilà un an, « Les Femmes s'en vont en lutte » revient sur les années qui ont précédé grâce à des documents historiques mais aussi aux témoignages de femmes qui à Rennes ont vécu ces luttes déterminantes.
On en a déjà parlé ces derniers mois, notamment à l'occasion de l'anniversaire de l'ouverture des débats au Parlement, mais c'est véritablement le 17 janvier prochain que la France pourra célébrer les 40 ans de l'adoption de la loi Veil sur l'avortement.
Une loi adoptée dans la souffrance et grâce au courage d'une ministre, Simone Veil, dans une société extrêmement divisée sur la question.
Quarante ans plus tard, les débats restent vifs comme on a pu le constater l'an dernier quand l'Assemblée Nationale a dû se prononcer sur la formulation précise de cette loi. En 1974, lors des premiers débats, il avait été considéré que le droit à l'avortement devait répondre à une « situation de détresse ». Aujourd'hui, ce terme vient d'être retiré mais il aura fallu une fois encore se battre.
Une femme meurt toutes les neuf minutes dans le monde
A Rennes, début 2014, Lydie Porée et Patricia Godard ont publié un ouvrage particulièrement documenté sur toutes les luttes précédant l'adoption de la loi. Dans sa préface, Colette Cosnier, écrit : « Oui, il y eut un temps où on pouvait mourir d'être une femme. » C'est ce temps-là que les deux auteures, soutenues par l'association Histoire du Féminisme à Rennes, ont voulu décrire. Ces années noires où la France comptait pas moins de 800 000 avortements clandestins par an qui pour nombre d'entre eux entraînaient le décès des femmes. A Rennes, on se souvient bien sûr, de Clotilde Vautier morte en 1968.
Aujourd'hui encore partout où l'avortement n'est pas autorisé, des femmes meurent chaque jour de pratiques clandestines à risque ; on estime qu'une femme meurt toutes les neuf minutes dans le monde. C'est pour ça que les manifestations de soutien ont été nombreuses voilà un an quand la loi espagnole a été remise en question. Et que les associations féministes notamment demandent une vigilance extrême sur cette question. On se souvient également des débats en Europe autour du rapport Estrela qui voulait faire de l'accès à l'avortement un droit européen. Rappelons qu'actuellement encore ce droit n'est pas accessible à toutes les européennes notamment en Pologne, à Malte ou en Irlande et l'est difficilement dans certains pays où les médecins font valoir leur clause de conscience, comme en Italie.
Pour marquer cet anniversaire et rappeler que les femmes ont dû – et doivent encore – se battre âprement pour leurs droits, voici deux témoignages extraits du livre « Les femmes s'en vont en lutte ». En hommage à toutes celles qui dans l'anonymat ont permis de faire avancer un pays tout entier. Avant l'adoption de la loi mais aussi juste après quand on faisait payer aux femmes un droit qu'elles avaient légalement acquis.
L'Angleterre : « une expédition absolument effroyable »
« J'ai été obligée d'avorter à l'étranger en étant mineure. J'avais 16 ans (...) et le médecin avait clairement dit à mes parents : « soit vous trouvez une solution pour déclarer que c'est un viol, et c'est possible, soit c'est pas possible. » (...) Il y a eu cette possibilité d'aller en Angleterre. C'était une somme exorbitante pour l'époque, en tous cas pour le niveau financier de mes parents qui étaient ouvriers. (...) Dans l'avion il y avait une grande proportion de femmes et quand on est arrivées et qu'on est passées à la douane, l'officier faisait des réflexions parce qu'il savait que la moitié des Françaises venait pour une IVG. (...) On avait un journal français dans les mains et quelqu'un nous identifiait comme ça, nous mettait dans un taxi et on arrivait chez un médecin. (...) Il y avait exclusivement des Françaises et tu reconnaissais les gens que tu avais vus dans l'avion. (...) Après tu repartais en taxi sur une clinique et là (...) il y avait une vingtaine de femmes à la queue leu leu qui rentraient et qui en croisaient vingt qui sortaient. C'est là que tu te rendais compte que c'était une usine. (...)
Peut-être que pour d'autres femmes, d'autres milieux sociaux, la chose était plus facile mais pour une mineure accompagnée d'un parent d'un milieu social comme le mien, c'était une expédition absolument effroyable. Ma mère a toujours fait comme si, encore maintenant, elle n'avait jamais pris l'avion et n'était jamais allée en Angleterre de sa vie ! »
« Les internes s'en donnaient à cœur joie pour humilier les femmes »
« Ça a été terrible parce que le service venait juste de se créer (...) C'étaient encore des salles communes et l'interne est entré en criant devant tout le monde : « Qui c'est la dernière qui s'est refait avorter ? » C'était moi. Il m'a emmenée directement et ils ont passé des bougies pour dilater le col et normalement pour pas que ça fasse mal, on met des petites bougies puis des un peu plus grosses, puis un peu plus grosses, etc. Là, ils m'ont mis la plus grosse d'emblée et ils ont aspiré directement (...) C'était vraiment épouvantable. Le soir même, je suis sortie complètement horrifiée et il y avait une réunion à la CFDT sur l'avortement et je suis allée raconter ça devant toute une salle : comment se pratiquaient les avortements quand la loi était passée. (...) Il y avait surtout des chefs de service odieux qui traitaient les femmes de façon ignoble et refusaient de participer à la vie du service et d'y envoyer leurs médecins : les anesthésistes n'avaient pas le droit d'y venir donc les aspirations se faisaient à vif ; idem pour le service de gynécologie, donc il n'y avait que des médecins de ville, généralistes pour la plupart qui pratiquaient les IVG et s'il y avait un problème en cours d'aspiration, il fallait transporter les femmes dans le service de gynéco ; personne ne se déplaçait, ce qui était d'autant plus risqué que le service avait été créé au fin fond de l'hôpital dans un vieux bâtiment, bien à l'écart des autres services. Et les internes s'en donnaient à cœur joie pour humilier, faire mal, tout ça à vif. »
Au moment de célébrer l'anniversaire de la loi Veil, n'oublions pas que le combat continue et qu'il en reste d'autres à mener. Colette Cosnier, dans sa préface écrit encore : « dans le livre de Lydie Porée et Patricia Godard on entend l'écho de ce que chantaient les Rennaises des années 1970 : ce n'est qu'un début ; continuons le combat ! » La devise reste d'actualité.
Geneviève ROY
Pour aller plus loin :
Les femmes s'en vont en lutte, histoire et mémoire du féminisme à Rennes (1965-1985) aux éditions Goater (2014)
Le blog de l'association Histoire du féminisme à Rennes