Chaque année, Morgane Rey et sa compagnie Kouliballets proposent au printemps un spectacle chorégraphique. Depuis longtemps déjà, l'artiste s'empare de thématiques féministes pour bâtir ses pièces.
Après entre autres « Ladies » en 2016 sur l'énergie des femmes quinquagénaires et « Femmes souriant à l'invisible » l'année dernière sur la figure de la sorcière, la revoilà avec un sujet qui peut surprendre.
C'est au Petit Chaperon Rouge qu'elle s'est cette fois-ci attaquée pour ce qu'il donne à voir de la toute puissance masculine.
Des contes, Morgane Rey en a lu des dizaines depuis quelques années, fascinée par ces histoires tellement présentes et depuis si longtemps dans la littérature jeunesse et pourtant un peu oubliées des veillées. Et celui qu'elle retient raconte les mésaventures d'une petite fille vêtue de rouge. « J'aimais bien cette histoire de loup, de prédateur – dit-elle – ces personnages de femmes qui se définissent en étant confrontées à la puissance masculine. » Si elle voit l'homme dominant dans le loup, elle parle aussi de « sororité » et de « transmission de savoirs » quand arrive la grand-mère. « C'était un chemin logique – dit-elle encore – après mon travail sur la sorcière, sur la femme libre ».
Inspirée par la lecture d'un essai sur les frères Grimm et sur Perrault, et parfaitement consciente que les uns et les autres avaient admirablement su « envelopper [leurs histoires] pour servir une société patriarcale », Morgane Rey part à la recherche des différentes versions du Petit Chaperon Rouge. Elles sont nombreuses d'Italie à l'Afrique du Nord en passant par la Russie et les pays de l'Est ; dans certaines, même, l'enfant est un petit garçon.
« Quand je dis non, c'est non ! Pas besoin de stratagèmes »
« La version qui m'a vraiment séduite – raconte la chorégraphe - c'est une version française du 14ème siècle qui dit que le Petit Chaperon Rouge met une tannée au loup et s'en sert comme d'un appui pour révéler un féminin puissant ». Enfin débarrassée de l'image traditionnelle forgée par Charles Perrault où « tout à coup, c'est le papa qui arrive sous forme de chasseur avec un fusil et devient le héros en maintenant la fillette dans son statut d'enfant, de dominée, de protégée », elle trouve aussi son inspiration dans cette illustration de Gustave Doré où le Petit Chaperon « ne semble pas du tout effarouché et regarde le loup droit dans les yeux ! »
Voilà justement ce qu'elle veut montrer, Morgane Rey, dans ses ballets : des femmes puissantes, affranchies, libérées. « C'est ça le Petit Chaperon Rouge – analyse-t-elle – c'est dire : je dispose de mon corps, point ! C'est dire : quand je veux, où je veux ; et si je dis non, c'est non ! Pas besoin d'utiliser des stratagèmes pour me faire dire oui ! »
Elle reconnaît dans cette nouvelle œuvre « une radicalité qu'il n'y avait pas dans les autres pièces ». La différence pour elle se situe dans la distribution : « là, il y a la présence d'un personnage masculin (le loup) et ça change tout ! Il ne s'agit plus de dire "on est féministes" mais de dire comment ça se réveille chez nous et comment on le vit au quotidien ! »
« Les contes, c'est fait pour avertir, pour prévenir »
Sur scène, comme d'habitude, Morgane Rey ne placera que des femmes. Qu'il s'agisse du duo (professionnel) ou du quatuor (amateur) les danseuses dont elle fait partie se partagent les rôles de l'enfant, de la grand-mère, du loup et de la forêt qu'elle juge « hyper importante pour pouvoir recharger ses batteries ».
Pour elle, c'est clair, le conte ne parle pas d'une enfant rendant visite à sa grand-mère mais bel et bien de viol et d'inceste. Comme pour chaque thématique abordée par sa compagnie, l'artiste a mis en place des cercles de paroles pour faire émerger les images dont elle a besoin pour construire ses spectacles.
Si le sujet a pu parfois susciter des réticences voire des résistances, elle défend son importance au point d'envisager de prolonger ces échanges sur les violences faites aux femmes dans le quartier du Blosne où elle travaille. Et soutient l'importance également d'en parler avec les enfants ; « les contes c'est fait pour avertir, pour prévenir » dit-elle.
Qu'il s'agisse d'enfants, d'adultes, voire de personnes âgées, Morgane Rey veut que chacun-e puisse faire entendre sa voix car dit-elle « non seulement j'ai le droit de faire ce que je veux de mon corps, mais j'ai aussi le droit que ma pensée soit écoutée ». « Ça peut réconforter - estime-t-elle enfin - quand on est victime de savoir que si on écrit des histoires sur ce sujet c'est parce qu'on n'est pas seul-e, que c'est universel » comme ça peut aider de « poser sa colère » dans un cercle de paroles.
Geneviève ROY
Pour aller plus loin : le spectacle Lou(ps) débute dans quelques jours, le 10 mai, à Mordelles. Il sera ensuite présenté dans différents endroits dont Pacé et Rennes.