La dernière création de la chorégraphe Morgane Rey naît d'une révolte. Celle d'une femme de cinquante ans qui « en a marre » de recevoir des lettres qui l'incitent à se reconvertir.
« Les chorégraphes, les danseuses, après cinquante ans, on n'en parle même plus - s'emporte la fondatrice de la Compagnie Erébé Kouliballets – j'ai senti le coup venir à partir de quarante-cinq ans et ça commençait à m'énerver sérieusement, parce que ce n'est pas juste. D'autant plus que les hommes, eux, peuvent continuer à danser ! »
Bien décidée à ne pas se laisser « enterrer vivante » par la société, la danseuse a réagi et en a fait un spectacle Ladies qu'elle co-construit avec d'autres artistes, des cinquantenaires, comme elle, a l'énergie vitale intacte.
« Je préfère largement mes cinquante ans à mes vingt ans » confie Morgane Rey dans un rire. Et c'est justement parce qu'elle sent en elle – et chez ses amies danseuses - « quelque chose de bouillonnant, de créatif, un nouveau cycle qui commence » qu'elle se sent pleine d'énergie pour la scène.
Avec Katleen Reynolds et Anne Briant, accompagnées par la musique de Sébastien David et sur les mots de Kouam Tawa, Morgane a conçu Ladies pour montrer que les femmes de plus de cinquante ans gardent une place dans cette société qui voudrait les en priver. « On voudrait nous faire taire – résume-t-elle – qu'on devienne plus ou moins des mamies. On a mis quarante ans à acquérir un savoir-faire et il faudrait le mettre dans une boite et dire : voilà, j'étais danseuse ou j'étais chorégraphe ! »
L'âge où on est « délestées de plein de choses »
Pour elle, au contraire, c'est bien au présent qu'il faut continuer à conjuguer sa vie après cinquante ans. Parce que justement l'âge c'est aussi la maîtrise de son art, de son corps, une expérience formidable et une certaine liberté. Autant de convictions qu'elle a souhaité partager sur scène avec des amies afin de montrer l'importance pour elle de l'amitié féminine. « Depuis quarante ans, on se tient, on se soutient et on rigole ensemble - dit-elle – s'il n'y avait pas ça, ce ne serait pas franchement rigolo, des fois ! »
Et puis, Morgane, du haut de ses cinquante ans, ose aborder ce qui reste souvent tabou : la ménopause. « Je trouve que c'est l'âge où on est justement délestées de plein de choses et surtout de ce poids que fait peser sur toute femme la société, ce devoir de faire des enfants. » Et de se réjouir de « ce truc qui s'en va et qui laisse énormément de place. » Parfois « un peu de désarroi quand même » mais tellement d'énergie si on sait « l'apprivoiser. »
Savoir apprivoiser un corps qui change
Alors, bien sûr, pour une danseuse peut-être encore plus que pour d'autres femmes, il faut aussi savoir vivre avec « un corps qui change ». Morgane ne le cache pas et y voit une touche supplémentaire de féminité alors que les jeunes danseuses lui semblent de plus en plus « androgynes ». « Parfois on se regarde dans un miroir et on se dit : ce n'est pas moi ce truc horrible ! – dit-elle – Et puis, parfois, on se dit : je ne suis pas si mal après tout ! » Une question de confiance en soi que seul l'âge peut apporter.
Dans ses réflexions sur l'âge, Morgane Rey sait qu'elle touche à quelque chose d'universel. Elle qui a travaillé au Mali sait que pour toutes les femmes les questions sont les mêmes et qu'il faut apprendre à « construire quelque chose de positif », apprendre « dans le pesant à aller vers le léger. » « Ce qui nous tient – dit-elle encore – c'est l'énergie vitale et c'est ce qui nous pousse à créer. »
Une énergie qu'elle puise également dans le texte de l'artiste camerounais Kouam Tawa et notamment dans ce texte Danse sans Transe qu'il a écrit pour elle lors d'une résidence à Rennes à la Cité de la Danse du Triangle en 2012. 352 phrases qui chacune commence par les mêmes mots « je danse » ; des phrases qui « ouvrent l'imaginaire ». Comme celle que Morgane a choisi de mettre en exergue du spectacle : « je danse le présent d'un temps qui s'évapore ».
Geneviève ROY
Pour aller plus loin :
La création de Morgane Rey - Ladies, « un jeu de dès n'abolira jamais le hasard* » - est en résidence actuellement dans plusieurs lieux notamment des crèches et des écoles maternelles, à Rennes, Pacé, Saint-Sulpice la Forêt, le Rheu. Des premiers extraits seront présentés le 16 mars au collège Georges Brassens au Rheu et en juin à la Médiathèque de Pacé et à l'occasion du Festival Tout à Coup à Rennes. La création se fera en septembre à Rennes au Théâtre du Vieux Saint-Etienne.
* - Stéphane Mallarmé
En préparation du mois de mars
La Compagnie Erébé Kouliballets prépare avec le CIDFF 35 un flash-mob pour les journées des droits des femmes. Le rendez-vous est donné place de la Mairie à Rennes le 5 mars à 16h 30. Des répétitions sont proposées en amont : le 1er mars de 18h30 à 19h30 au collège des Ormeaux et le 3 mars de 18h 30 à 19h 30 au Triangle.