On devine les fêlures, les blessures mais surtout la rage de vouloir s'en sortir. Aujourd'hui, Mélissa Plaza est dans une période charnière de son parcours. Encore footballeuse pour quelques mois, elle a accepté l'idée que sa carrière allait prendre fin et se lance dans une nouvelle aventure armée d'un doctorat en psychologie sociale.
Derrière tout ça, une détermination exemplaire. Et de nombreuses années de travail intense où elle cumulait petits boulots, études et compétitions sportives. « Pour moi, l'épanouissement passait par là » dit celle qui dénonce les conditions de vie précaires que subissent les sportives de haut niveau.
« Il n'est même pas question d'égalité – soutient-elle – mais de dignité », en tout cas dans un monde qu'elle connaît bien, celui du football.
« Dès qu'on m'a donné un ballon, je ne l'ai pas pris à la main, mais au pied » se souvient Mélissa Plaza. Plus que ses propres souvenirs, ce sont ceux qu'on lui a raconté. Car, elle était si petite qu'elle marchait à peine plaisante-t-elle. Souvent la passion d'un sport naît d'un modèle social, ce ne fut pas son cas. « J'ai toujours aimé le foot – dit-elle – et j'ai compris très vite que ce serait pour moi un moyen de m'extirper d'un milieu familial compliqué ». Elle n'en dira pas plus et qu'importe finalement. Ce qu'il faut comprendre c'est que très tôt Mélissa est consciente qu'elle n'a « personne sur qui compter » et qu'il faut qu'elle apprenne « à se débrouiller seule ». Un parcours qui, elle le reconnaît aujourd'hui, lui a donné une « force » particulière.
Devenir footballeuse professionnelle, c'est pour Mélissa « un rêve de gamine ». Et elle met toutes les chances de son côté pour y parvenir. Mais, très tôt aussi, la jeune femme comprend que ça ne suffira pas, que « les conditions qu'on [lui] offre ne représentent pas l'idéal d'une vie ». Alors, avec la même détermination, elle s'engage dans de longues études. Un Master d'abord, puis une thèse en psychologie sociale sur les stéréotypes de genres dans le sport. Des questions qui intéressent depuis longtemps celle qui est étiquetée dans toutes les équipes où elle joue, tour à tour : Montpellier, la Roche sur Yon, Lyon, Guingamp. « Arrête de râler, la féministe ! » s'entend-elle rétorquer par ses camarades sitôt qu'elle remet en cause les conditions d'entraînement des filles. « Dans tous les clubs où j'ai joué, j'avais la casquette de féministe – analyse-t-elle – mais parce que j'avais aussi celle d'intellectuelle ».
A l'Olympique de Lyon, on prend soin des joueuses
Si depuis quelques années il est de bon ton pour les grands clubs de communiquer sur les équipes féminines, l'envers du décor est moins glamour. « Lyon, bien sûr, est un exemple parfait à ce niveau-là ; Aulas est un fervent défenseur du foot féminin ! - modère l'ancienne joueuse de l'OL – Et certains autres clubs comme le PSG, le MHSC ou Juvisy notamment » Ailleurs, elle dénonce des conditions déplorables, des salaires de misère, des infrastructures lamentables.
« Pour un petit pécule, on demande aux filles de s'entraîner six voire huit fois par semaine, de faire trente heures de bus dans le week-end, de prendre des jours de congés sur leur deuxième boulot » énumère-t-elle. Parce que bien sûr, elles sont aussi obligées d'avoir un autre emploi, à temps partiel, pour vivre un peu plus décemment.
Et elle enchaîne : des vestiaires de 9m2, des douches froides, des shorts trop grands, seulement deux tee-shirts pour six entraînements par semaine ; c'est bien connu, les femmes aiment faire la lessive ! « Les inégalités qu'on dénonce dans le monde professionnel, dans le foot, elles sont dix fois pire ! » résume Mélissa. Sans compter les études abandonnées souvent très tôt sans perspective d'avenir au-delà du foot. « Comment on se développe culturellement ? Intellectuellement ? Qu'est-ce qu'on fait pour que ces filles se sentent épanouies ? - s'interroge-t-elle – tout ce qui est privilégié, c'est le foot ! Je n'ai jamais voulu faire de choix entre les études et le sport ; pour moi, l'épanouissement passait par là. »
Une expérience douloureuse, et puis Saint-Malo
Alors, pourquoi ce silence autour de telles réalités ? Sans doute, parce que des filles comme Mélissa, il y en a très peu. « Il y a beaucoup de filles naïves – dit-elle encore – et j'étais la seule à monter au créneau. Je n'arrive pas à savoir si elles sont résignées ou juste pas conscientes. Beaucoup se disent que finalement, on a déjà pas mal avancé. » Un jour « il faudra parler des moyens mis à la disposition des équipes féminines... de certains staffs médicaux ou techniques incompétents (...) Ils se permettent ça avec nous parce qu'on ne dit rien, on est gentilles ; on a été élevées pour ça » s'emporte Mélissa qui ajoute : « avec des équipes de garçons, ils se feraient accrocher au porte-manteau au bout de deux entraînements ! »
La dernière expérience est encore douloureuse pour la jeune femme. Et le bilan en est lourd : une blessure irréversible et la fin de sa carrière qui se profile. « J'avoue que l'année dernière encore, j'avais des rêves d'équipe de France – confie-t-elle – mais j'ai dû mettre un mouchoir sur certains de mes rêves. » Pour être « certaine » qu'elle n'était « plus capable de jouer », Mélissa a repris une licence cette année dans un club de ligue 2, l'US Saint-Malo, mais elle sait désormais que physiquement, ce n'est plus possible pour elle.
« J'irai au bout de la saison – dit-elle – mais je n'ai pas trente ans et je ne veux pas me retrouver avec une prothèse du genou demain ! » Elle avait choisi Saint-Malo pour « retrouver des valeurs, un club éthique » ; opération réussie : ses partenaires sont admiratives de son parcours et « ultra compréhensives » face à cette championne qui les a rejoint après une double opération et onze mois de rééducation.
Dans le monde de l'entreprise, continuer le combat
Sa nouvelle vie, Mélissa la fera dans le monde de l'entreprise. En juin dernier, elle a soutenu sa thèse et très vite a rencontré un chef d'entreprise qui l'a soutenue dans sa création de cabinet de consulting sur le thème de l'égalité femmes/hommes dans l'agglomération rennaise. « Comme souvent dans ma vie, j'ai eu une main tendue pour me sortir de mon tunnel noir » dit-elle, évoquant cette collaboration qui lui permet aujourd'hui d'avoir un statut de salariée et de proposer ses services aux entreprises mais aussi aux collectivités territoriales ou aux établissements scolaires.
Des interventions interactives, des conférences, des séminaires... bref, tout ce qu'elle peut mettre en place pour sensibiliser aux stéréotypes dans le sport et ailleurs. Une façon aussi pour la jeune femme de « continuer le combat » contre les inégalités subies par les sportives, pour « une question éthique ». Une cause qu'elle a toujours défendue ; « c'est un peu le reflet de ma vie, finalement – dit-elle – et c'est cool de se lever le matin et d'aller au boulot avec le sourire ! »
Toutes les compétences et les qualités acquises au cours de sa carrière de sportive de haut niveau – la rigueur, le goût de l'effort, l'ambition et l'envie de se dépasser - la jeune femme veut maintenant les mettre au service de son nouveau projet. « Le sens de l'organisation aussi – ajoute-t-elle avec humour – parce que dans la pratique féminine, il faut être hyper organisée. Quand j'étais à la Roche, j'avais trois jours de boulot dans un fast-food, trois jours de fac et six à huit entraînements de foot par semaine plus les matches le week-end. Autant dire trois vies en une ! Ça demande une organisation phénoménale ! » Ce n'est pas toujours facile, reconnaît Mélissa Plaza, de renoncer à certains rêves, mais concède-t-elle « on en trouve d'autres qui sont aussi exaltants et aussi galvanisants ! »
Geneviève ROY
Pour aller plus loin : retrouver sur internet la conférence Tdex réalisée par Mélissa Plaza et suivre sa société Queo Improve sur facebook