Les violences faites aux femmes sont nombreuses et multiformes. En France, les chiffres font apparaître que chaque année plus de 200 000 femmes se déclarent victimes de violences conjugales. Et pour l'année 2014, 134 d'entre elles sont mortes sous les coups de leur conjoint ou ex-conjoint.
Or, moins de 20% de ces femmes maltraitées portent plainte.
Pourquoi ? Les différents temps d'échanges proposés par les associations rennaises à l'occasion du 25 novembre, journée internationale pour l'élimination des violences faites aux femmes, ont permis d'apporter quelques réponses à cette question.
Depuis plusieurs années, Dominique Boistard est détaché à l'Hôtel de Police de Rennes. Cet assistant social a pour mission d'accompagner les personnes victimes ou auteurs de violences. Invité de la table ronde organisée le 20 novembre dernier au Tribunal de Grande Instance de Rennes, par la CAF et le TGI, il a analysé pourquoi le dépôt de plainte pour les victimes de violences conjugales n'allait pas forcément de soi.
Le rôle de Dominique Boistard, c'est d'abord prendre le temps parce que dit-il, « la violence conjugale a produit son effet : la peur. » Il lui faut alors, dans l'intimité de son bureau, dédramatiser l'acte. « Il faut du temps pour écouter tous les freins, expliquer la procédure dans les détails - dit-il – je passe beaucoup de temps pour essayer de transformer l'image d'une plainte sanction qui va nuire au conjoint et faire comprendre que c'est d'abord une démarche pour être aidée. »
Ne plus avoir peur de ses peurs
La première des peurs qui paralyse la plupart des femmes victimes à l'idée de porter plainte contre leur conjoint, souvent le père de leur-s enfant-s, c'est la peur de faire du mal, de mettre en prison, la peur de détruire une famille. Souvent apparaît aussi clairement la peur des représailles et la crainte que l'autre ne devienne « encore plus violent ». A cela s'ajoute la peur de ne pas être crue, « d'être prise pour une folle » notamment lorsqu'il s'agit de violences psychologiques. Le jugement des autres est aussi difficile à affronter pour ces femmes qui souffrent souvent d'isolement généré par l'emprise du conjoint violent. Porter plainte, ça signifie pour elles le premier pas vers une séparation, vers l'hostilité d'un environnement familial ou amical, souvent vers de nouvelles difficultés financières pour assurer le quotidien de la famille. Autant d'obstacles pour ces femmes qui hésitent à franchir la porte d'un commissariat ou d'une gendarmerie.
Dominique Boistard est là pour les rassurer, pour mettre des mots sur leurs craintes et expliquer par exemple que ce n'est pas leur dépôt de plainte qui risque d'envoyer leur conjoint en prison, mais bel et bien son attitude à lui et notamment ce qu'il exprimera de cette situation durant l'enquête. « Déposer plainte, c'est obliger l'autre à s'exprimer » dit-il. C'est aussi participer à la mise en sécurité de la victime et souvent des enfants, victimes collatérales des violences au sein du couple. « Mon travail – dit encore Dominique Boistard - c'est de faire en sorte qu'elles n'aient plus peur de leur peur. »
D'abord écouter et mettre des mots
Virginie Thoby ne dit pas autre chose lorsqu'elle participe aux échanges de pratiques organisés par le Planning Familial 35 le 24 novembre à destination des professionnel-les en lien avec des jeunes de 12/25 ans victimes de violences sexuelles ou sexistes.
Pour cette éducatrice, salariée de l'ASFAD comme Dominique Boistard, le recours à son collègue en poste au commissariat est souvent une étape nécessaire dans l'accompagnement des femmes victimes.
A l'accueil de jour, son premier accompagnement va être celui des mots avec des personnes qui n'ont pas toujours verbalisé la violence elle-même. « Elles arrivent en disant : quelque chose ne va pas dans mon couple – explique Virginie Thoby – Avec elles, on met des mots sur ce qui se passe, on revient sur les faits mais aussi sur les ressentis, les émotions, tout ce que cela a provoqué chez elles. On rappelle aussi ce que dit la loi et quels sont leurs droits. »
Mais, pour la jeune professionnelle la chose est entendue : une femme qui ne veut pas porter plainte ne doit pas être poussée à le faire. Sinon, dit-elle, « on retourne dans ce triangle dramatique et on prend alors la place de l'auteur des violences. » Ce qui compte pour elle, c'est d'apporter à ces femmes « un lieu où elles seront crues, entendues, accueillies de manière inconditionnelle et où elles puissent retrouver une certaine capacité à agir. »
Entrer au commissariat en douceur
A celles qui hésitent, qui ont bien compris qu'elles sont « légitimes à porter plainte » mais qui ont du mal à franchir le pas, Virginie Thoby propose de rencontrer l'intervenant social de l'Hôtel de Police. Une façon pour elles « d'entrer en douceur au commissariat », un espace a priori hostile. « On entre dans un grand espace avec un policier qui est derrière une vitre – décrit Virginie Thoby – on doit hurler ce pour quoi on vient pour qu'il comprenne de l'autre côté ». On imagine assez bien qu'une femme victime de violences n'a pas envie d'étaler sa vie privée. Son rendez-vous avec Dominique Boistard va lui permettre « de monter les marches, de rentrer et de demander à voir l'assistant social ; c'est moins stigmatisant. »
C'est lui ensuite qui prendra le temps de la recevoir une ou plusieurs fois pour lui expliquer ce qui pourrait se passer si elle portait plainte. « Il arrive même – poursuit Virginie Thoby – qu'il lui fasse rencontrer un policier pour qu'elle se rende compte que ce sont aussi des gens comme vous et moi, qui font leur travail, qui ne vont pas la juger ni se moquer d'elle. »
Mais dit encore l'éducatrice, « il y a des femmes qui ne porteront jamais plainte et celles-là, nous devons aussi les accompagner ; elles en ont besoin. » C'est le rôle de l'accueil de jour de l'ASFAD où elle reçoit avec ou sans rendez-vous, en individuel ou en groupe, des femmes qui ont juste envie d'être écoutées, qui ont « besoin – dit-elle – de faire tout un chemin avant même d'envisager l'idée de pouvoir un jour porter plainte. »
Geneviève ROY
Photo Planning Familial 35