Lorsqu'une femme est victime de violences conjugales, où trouve-t-elle le bon interlocuteur ? Qu'elle porte plainte ou non, quels sont ses recours ? Les travailleurs sociaux, les médecins, savent-ils vers qui orienter les victimes ? Les services de police, de gendarmerie ou de justice, qui pourtant disposent de lois récentes, sont-ils toujours à la hauteur ?
A Rennes, à l'occasion des journées de lutte contre les violences faites aux femmes, une table ronde était proposée au Tribunal de Grande Instance pour aider les profesionnel-les à y voir plus clair.
La collaboration entre les différents acteurs de terrain semble souvent chaotique !
Les travailleurs sociaux – très majoritairement semble-t-il des travailleuses – ont tous et toutes une anecdote à raconter sur des femmes qui n'ont pas été prises au sérieux par les forces de Police ou celles qui se retrouvent à la rue parfois en pleine nuit, souvent avec des enfants. Françoise Guillemin, vice-procureure, raconte, elle, les cas qui se règlent par une comparution immédiate et l'éloignement rapide du conjoint maltraitant.
On se demande si tous ces acteurs de l'accompagnement des violences conjugales vivent bien dans le même monde !
Le 20 novembre, la table ronde organisée par la CAF d'Ille-et-Vilaine et le TGI de Rennes avait pour thème : les violences intrafamiliales, besoins des familles et réponses de la Justice. Le débat qui suivit les interventions des invités montrait de façon très efficace la nécessité urgente de trouver un terrain d'entente pour que toutes ces situations douloureuses parviennent à coïncider.
Par manque d'hébergement, l'hôpital ou le 115
« Lorsque je suis d'astreinte – explique Nadine Cadamuro, cadre à l'ASFAD – on me réveille parfois à deux heures matin parce que les forces de Police sont intervenues au domicile d'un couple pour violences conjugales et qu'on nous demande d'héberger la femme victime souvent accompagnée d'enfant-s. Le conjoint, lui, reste à la maison ! »
« Ces situations m'étonnent – dit pour sa part la vice-procureure – nous traitons les cas dans l'urgence, sous 24 ou 48 heures, une décision est prise et notre logique est bien évidemment d'évincer le conjoint violent ! En matière de violence conjugale, il n'y a jamais de classement sec, on envisage systématiquement une réponse. »
« Le droit des victimes, leur protection, n'est absolument pas le réflexe des forces de Police. La loi n'est pas appliquée – renchérit Nadine Cadamuro – Lorsque nous ne pouvons pas héberger les victimes parce que nos structures sont déjà complètes, on nous dit : on va appeler Pontchaillou, ils vont la prendre. Et les femmes se retrouvent hospitalisées ! Récemment nous avons eu deux femmes victimes de violences vraiment graves, il n'y a absolument pas eu éviction du conjoint ; elles ont été mises à l'abri via le 115 ! »
L'ordonnance de protection, un bilan mitigé
Dialogue de sourds. Au milieu de tout ça, on arrive à comprendre que les hébergements sont insuffisants mais que si toutes ces femmes avaient la possibilité de rester à leur domicile sans risquer d'être à nouveau agressées par leur conjoint, la solution serait toute trouvée. Que certains centres d'hébergements sont moins demandés mais qu'ils sont éloignés des besoins. « A Redon – explique Nadine Cadamuro – il y a régulièrement des places mais ça veut dire qu'on va déplacer toute une famille alors que l'auteur des violences, lui, va rester dans la maison ou l'appartement ! »
On comprend aussi qu'une procédure est toujours trop longue. Maître Valérie Objilère-Guilbert, avocate spécialisée dans le droit des familles, dresse un bilan « extrêmement mitigé et peu encourageant » de l'ordonnance de protection qui permet depuis 2010 d'interdire le moindre contact entre l'auteur des faits et sa victime. « On voit bien – dit-elle – que la réponse urgente qui était l'esprit de la loi ne peut pas être respectée. Les juges aux affaires familiales m'ont confié qu'ils ont l'impression que les situations les plus graves leur échappent. »
Sur environ 3900 dossiers traités par an à Rennes, 35 à 40 ordonnances de protection sont rendues. Et il faut du temps pour y parvenir. Le temps de l'enquête qui tient compte, comme le veut la loi, des droits de la défense ; le temps de pouvoir apporter des preuves, aussi. Et lorsqu'il s'agit de violences psychologiques, ce n'est pas simple.
Les téléphones grand danger bientôt en Ille-et-Vilaine
Malgré tout l'avocate insiste : « il ne faut pas essayer de trouver des accords à deux autour d'une table de cuisine ! Un auteur et une victime ne vont pas pouvoir trouver seuls des solutions ; ils ont besoin de professionnel-les pour les accompagner. (...) Il est vraiment important que le réflexe soit le volet pénal : dépôt de plainte avec certificat médical. Mais également tout de suite, le volet civil, parce que la précarité économique liée à la séparation est une réalité. » Et d'ajouter : « ce sont souvent les hommes qui sont violents et ce sont souvent les hommes qui ont le pouvoir économique ! »
« Malheureusement – dit encore maître Objilère-Guilbert – les politiques pénales ne s'axent que sur la répression ; c'est-à-dire qu'il faut qu'il se soit passé quelque chose de grave. Sinon, la victime s'entend dire : « vous n'avez pas de faits concrets. » Et son sentiment d'être victime est encore majoré par l'absence de réponse des services de police ou de gendarmerie. »
On peine à imaginer des éducateurs-trices et autres assistant-e-s sociaux rasséréné-e-s par de tels propos. Chaque jour, ils et elles doivent accueillir et accompagner des victimes de violences, leur présenter leurs droits et chercher avec elles des solutions pour sortir de l'engrenage de la violence souvent associée à l'emprise du conjoint qui les coupe d'un environnement social ou amical.
Peut-être auront-ils préféré ne retenir que cette « bonne » nouvelle : la signature d'une convention relative au téléphone grand danger entre différents partenaires dont le procureur de la République, la Préfecture, les services de Police et de Gendarmerie notamment. Dans les semaines qui viennent, le département d'Ille-et-Vilaine devrait donc être équipé de plusieurs téléphones (cinq nous dit-on) qui pourront être mis à disposition des femmes repérées par l'association partenaire SOS Victimes 35 comme en extrême danger. Ces outils de télé-protection, voire de géolocalisation si la victime le souhaite, sont directement reliés à une plate-forme qui permet une intervention immédiate des secours au domicile dès que l'alerte est déclenchée. Un dispositif qui a déjà démontré son efficacité dans d'autres départements.
Geneviève ROY