Tout est parti d'un chiffre rencontré un jour par l'historienne Lucile Peytavin au cours de ses recherches.
En France, la population carcérale masculine représente 96,3% de la totalité des détenu.es.
Elle dit aujourd'hui être alors restée « sans voix » devant cette statistique. Avec l'envie d'aller voir ce qui se cache derrière. Ce qu'elle a découvert sur la réalité des violences et ce qu'elles coûtent à la société a donné lieu à un essai intitulé Le Coût de la virilité.
En novembre, elle est venue présenter ses travaux à Rennes. « On ne nait pas homme violent – défend-elle – on le devient ».
« Les hommes sont responsables de l'immense majorité des faits de violence, de délinquance, de criminalité et de conduites à risques dans notre société » expose Lucile Peytavin avec des chiffres à l'appui. Les hommes dit-elle encore sont « surreprésentés dans tous les types d'infractions et notamment les plus graves » : ils sont auteurs de 99% des viols, 97% des agressions sexuelles, 86% des homicides, 84% des accidents mortels sur les routes, 95% des vols avec violences... « Si tous les hommes ne sont pas délinquants et criminels - explique l'historienne – l'immense majorité des délinquants et des criminels sont des hommes » quels que soient leur âge, leur milieu social ou leur origine géographique.
Et pour illustrer ses propos, elle ajoute que lorsqu'on croise une voiture de police toutes sirènes hurlantes, compte tenu des statistiques, son intervention concerne à coup sûr un délit commis par un homme.
Autant de constats qui suscitent chez Lucile Peytavin l'envie d'en savoir plus sur ce que tout cela coûte à notre société. Des services de police et de secours mobilisés, mais aussi des services de justice, de prison, de santé physique et psychologique, de réinsertion... bref, dit-elle « un coût faramineux qui n'a jamais été calculé » et qu'elle estime à plus de 100 milliards d'€ par an. Elle en déduit assez rapidement que les ministères de la Justice et de l'Intérieur fonctionnent aujourd'hui quasi exclusivement pour des hommes.
« Que des femmes soient capables de violence
au même titre que les hommes
prouve que ce n'est pas une question de sexe ! »
Pourquoi les hommes se comportent-ils de cette façon ? Lorsqu'elle se pose cette question, Lucile Peytavin interroge d'emblée l'éducation. « Rien dans la nature des hommes ne les pousse à être violents ni dominants – dit-elle – d'ailleurs les sociétés les jugent responsables de leurs actes ».
Pas « d'excuses » biologiques ou physiologiques ; pas d'arguments non plus du côté de la testostérone puisque des études démontrent que ce n'est pas la testostérone qui influence les comportements violents mais bien plutôt les comportements violents qui font augmenter le niveau de cette hormone. Et argumente encore la chercheuse « le simple fait que des femmes soient capables de violence au même titre que les hommes prouve que ce n'est pas une question de sexe ! » D'ailleurs nombre d'hommes sont pacifiques et le resteront toute leur vie.
Lucile Peytavin en est alors convaincue, si ce n'est pas la nature c'est bien la culture qui doit être tenue pour responsable. Et donc, l'éducation. « On ne socialise pas les garçons comme on socialise les filles » rappelle-t-elle décrivant « l'aculturation des garçons à la violence dès leur plus jeune âge à travers la notion de virilité ».
En d'autres mots, on éduque les garçons autour des valeurs de force, de puissance physique, on valorise davantage leurs colères, on les coupe de leurs émotions, on est plus permissif avec eux qu'avec les petits filles... bref, dit-elle « ils sont plus libres de leurs mouvements et moins sensibilisés aux dangers et on prépare ainsi un terrain favorable à de futures conduites déviantes. »
« Les femmes, qui représentent 51% de la population,
ont des comportements beaucoup plus pacifiques,
beaucoup plus altruistes »
Dans les catalogues de jouets dans 90% des cas quand il y a une arme, elle est tenue par un petit garçon. Dans les livres, films et autres fictions, les héros restent majoritairement des garçons qui s'adonnent à une violence généralement présentée comme légitime puisque destinée à sauver le monde ! La virilité selon Lucile Peytavin se construit beaucoup dans le regard de l'autre et être un homme est encore trop souvent perçu comme « ne pas être faible ».
La virilité ne doit pas être confondue avec la masculinité, pendant de la féminité. Si les « conséquences néfastes de l'éducation des garçons à la virilité » a un coût pour toute la société, c'est chacun et chacune qui doit se remettre en question estime Lucile Peytavin car il est possible « de construire une éducation plus humaniste d'où sortirait une société plus riche et plus apaisée. »
La solution, dit-elle, nous l'avons sous les yeux : éduquer lesgarçons comme on éduque les filles. Les femmes qui représentent 51% de la population – explique-t-elle – et qui ne sont pas ou peu éduquées à travers ces valeurs viriles, ont des comportements beaucoup plus pacifiques, beaucoup plus altruistes ; « on développe leur empathie, elles ont une meilleure compréhension et une meilleure gestion de leurs émotions, elles respectent davantage les règles... elles sont beaucoup plus aptes à vivre en société ».
Il suffirait donc d'éduquer les garçons comme les filles pour économiser 100 milliards par an et pas mal d'autres inconvénients ? « On n'aurait plus peur de marcher seules dans la rue le soir, plus peur de laisser nos enfants jouer dehors, plus peur d'être cambriolés... » Une idée à ne pas laisser tomber. « Permettons aux garçons de jouer avec des poupons pour apprendre à s'occuper d'autrui, développons chez eux les sentiments pour qu'ils deviennent davantage empathiques, contraignons-les suffisamment pour qu'ils intègrent le respect des règles - imagine Lucile Peytavin - nous le faison s déjà pour la moitié de la population » !
Geneviève ROY
Ces chiffres qui font peur
A 14 ans, déjà, par rapport aux filles, les garçons ont 70% de risques supplémentaires de mourir dans un accident ; 75% des morts sur la route sont des hommes ; la majorité des cancers liés au tabac ou à l'alcool concernent des hommes ; ils ont trois fois plus de risques de mourir de façon prématurée, avant 65 ans, d'une mort évitable, c'est-à-dire liée à des conduites à risques.
Lucile Peytavin estime que la virilité coûte chaque année 9 milliards d'€ à la France dans le domaine de la défense et de la sécurité (pour un budget total de 13 milliards) 7 milliards d'€ pour la justice (budget total 9 milliards) 18 milliards d'€ pour les coups et violences volontaires (budget total 26 milliards) 18 milliards pour les crimes et délits sexuels (budget total 19 milliards)...
Pour aller plus loin : lire Le Coût de la virilité de Lucile Peytavin – éditions Anne Carrière (2021)