Nkom

Au Cameroun on compte aujourd'hui 3000 avocat.es dont 50% sont des femmes. Lorsque Alice Nkom a débuté sa carrière en 1969, elle était la première et est restée longtemps la seule à exercer cette profession entièrement masculine.

Dans le monde entier, elle est désormais reconnue comme la voix des personnes LGBT du Cameroun. A 76 ans, malgré les menaces et les intimidations, elle poursuit son combat pour la dépénalisation de l'homosexualité.

A l'invitation de l'association CESA Bretagne, elle était via Internet, à la Maison Internationale de Rennes à l'occasion du festival des solidarités.

 

« Depuis 1969, je travaille dans la plus grande solitude » confesse Alice Nkom, avocate toujours passionnée par son combat pour « les minorités sexuelles pénalisées à cause de qui ils aiment, à cause de qui ils sont. » Cinq ans de prison, 200 000 Francs CFA d'amende, voilà ce que risquent les personnes homosexuelles au Cameroun depuis une loi de pénalisation votée en 1972 et toujours en vigueur.

C'est dès cette époque que Alice Nkom décide de s'engager. Jeune avocate, femme dans un milieu d'hommes, elle sait que non seulement elle sera seule dans ce combat mais que sa tâche sera très difficile. « La plupart des arrestations étaient totalement arbritraires – se souvient-elle aujourd'hui – parce qu'ils marchaient comme des femmes, ils avaient une voix fluette, se tenaient par la main dans la rue... Quand j'ai observé cela je me suis dit qu'il fallait que je fasse quelque chose pour ces gens-là ! »

 

« J'avais décidé de braver les difficultés ;

rien ne pouvait m'arrêter »

 

Et depuis lors, elle n'a plus rien lâché au détriment de sa propre sécurité. Quand on évoque les menaces dont elle peut encore faire l'objet, elle sourit. « C'est plus que des menaces – dit-elle – A une époque, le ministre de la Justice avait saisi le Conseil de l'Ordre des Avocats contre moi pour demander ma radiation. » Son argument : l'avocate aurait fait « l'apologie d'un crime ».

Ce fut facile pour elle de se défendre, arguant qu'elle défendait aussi des assassins sans qu'on puisse l'accuser de faire l'apologie de l'assassinat. Sa détermination reste intacte : « j'avais décidé de braver les difficultés ; plus rien ne pouvait m'arrêter ! »

Affiche FestisolPlusieurs décennies plus tard, Alice Nkom mesure les avancées de la société camerounaise. Pour elle, aujourd'hui, plus rien de s'oppose à la dépénalisation de l'homosexualité sauf la volonté politique. Ses nombreuses interventions dans les médias et la création d'une association lui ont permis de mettre son combat en lumière.

« Je continue à être seule - dit-elle – mais moins quand même ! » Même si ses confrères et consœurs avocat.es pensent toujours « qu'ils ont mieux à faire que de s'embarquer dans la défense d'une cause qui va leur apporter des problèmes » elle a eu le plaisir récemment de voir un avocat plaider à ses côtés.

 

« L'égalité,

c'est le combat du millénaire »

 

A défaut de faire annuler la loi, Alice Nkom espère la rendre caduque. Ses arguments sont ceux des droits humains ; « la loi – plaide-t-elle – doit protéger tout le monde » comme le Cameroun s'y engage en appuyant sa consitution sur la déclaration universelle des droits de l'Homme. «  A chaque fois que vous condamnez un homosexuel sur la base de l'article 47 du Code Pénal, vous violez l'article 2 de ce même Code Pénal » insiste-t-elle. Par ailleurs, elle rappelle que son pays est aussi signataire de lois internationales censées primer sur les lois nationales.

Cinquante ans plus tard, rien ne vient à bout du dynamisme d'Alice Nkom qui espère inspirer ses jeunes collègues avocates. « L'égalité, c'est le combat du millénaire – dit-elle - J'essaie d'être un modèle que les jeunes femmes pourraient suivre et de montrer qu'être comme moi ça ne conduit pas en enfer mais qu'au contraire ça peut permettre de vous sentir bien dans votre peau. J'ai beaucoup à donner aux autres et beaucoup de plaisir à le donner ; c'est ça mon secret ! »

Son énergie est communicative. A la fin de la conférence à Rennes, elle n'a pas hésité à donner son numéro de téléphone à une étudiante désireuse de se rapprocher d'elle. La transmission, le bon outil pour faire avancer une cause.

Geneviève ROY

Pour aller plus loin : retrouver l'intégralité de la conférence en ligne