Elles s'appellent Magguy, Monique, Isabelle... Elles sont rennaises et habitent le quartier de Villejean depuis quinze, vingt, parfois trente ans ; elles n'envisagent pas de le quitter ou elles ont déménagé dans le quartier voisin mais gardent ici toutes leurs activités.
A l'occasion des dix ans de Médiapart et de la venue à Rennes de son fondateur Edwy Plenel, Breizh Femmes a rencontré des femmes concernées par la vie de leur quartier mais aussi indignées du traitement médiatique qu'on lui accorde.
La presse locale parlera-t-elle de Villejean pour raconter la célébration des dix ans de Médiapart au collège Rosa Parks et à la Maison de Quartier ? Sans doute. Mais ce sera exceptionnel que Villejean soit ainsi l'objet de toutes les attentions. En tout cas c'est ce que semblent penser Isabelle, Nathalie(1) , Evelyne et les autres, ces femmes qui s'impliquent chaque jour dans « la vie ordinaire » de leur quartier.
« Personne ne vient chercher l'information ici - se désole Isabelle, 44 ans, qui travaille à l'Université toute proche – dans le journal, on trouve des informations sur ce qui se passe dans les communes alentour ; pourquoi pas sur nous ? » « On ne parle de Villejean que pour en dire du mal. C'est vrai qu'il y a de la délinquance, mais il se passe aussi plein de choses ; la vie associative est très riche » renchérit Evelyne. Enfin, Nathalie enchaîne : « on va nous dire qu'un gamin a fait une connerie, mais rien sur les initiatives des gens, ce qui se fait à la bibliothèque ; rien sur Caroline, la coiffeuse, qui fait une expo de peinture dans son salon... » ; aucune « mise en valeur des activités du quartier » concluent ces femmes qui comme nombre d'habitant-e-s s'estiment « stigmatisé-e-s, discriminé-e-s, laissé-e-s pour compte ». Toutes et tous ont en tête certain "reportage" diffusé à la télévision donnant de ce quartier l'image d'une zone de non droit.
« J'ai l'impression d'avoir le monde entier sous ma fenêtre »
Les Villejeannais-es se disent très attaché-e-s à ce quartier populaire construit dès de début des années 70 dans un souci de mixité sociale. En pleine période de rénovation des habitats où les tours et les barres d'immeubles se parent de couleurs vives – vert pomme, orange, gris éclatant – le sentiment de frustration serait-il en train de grandir ? « On n'a rien de beau ici » ; « les autres quartiers ont droit aux fleurs, nous on ne nous met que de la ferraille » ; « c'est sale, c'est moche, c'est de pire en pire ! »
Alors qu'est-ce qui fait qu'on reste – voire qu'on revienne parfois – à Villejean ? La proximité du centre-ville : « en métro, en quelques minutes on est Place Sainte-Anne » ? L'attractivité du marché hebdomadaire du vendredi matin : « le marché, c'est sacré ! On trouve de tout » ? Le dynamisme de la Maison de Quartier, « lieu tranquille » où l'on vient « rencontrer des gens, discuter » boire un petit café à la fin du marché ?
Un peu tout ça sans doute. Ce qui ressort des paroles échangées avec Monique, Evelyne et les autres c'est d'abord cette vie surabondante qui irrigue le quartier, le mélange de population d'origines et d'âges divers, les engagements associatifs multiples. « Quelquefois, j'ai l'impression d'avoir le monde entier sous ma fenêtre » confie Evelyne dont l'appartement surplombe une aire de jeux. Employée à la médiathèque de l'Université, cette habitante installée ici dès le début des années 90 énumère ses nombreux engagements : syndicalisme, féminisme, politique, soutien aux sans-papiers, etc.
« Villejean, c'est comme un petit village »
Longtemps représentante des parents d'élèves, elle s'implique désormais dans l'accompagnement à la scolarité. Dans cette « vie de combat » où elle reconnaît être « souvent en manif » Evelyne trouve toujours de quoi s'indigner. Au sein d'un collectif d'habitant-e-s, elle s'oppose depuis quelques mois à la fermeture d'un collège. Parce que sous prétexte d'une plus grande mixité sociale, le conseil départemental a décidé que certains enfants d'ici devraient être scolarisés dans les établissements du centre-ville.
« Et en contre-partie les parents du centre pourront envoyer leurs enfants à Villejean – s'emporte Evelyne – mais tout le monde sait bien que ça ne se passera pas comme ça ! S'il y a moins de mixité sociale ici qu'avant, ce n'est pas en envoyant nos enfants dans le centre que ça va changer ! »
Magguy, elle aussi, met toute son énergie pour accompagner les collégien-ne-s de Villejean. Cette quadra venue du Gabon est restée attachée au quartier qui l'a accueillie à son arrivée. Avec son association SPSF (Solidarité et Partage des Savoir Faire) elle a souhaité tendre la main aux adolescent-e-s des classes de 3ème en recherche de stages en entreprises. « Les enfants qui trouvent facilement des stages sont ceux dont les parents ont des réseaux » explique-t-elle. Pour les autres, avec le soutien des établissements scolaires, Magguy travaille en collaboration avec les services publics et permet chaque année à une vingtaine d'élèves de trouver un stage.
« On est partis pour le logement – raconte Isabelle – mais finalement, j'ai conservé toutes mes activités ici. Je ne suis pas souvent dans mon nouveau quartier » Monique, elle, est retraitée depuis dix ans ; elle se dit heureuse de croiser dans tous les lieux stratégiques (commerces, bibliothèque, maison de quartier) des personnes de son âge avec lesquelles elle est liée depuis longtemps. « J'aime bien descendre en ville à pied ou à bicyclette – dit-elle – et quand je suis pressée ou qu'il ne fait pas beau, je suis contente de trouver le métro » ! Une certaine qualité de vie qui fait (souvent) oublier les désagréments d'une cohabitation parfois difficile avec les étudiant-e-s bruyant-e-s et leurs soirées arrosées. « Villejean, c'est comme un petit village - se réjouit encore Monique – j'avoue honnêtement que je n'ai aucune envie de quitter ce quartier ».
Geneviève ROY
1 - Le prénom a été changé
Histoires Ordinaires, associé comme Breizh Femmes à la journée des dix ans de Médiapart à Rennes, a souhaité rendre hommage aux habitant-e-s du quartier en créant un blog dédié. Retrouvez les portraits de Fatima, Jean-Claude et les autres : ici !