Européennes, altermondialistes et féministes, c'est ainsi qu'on peut qualifier les deux femmes qui avaient répondu à l'invitation de l'association Questions d'égalité le 13 mars à Rennes. Christine Van Den Daelen et Monika Karbowska ont d'abord analysé les raisons qui font que les femmes sont aujourd'hui les premières victimes des politiques d'austérité dans les états membres de l'Union Europénne. Elles ont ensuite présenté quelques modalités de lutte notamment le projet d'audit citoyen et illustré leur propos par des exemples de mouvements sociaux en Europe notamment dans les pays de l'Est.

jeudi13mars

"La dette machiste se paie avec le travail gratuit des femmes" - Christine Van Den Daelen, belge, membre du comité pour l'annulation de la dette du Tiers Monde (CADTM) - Extraits de l'intervention

 

« La crise de la dette a été provoquée par les sauvetages bancaires mais aussi par une fiscalité réalisée depuis une trentaine d'années au profit des plus riches et qui oblige les états à s'endetter. Les politiques d'austérité qu'on applique ne s'attaquent pas aux responsables de la crise mais aux populations et parmi elles aux personnes les plus précarisées donc en tout premier lieu aux femmes et parmi les femmes celles qui sont le plus vulnérables : les mères célibataires, celles du milieu rural, les femmes migrantes, les femmes victimes de violences. Cette crise de la dette n'est absolument pas neutre du point de vue du genre.

Parmi les politiques d'austérité, quelques mesures en particulier sont en train de mettre à mal l'autonomie financière donc l'autonomie globale des femmes en Europe :

- la diminution des revenus rémunérés des femmes consécutifs à la crise : le taux de chômage des femmes depuis la crise n'a cessé d'augmenter pour atteindre en moyenne 17% en Europe ; dans les pays les plus touchés, c'est surtout le taux de chômage des jeunes femmes de 18 à 25 ans qui explose (Grèce = 53%) à quoi s'ajoute une coupe dans les salaires (écart salarial = 18% en moyenne européenne) et la généralisation des temps partiels, des contrats à durée déterminée et de l'intérim. On constate aussi une paupérisation des femmes âgées qui subissent une diminution de leur retraite : 22% des femmes âgées vivaient en dessous du seuil de pauvreté en 2012 en Europe. En France les retraites des femmes sont de 38% inférieures à celles des hommes

- la casse de la protection sociale : partout en Europe les budgets de protection sociale subissent des restrictions draconiennes : diminution des allocations de chômage, des allocations sociales, des aides aux familles, des allocations de maternité et des prestations aux personnes dépendantes. Ces coupes affectent les femmes en premier lieu puisqu'elles assument encore le rôle de principal responsable de la famille et étant plus précaires elles sont aussi plus dépendantes que les hommes des différentes aides sociales. Les mesures volontaristes mises en place pour atteindre l'égalité des sexes suite aux différentes luttes féministes dans les états membres de l'Europe se réduisent comme par exemple en Espagne où le ministère de l'égalité a tout simplement été supprimé alors qu'en Italie le budget pour les politiques familiales a été diminué de 60%. Et alors que les différentes allocations diminuent, on réduit aussi le nombre de structures d'accueil ainsi que les subventions aux associations que se soit pour la petite enfance ou pour les personnes dépendantes à tel point que de plus en plus de femmes doivent réduire ou abandonner leur travail rémunéré pour prendre en charge les jeunes enfants ou les parents âgés dépendants.


- la destruction des services publics : les femmes en Europe sont majoritairement usagères mais aussi majoritairement travailleuses dans le service public et ce sont généralement elles qui doivent via une augmentation de leur travail non rémunéré et invisible assumer toujours ces tâches de soin et d'éducation comme des transports des biens et des personnes délaissés par la fonction publique ; on passe du concept de l'état social à celui de la mère sociale. Dans les secteurs de la santé et de l'éducation, elles sont les premières touchées par les pertes d'emplois et/ou des conditions de travail qui se détériorent. Des centres de santé se ferment notamment en matière de santé sexuelle et reproductive des femmes, les maternités et les centres de gynécologie sont les premiers services hospitaliers à être supprimés toujours au nom des économies à réaliser pour le remboursement de la dette. S'ajoutent à cela la banalisation de la prostitution, la marchandisation du corps des femmes et des violences de plus en plus frappées du sceaux de l'impunité. Mais aussi la privatisation des services sociaux à la personne, perte d'une source d'emplois pour les femmes migrantes


- la remise en cause du droit du travail et des droits syndicaux : le démantèlement de la législation du travail aboutit à une augmentation du travail informel, précaire qui devient la norme plus que l'exception (en France 83% des personnes travaillant à temps partiel sont des femmes – au Royaume Uni, augmentation considérable des licenciements de femmes enceintes)

Non seulement cette dette est illégitime mais encore si les femmes n'avaient pas pris en charge elles-mêmes tout le travail gratuit de production, de reproduction et de soins aux autres, la société péricliterait. Elles sont donc les créancières de cette dette ! L'illégitimité de la dette est encore plus illégitime lorsqu'on est une femme ! »

 

"Il faut favoriser des actions collectives " - Monika Karbowska, Française d'origine polonaise, membre de Initiative Féministe Européenne – extraits de l'intervention

 

« Mon travail est faire le lien avec les mouvements sociaux des pays de l'Est car il y a peu d'informations sur ce qui se passe là-bas. Les différentes situations mises bout à bout donnent un tableau assez terrible de ce que nous vivons en Europe. Le but est d'arriver à poser ce qui est vraiment intolérable, ce qui nous indigne, pour libérer la parole et favoriser des actions collectives.

Nous connaissons tous les chiffres du chômage , nous savons quelle est la désindustrialisation de la France (un million d'emplois industriels qui ont disparu depuis 2008) ; les délocalisations continuent notamment en Chine mais aussi beaucoup dans les pays de l'Est en particulier en Pologne et en République Tchèque. Quand une entreprise française délocalise, une fois sur trois, elle va en Pologne, là où il y a le moins de luttes sociales ; les travailleurs sont dans une telle situation qu'ils ne réagissent pas.

Les femmes travaillent beaucoup dans les services notamment dans l'enseignement ou la santé mais aussi dans le secteur associatif. Les associations ont chiffré que les coupes budgétaires allaient entraîner l'équivalent de 40 000 suppressions de postes. Ce n'est absolument plus possible aujourd'hui d'accéder à des emplois aidés ; il faut fournir un business plan avec des financements prévus sur cinq ans, mais aucune PME n'a de visibilité sur cinq ans ! Pourquoi exige-t-on d'une association d'avoir plus de compétences qu'une PME ?

Vous savez bien sûr que ça a bougé et qu'il y a eu des mouvements sociaux très forts au Maroc, en Tunisie depuis 2011 mais aussi en Algérie ou en Egypte, mais il y a eu aussi toute l'Europe de l'Est qui a bougé. Voici un petit aperçu de toutes les luttes dont on ne nous parle pas ou très peu dans les médias.
En 2014, toute la Bosnie est couverte d'assemblées citoyennes qui exigent que l'oligarchie soit s'en aille soit renationalise les entreprises et que les membres du gouvernement arrêtent de percevoir des fortunes mais soient payés comme des ouvriers qualifiés, soit un retour aux idées yougoslaves. Les gens piochent dans leur propre passé, dans leur propre culture pour élaborer ses revendications.
Toute l'année 2013, c'est en Bulgarie que des millions de personnes ont manifesté ; dans des dizaines de villes il y a eu jusqu'à deux ou trois millions de manifestants entre février et mai 2013 ; il y a eu six immolations par le feu en février, une prise d'assaut raté du Parlement en octobre et surtout une énorme prise de conscience que ce n'est pas possible de continuer comme ça ; les retraites en Bulgarie sont de 100 €. Les entreprises privatisées ont augmenté les factures notamment d'électricité ; quand les gens se sont retrouvés à devoir payer des factures de 100€ alors qu'ils avaient un revenu de 100€, ce n'était plus possible. Les personnes âgées ont été soutenues par les jeunes qui se sont dit : on ne peut pas continuer comme ça, il faut de la solidarité et dans la foulée, les gens ont découvert aussi que les élections avaient été truquées.
2011, 2012 et 2013, c'est aussi toutes les luttes comme les indignés bien sûr en Grèce mais aussi en Serbie, en Croatie et en Slovénie. En Roumanie également, fin 2012 et début 2013, il y a eu un très grand mouvement contre la corruption et contre l'accaparement des terres et des ressources naturelles qui a donné lieu finalement à une loi qui empêche les multinationales d'acheter des terres pour exploiter l'or ou d'autres matières premières.
En Hongrie, les mouvements sont moins massifs mais depuis fin 2012 il y a un mouvement étudiant, un mouvement antifaciste également ainsi que des mouvements de souveraineté alimentaire qui se mettent en place parce que les gens ont compris qu'ils avaient énormément perdu avec l'installation du capitalisme néolibéral et qu'ils sont dans l'impasse et doivent faire marche arrière et inventer autre chose.
Ce que j'espère c'est qu'on arrivera à créer des passerelles et des liens avec tous ces mouvements et qu'on arrivera aussi à changer l'Europe occidentale. »