jessiemagana

L'égalité ça s'apprend tout petits mais ceux qui en sont chargés (parents, enseignants et autres) reconnaissent un manque cruel d'outils adaptés et plus encore en ces périodes troubles où beaucoup d'idées circulent, souvent les moins bonnes.

Pour parler d'égalité aux enfants et aider les adolescents à ne pas tomber dans le sexisme, Jessie Magana, auteure et éditrice, signe deux livres en vente depuis quelques semaines. Les ouvrages qu'elle écrit comme ceux qu'elle édite ont le même but : mieux comprendre pour mieux combattre.

 « Kilos - (...) Les kilos en trop ou en moins

sont l'un des sujets les plus sexistes qui soient »

Jessie Magana continue à se définir comme éditrice bien qu'elle soit de plus en plus auteure elle-même. En ce moment deux nouveaux livres sont en librairies qu'elle a signé ou co-signé : « Les mots indispensables pour parler du sexisme » avec Alexandre Messager pour les adolescents à partir de 14 ans aux éditions Syros et un ouvrage à destination des éducateurs « Comment parler de l'égalité filles/garçons aux enfants » aux éditions du Baron Perché. Cette passionnée d'histoire, auteure également de plusieurs romans ou romans fictions édités ou en cours d'édition, est installée non loin de Rennes.

Jessie Magana - « Je suis éditrice indépendante ; je travaille dans différents domaines surtout en sciences humaines ou pour la jeunesse. L'édition est un monde très parisien. Je suis originaire de Haute-Savoie et j'ai vécu quinze ans à Paris où je me suis fait mon réseau ; puis, je suis venue vivre à Rennes. Aujourd'hui je me rends à Paris tous les quinze jours pour des réunions ou pour rencontrer différents auteurs ou éditeurs avec lesquels je travaille.
Je pense que j'ai toujours été une auteure frustrée et que j'étais éditrice parce que je n'osais pas être auteure. Et puis un jour je me suis dit : j'ai vraiment envie d'écrire. C'était une histoire qui me touchait personnellement ; mon premier livre parle du général de Bollardière, le seul général qui a refusé de torturer pendant la guerre d'Algérie. Je viens d'une famille de pieds-noirs et l'histoire de l'indépendance algérienne ça fait partie de mon histoire personnelle. Je continue à éditer des livres notamment je suis directrice de la collection « Français d'ailleurs » sur l'histoire de l'immigration pour les enfants chez Autrement. Mais de plus en plus j'écris.
Après mon premier livre déjà, j'ai eu très envie de travailler sur la question féministe. Je m'étais un peu penchée sur l'histoire du MLF dans les années 70 pour écrire un roman que je n'ai pas réussi à faire publier. Par contre, j'ai proposé à l'éditeur pour lequel j'avais écrit mon premier livre d'en écrire un deuxième dans la même collection qui s'appelle « Ceux qui ont dit non » et donc j'ai écrit : « Gisèle Halimi, non au viol ».

« Pourquoi elle met un décolleté

si elle ne veut pas qu'on touche ses seins ? »

Née en 1974, Jessie Magana fait partie de cette génération de femmes qui a peu connu les luttes féministes. « Je suis de la génération sacrifiée – dit-elle – la tranche d'âge où on ne parlait pas de ça » Pourtant, pour elle ces questions sont encore essentielles et particulièrement aujourd'hui où on entend tout et n'importe quoi sur le sujet.

Jessie Magana - « On est dans une période de confusion totale ; les gens confondent l'orientation sexuelle, l'identité sexuelle, le sexe biologique, etc. Ils se demandent si donner une poupée à un petit garçon va le rendre homosexuel ! Et toutes ces confusions sont entretenues par des groupes qui font leur beurre de tout ça autour de la soi-disant théorie du genre. Je pense donc qu'il y a besoin de clarifier les choses, d'expliquer les termes ; d'expliquer que l'identité sexuée se construit, que ce n'est pas quelque chose de l'ordre de la nature. Il y a vraiment en effort de pédagogie à faire et il y a aussi un besoin d'outils accessibles. »

« Virginité - (...) Au fil de l'histoire,

seule la virginité des femmes est devenue un enjeu. »

livreenfantsJessie Magana semble avoir la fibre de l'éducation. Ses ouvrages sont avant tout des supports pour les éducateurs quels qu'ils soient (enseignants, animateurs, parents, etc.) ; ils apportent à la fois les questions et la façon d'y répondre.

Jessie Magana - « Mes livres sont conçus comme des outils qui permettent d'avoir des bases un peu théoriques et historiques, dire d'où ça vient et montrer que ça s'inscrit dans le temps, que c'est une longue conquête pour les femmes depuis des siècles ; mais je veux aussi donner des outils concrets, des statistiques, des chiffres, qui permettent de comprendre réellement ce qui se passe et de sortir du règne de l'opinion. Quand on oppose les chiffres et qu'on voit concrètement les inégalités salariales, les inégalités en politique, etc. on se rend compte que l'égalité est loin d'être réalisée. Ce sont vraiment deux outils que j'ai voulu assez complets et complémentaires. Mais je dis aussi que chaque personne doit installer une petite sonnette dans son cerveau et ça, ça ne passe que par la sensibilisation ; mon domaine c'est l'écriture, mais il y a aussi énormément d'associations qui font un travail génial auprès des professionnels.
Le premier livre s'adresse aux adolescents à partir de 14 ans et bien sûr aux adultes. C'est un abécédaire basé sur 60 mots de « amazone » à « zizi/zézette », qu'on décortique et ensuite chaque mot est associé par un système de renvoi à d'autres mots mais aussi à des références bibliographiques et cinématographiques pour aller plus loin sur chaque thème.
Le deuxième livre est à destination des adultes donc des parents, des éducateurs, des enseignants, etc. qui souhaitent parler de l'égalité filles/garçons aux enfants à partir de cinq ans, dans cette période où c'est peut-être plus difficile d'avoir des ouvrages documentaires qui abordent ces questions-là. J'ai sélectionné des images en fonction des thèmes que je voulais aborder et des questions qui émergent de ces images et j'essaie d'y répondre et de donner des clefs aux adultes pour y répondre. »

« Pourquoi on dit garçon manqué

et pas fille manquée ? »

Jessie Magana a aussi choisi d'accompagner ses ouvrages. La Biennale de l'égalité à Lorient fut pour elle en mai dernier l'occasion d'aller à la rencontre de ses lecteurs. Elle compte poursuivre ses interventions et même si possible les développer pour aider ses livres à vivre.

jessiebiennaleJessie Magana - « J'envisage vraiment ces livres comme un point de départ ; ce qui m'intéresse c'est d'intervenir auprès de parents ou de professionnels, dans les classes, etc.
Ce qu'on a essayé de faire à la Biennale avec Alexandre Messager (notre photo) c'est que ce soit vraiment interactif ; on voulait un échange et un partage d'expérience. Par exemple une pionne a témoigné en disant : « j'ai un élève qui m'a demandé comment écrire « tafiole » parce que son père lui avait dit de recopier 400 fois « je ne pleurerai pas comme une tafiole ». J'ai été choquée mais ça montre, bien sûr, qu'il y a un travail à faire aussi auprès des parents et à tous les niveaux. L'école ne peut pas seule changer les choses ; par contre l'école est quand même là pour susciter le débat aussi dans les familles et faire un travail d'explication. Et ça doit aussi être fait dans toute la société sur les images qu'on véhicule, les pubs, etc.
Par exemple, dans mon métier d'éditrice, je travaille sur des manuels scolaires et mon rôle va aussi être de dire aux auteurs : attention, sans le vouloir, vous êtes tombés dans des stéréotypes hommes/femmes en présentant des situations dans un manuel de sciences ; des choses qui sont complément intériorisées et dont personne ne se rend compte !
On peut semer des graines à n'importe quel âge mais c'est vrai que pour moi, l'idée c'est vraiment d'impliquer les parents, les enseignants et les éducateurs, dès la petite enfance. C'est par la construction des rôles dans la toute petite enfance - le petit garçon qui joue aux petites voitures, la petite fille qui joue à la poupée – qu'on développe des capacités et des aptitudes différentes qui ensuite vont induire un conditionnement pour choisir tel ou tel métier.
Il ne s'agit pas de stigmatiser ; on est tous, et moi aussi, conditionnés par notre identité sexuée ! Les ABCD de l'égalité sont une super initiative parce qu'ils permettent justement d'ancrer l'égalité à chaque âge de la vie. Jusqu'à présent c'est vrai que ces questions-là étaient souvent cantonnées à l'adolescence au moment de l'orientation professionnelle ou sur les questions de violence sexuelle. Aujourd'hui, on se rend compte qu'il faut commencer beaucoup plus tôt pour comprendre comment se mettent en place les stéréotypes.
livreadosJe ne suis pas très militante ; je n'ai jamais appartenu à un syndicat ou un parti politique. J'apporte juste mon soutien à des associations ou des mouvements que je trouve intéressants. Mais, là, j'ai vraiment envie d'agir sur le terrain. Ma façon à moi de m'engager c'est par l'écriture et le partage autour de mes livres ! »

« Pourquoi il n'y a que les femmes

qui portent des jupes ? »

Un travail de sensibilisation que Jessie Magana a déjà commencé l'an dernier avec la région Ile-de-France et qu'elle souhaite développer à la rentrée en Bretagne.

Jessie Magana - « Cette année j'ai travaillé à Paris dans un dispositif qui s'appelle « Jeunes pour l'égalité » mis en place par la Région Île-de-France ; je suis intervenue dans un lycée à Villepinte, durant sept séances d'écriture. J'ai contacté la Région Bretagne pour essayer de mettre en place des actions autour de l'écriture et du thème de l'égalité dans les classes de collèges ou de lycées. J'aimerais bien développer ce type de partenariat avec les enseignants l'année prochaine dans le prolongement des livres parce qu'il faut vraiment les faire vivre ; des livres comme ça, ça s'accompagnent ! Avec les enfants et les ados je travaille sur des ateliers d'écriture qui permettent de faire émerger des choses de l'ordre de l'intime et des convictions ; pour moi c'est complémentaire avec les livres.
C'est peut-être plus difficile encore de parler de ces questions-là avec les garçons qu'avec les filles. Aujourd'hui, les filles, celles que je rencontre en tout cas, sont assez remontées ; elles sont volontaires et ont conscience des inégalités dont les femmes peuvent être victimes. Bien sûr, il y a du fatalisme aussi, et des filles qui se conforment à des rôles, mais pas seulement ! Par contre, pour les garçons, c'est plus difficile de prendre conscience qu'un comportement dit féminin chez un garçon ne signifie pas forcément qu'il est homosexuel. Le travail se fait aussi sur l'homophobie : pourquoi les valeurs dites féminines amènent à penser que le garçon peut être homosexuel et pourquoi ça nous gêne de penser qu'il peut l'être ? Tout ce travail-là, c'est beaucoup à destination des garçons aussi que je voudrais le mettre en place. »

Propos recueillis par Geneviève ROY

Pour aller plus loin : Jessie Magana sera le 25 juin à 20h l'invitée de la MJC de Bréquigny à Rennes pour une rencontre/échange autour de son livre « Comment parler de l'égalité filles-garçons aux enfants ». Entrée libre et sans inscription.

Vient de paraitre : un album pour enfants chez Actes Sud « Riposte : comment répondre à la bêtise ordinaire » texte de Jessie Magana illustré par Alain Pilon.