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A l'écran comme sur scène, le désir et le plaisir féminins restent des sujets très peu traités.

Sur les dix-neuf ans de programmation du festival Court Métrange, les « films abordant ce sujet se comptent sur les doigts d'une main » assure Cyrielle Dozières, la directrice du festival.

Pas étonnant alors que ces thèmes ressortent par deux fois dans la programmation du mois de mars de Rennes Métropole intitulée cette année In.di.visibles, mot valise dans lequel on retiendra surtout : invisible...

 

Qu'on en parle de façon feutrée, quasi poétique, comme dans le spectacle Désirs Plurielles ou de manière plus frontale comme dans les deux films présentés au Musée des Beaux-Arts de Rennes la semaine dernière, une sorte de mystère plane autour du désir et du plaisir féminins.

Le plus souvent, lorsqu'on parle sexualité féminine c'est à travers le regard masculin (male gaze) la femme étant l'objet et non le sujet de l'action, son plaisir dépendant de « la présence masculine dans des approches hétéronormées assez classiques ». Les deux courts métrages choisis par Cyrielle Dozières et Maude Robert, philosophe invitée à décrypter les images après la projection, montrent autre chose. Dans La Bête de Vladimir Mavounia-Kouka (2013) comme dans Margaux de Joséphine Darcy Hopkins (2016) «  le plaisir féminin et la sexualité féminine sont vus à travers l'expérience de la femme, de l'intérieur du personnage – explique Cyrielle Dozières – et c'est le plaisir de ces deux personnages féminins qui devient le centre du film » (female gaze)

 

« Le cinéma d'horreur est très sexuel et très phallique ;
les pulsions sexuelles rejoignent les pulsions de mort »

 

Si Maude Robert invite le public à une lecture psychanalytique de ces deux films, elle convoque aussi les anciennes croyances qui faisaient de la sexualité des femmes quelque chose dit-elle « d'hyper vorace, de difficile à contrôler » se référant à ces femmes-sorcières « premier passage vers le Diable ». Du point de vue de la psychanalyse, pour elle, ces images du plaisir sont d'abord des représentations de l'inconscient. « Un tour de force – estime-t-elle - de représenter l'irreprésentable » l'inconscient étant par définition quelque chose dont on n'a pas connaissance.

courtmetrangePar ailleurs, comme le rappelle la directrice de Court Métrange, la peur et la sexualité féminine sont souvent associées au cinéma ; « le cinéma d'horreur est très sexuel et très phallique - décrit-elle - les pulsions sexuelles rejoignent les pulsions de mort ».

L'interprétation de ces deux films donne d'ailleurs lieu à débats et reste assez ouverte. Les conférencières comme le public s'interrogent : s'agit-il d'un rêve ? Y parle-t-on de suicide ? D'inceste ? L'orgasme auquel semblent accéder les personnages n'est-il pas plus lié à une pénétration qu'à une masturbation et dans ce cas-là pourquoi avoir nié auparavant la présence masculine ?

On partira avec plus de questions que de réponses ; le plaisir féminin garde son mystère... Tout au plus aura-t-on pu noter qu'il est ici lié à la figure d'un monstre sans qu'on sache vraiment s'il représente l'Autre ou l'inconscient, la peur des femmes pour leur propre sexualité ou la peur qu'inspirent les femmes.

 

« On ne désire pas toutes les personnes de la même façon,
des fois c'est érotique, des fois c'est plus psychique »

 

Avant le plaisir, il y a le désir... La veille à la Maison de Quartier de Villejean, pour sa fin de résidence, la comédienne Anne-Laure Paty jouait pour la première fois un court spectacle intitulé Désirs Plurielles. Des désirs multiples donc mais surtout féminins. En voix off, on pouvait entendre quelques femmes à la recherche d'une définition du désir. « Ça peut être un désir sexuel mais ça peut aussi être un désir de se réaliser, de s'épanouir, d'aller de l'avant » - « C'est assez multiforme, on ne désire pas toutes les personnes de la même façon, des fois c'est érotique, des fois c'est plus psychique »

C'est par le truchement du théâtre d'objets, sorte de chorégraphie à la fois douce et sensuelle mais aussi plus violente et physique, que la comédienne et sa metteuse en scène, Leslie Evrard, ont choisi de rendre compte des différentes paroles de femmes recueillies au cours de l'été 2020 ; 25 rencontres, 40 heures d'enregistrement, et un long travail d'écriture pour un spectacle d'une demi-heure, conçu pour des toutes petites jauges d'une trentaine de personnes maximum et destiné à ouvrir la discussion sur ce sujet intime. « Je porte la parole de ces femmes mais derrière il y a un fil rouge très personnel sur mon propre rapport au désir » explique la comédienne, seule en scène au milieu d'objets hétéroclites, symboles des femmes et de leurs désirs, sorte de "vanités" des temps modernes.

Une parole lente, des silences un peu prolongés, une délicatesse dans les gestes... on est loin de la fureur des courts métrages La Bête ou Margaux. Ici, tout est suggéré ; « on voulait quelque chose d'assez épuré » revendique la metteuse en scène qui profite de cette première soirée pour lancer un appel à témoignages de façon à étoffer à l'avenir la bande-son qui ouvre le spectacle.

Le désir, le plaisir... souvent invisibles parce que impensés dans une société où les femmes sont conditionnées très tôt à penser aux autres avant de penser à elles. Mais sur lesquels, il semble qu'elles aient finalement beaucoup à dire.

Geneviève ROY

 Photos : 1 - La Bête film de Vladimir Mavounia-Kouka ; 2 - Cyrielle Dozières et Maude Robert au Musée des Beaux-Arts le 10 mars