P. a 60 ans et vit à Lorient. Pendant près de trente ans, elle a subi les violences quotidiennes et les humiliations. Une expérience qui l'a détruite Depuis plus de dix ans elle a quitté son mari, pourtant elle n'a toujours pas retrouvé sa joie de vivre. « Je n'ai qu'une hâte c'est de mourir » dit-elle. Elle veut témoigner pour faire comprendre à toutes celles qui vivent la même chose qu'il faut partir avant qu'il ne soit trop tard.
« J'ai mal commencé ma vie. Ma mère m'a toujours fait comprendre qu'à cause de ma naissance elle était passée à côté d'une bonne situation, qu'elle n'avait pas pu partir au Canada, qu'elle avait dû épouser un homme plus âgé pour ne pas rester mère célibataire. Elle disait qu'elle regrettait de ne pas m'avoir abandonnée. Un jour je lui ai dit "tu aurais mieux fait, j'aurais été adoptée et j'aurais eu une vie plus heureuse."
J'ai tenté de retrouver mon père mais je n'avais pas assez d'éléments pour y parvenir. Ma mère m'avait dit qu'il était militaire, mais je crois que là aussi, elle m'a menti.
Mon beau-père était un homme charmant. Il travaillait beaucoup ; il avait une petite ferme et en plus, il faisait les trois-huit à l'usine. Quand il était là et qu'il voyait ma mère me harceler, il prenait ma défense ! Lorsqu'il est mort, je devais avoir 13 ans, j'ai été malade et ma mère a voulu me faire interner dans une unité psychiatrique.
J'avais peur qu'on m'enlève mes enfants
Je me suis mariée pour montrer à ma famille que je pouvais faire comme tout le monde, que je pouvais avoir des enfants. Mais dès le début avec mon mari ça n'allait pas du tout.
Quand il me voyait pleurer, il me disait toujours : "la porte est grande ouverte, tu peux partir, je ne te retiens pas !" Il n'empêche que je m'occupais bien de lui, peut-être un petit peu trop. Je lui faisais des bons petits plats ; tous les dimanches, je lui lavais la tête, je le frictionnais.
Je me suis mariée sans amour mais j'ai eu trois beaux enfants qui ont aujourd'hui entre 30 et 40 ans. Je les ai aimés de tout mon cœur alors que je n'avais aucune référence maternelle.
Quand ma fille est née en troisième position, elle souffrait d'une grave malformation cardiaque. J'étais très soucieuse. J'ai dû faire beaucoup d'allers-retours entre la maison et les hôpitaux, jusqu'à Paris même ! A ce moment-là, les choses n'ont fait que s'envenimer. La police est intervenue plusieurs fois, parfois à la demande des voisins. Je me souviens d'un soir où les policiers étaient venus. Le père de mes enfants était vite allé se coucher et mon fils aîné était là, assis dans l'escalier et il disait : "il faut que maman parte parce qu'il va la tuer !"
Mais je ne savais pas où aller ! Et puis, je ne voulais pas qu'on me retire mes enfants. Ils disent que j'étais une bonne mère ; je ne voulais pas qu'ils soient placés !
Il me faisait passer pour folle
Quand mon mari a su que j'avais porté plainte, c'était pire. Il y avait les coups mais surtout il m'humiliait tout le temps. Et les enfants n'étaient pas épargnés ; il ne les tapait pas mais ils ont vécu des choses très difficiles.
Pendant quelque temps, j'ai fait comme le Petit Poucet avec ses cailloux. Je mettais des petits mots partout. Je les placardais sur les containers à bouteilles, sur les poubelles, dans les cabines téléphoniques publiques. C'était un appel au secours ; pourtant, je n'osais pas donner mon nom, j'avais pris un pseudonyme.
Mon mari me disait toujours : "tu peux partir avec TES enfants." Il essayait de me faire passer pour folle. Et j'ai vraiment cru que j'allais le devenir. Il cachait toutes mes affaires : mes lunettes, mes appareils dentaires, mes médicaments. Je cherchais sans arrêt. Et quelquefois quand on était à table avec les enfants, il arrivait et disait "votre mère ne sait plus ce qu'elle fait ; elle est cinglée. Regardez, elle avait jeté son appareil dentaire dans la poubelle !"
Mais, je ne pouvais pas partir. Je ne savais pas où aller. Je n'avais pas de travail. Nous habitions la maison de sa mère. Et il me disait toujours : "je suis chez moi ; c'est vous qui partirez !"
Je n'ai plus de ressort
Le souhait de mon mari c'était que les enfants le tapent pour qu'ils aillent en prison. Il savait que ça m'aurait fait trop mal. Et plusieurs fois ça a failli arriver. Ma fille voulait le tuer. Elle m'avait dit qu'elle avait acheté de la mort-aux-rats et qu'elle allait en mettre dans son vin. J'étais toujours là à sentir son vin, à le goûter. C'était invivable. Et puis, un jour elle a pris un couteau ; je ne me souviens plus exactement ce qui s'est passé mais on a évité le drame de justesse.
Ce jour-là, j'ai écrit une lettre au directeur de la caisse primaire d'assurance maladie de Vannes. Et tout est allé très vite après. Quelques jours plus tard, une assistante sociale est venue me voir à mon domicile. Elle m'a dit : " il faut que vous partiez très vite." Et elle est restée jusqu'à ce qu'on soient parties ma fille et moi dans un hébergement d'urgence. Ma fille avait 19 ans, elle préparait son bac.
J'ai demandé le divorce ; je voulais que ça aille vite ; je ne voulais plus le voir. Et il n'a jamais cherché à nous revoir.
C'était il y a plus de dix ans. Je sais que mes fils le voient maintenant mais ma fille ne peut pas. Il versait une pension pour elle. Elle voulait vite travailler pour ne plus avoir à faire à lui. Et elle lui a écrit qu'elle était suffisamment autonome. Elle aurait voulu être professeur d'espagnol mais ce n'était pas possible. Elle est écorchée vive. Je culpabilise tellement !
Aujourd'hui je n'ai qu'une hâte c'est de mourir. Il n'y a plus rien à faire pour moi. J'ai été tellement humiliée ! Je n'ai plus aucun espoir. Je n'arrive même pas à m'enthousiasmer avec mes petits-enfants. Je n'ai plus de ressort ; je n'ai plus envie de rien.
Deux fois par an, j'écris au président de la République. J'attends qu'il prenne des mesures concrètes pour aider les femmes et surtout les enfants. Il faut faire quelque chose, c'est urgent ! »
Témoignage recueilli par Geneviève ROY
Dans le cadre des journées pour l'élimination des violences faites aux femmes, la Compagnie Quidam Théâtre présente le 30 novembre à Rennes - Maison de Quartier de Villejean - une pièce écrite à partir du témoignage de Rachel Jouvet, victime de violences conjugales. Le site Histoires Ordinaires publie cette semaine une interview de celle qui fut l'inspiratrice de "Je te veux impeccable"