« Pourquoi ne part-elle pas ? Pourquoi ne parle-t-elle pas ? » Questions que l'on se pose souvent en entendant les histoires des femmes victimes de violences conjugales.
Ces histoires, ces mots de femmes, Caroline Fernandes les a entendues pendant vingt ans de sa place d'éducatrice. Des histoires singulières et des ressentis communs qu'elle restitue aujourd'hui en une exposition pleine de délicatesse. Des textes et des dessins où s'invitent la poésie et la douceur.
A voir encore quelques jours à Rennes au Jeu de Paume...
Des petites silhouettes bleues sur fond blanc ; des fils inextricables qui s'enroulent autour, qui s’emmêlent et les tiennent prisonnières. Des textes brefs à la première personne. Une impression mêlée de pudeur, de subtilité et d'étouffement. « Je m'épuise dans ta toile d'araignée » ; « je crois qu'il m'asphyxie » ; « je le quitte et j'y retourne »...
L'exposition, conçue avec la complicité de la Voix Sociale & éditions et Laurie Dyèvre pour le travail graphique, sera un jour sûrement un livre. En attendant, Caroline Fernandes, ancienne éducatrice aujourd'hui en pause, détaille le double objectif du travail qu'elle soumet aux regards des visiteurs : « saisir la complexité d'un basculement décisif : parler » et permettre à chacun.e de « soutenir cette parole », d'être là. « Quelle que soit la place que l'on a – explique-t-elle – peut-être qu'on peut s'autoriser avec prudence et délicatesse à dire ; j'ai compris, tu peux me parler ; à montrer aux femmes qu'elles ont des allié.es »
« Tant qu'on n'a pas parlé,
on n'a pas envisagé de partir »
Car c'est bien le début de quelque chose quand une femme victime de violences conjugales accepte d'en parler. « Il y a un processus qui se met en route – analyse Caroline Fernandes – on reprend petit à petit sa place de sujet. La décision la plus dure est celle de parler ; tant qu'on n'a pas parlé on n'a pas envisagé de partir. »
Mettre des mots sur ce qu'on vit permet, selon l'ancienne éducatrice, de commencer à démêler ces fils qui enferment. Les petites femmes qu'elle peint en bleu, elle les a d'abord écoutées notamment au sein d'un centre d'hébergement ou sur une ligne d'écoute. Et elle a eu peur parfois d'être prise elle-même dans cette toile d'araignée où elles cherchaient leur respiration. Elle se réjouit aujourd'hui d'avoir eu à l'époque des lieux et des personnes pour échanger sur ces « situations énigmatiques ».
Si, dit-elle, on arrive à comprendre un peu pourquoi il est si difficile de parler et si difficile de partir, on peut alors soutenir et aider. « Malheureusement – ajoute celle qui ne pense pas pouvoir un jour reprendre ce type de travail d'urgence – on a quand même des moyens limités pour nous mais aussi pour les femmes et les enfants qu'on accompagne ; on peut vite s'épuiser en ayant de notre côté si peu de ficelles à tirer ».
« On ouvre si on veut,
on prend quelques histoires et on s'arrête »
Sans travail, Caroline Fernandes a eu envie de retranscrire ces histoires et ces ressentis mais surtout pas sous forme de « témoignages copiés collés ». De ces multiples femmes – et quelques hommes parfois sur la ligne d'écoute – elle fera donc un seul personnage féminin, anonyme, qui agglomère tous les témoignages recueillis. L'artiste qu'elle est récemment devenue craint la provocation et a peur de « heurter » qu'il s'agisse du public ou des personnes concernées par la violence. « Je ne voulais pas – dit-elle – de quelque chose qui s'impose ».
D'ailleurs, elle défend l'idée que les images chocs de visages tuméfiés ou de femmes prostrées derrière un poing menaçant ne parlent pas aux victimes. Souvent, en effet, c'est la violence psychologique qui est centrale. L'exposition prend donc la forme de formats réduits et de livrets mis à disposition ; « on prend si on veut, on ouvre si on veut, on prend quelques histoires et puis on peut s'arrêter » commente-t-elle, évoquant ces « histoires singulières » comme autant de petites bulles. A l'image des « bulles de respiration » qu'elle recommandait aux femmes.
Les réactions de celles qui ont vu son travail touchent énormément Caroline Fernandes. C'est pour elle une façon de leur rendre une certaine dignité. En exergue sur un mur de l'exposition elle a souhaité ces mots : « Tenir debout c'est déjà beaucoup ». Une phrase qu'elle a souvent répétée à celles qui hésitaient à se dire parce qu'elles se sentaient honteuses, coupables et qu'elles avaient perdu toute estime d'elles-mêmes.
« Quand on a toute cette confusion en tête – soutient Caroline Fernandes – on n'a plus beaucoup d'espace psychique pour imaginer qu'une autre vie est possible. Alors tenir debout c'est déjà beaucoup et la prochaine étape, ça va être de tirer les fils pour s'en sortir et c'est une sacrée pelote ! »
Geneviève ROY
Pour aller plus loin
Exposition au Jeu de Paume, rue Saint Louis, à Rennes jusqu'au 28 octobre