Elle n'a pas toujours le moral Nasrine Nabiyar ; il lui arrive même de se sentir submergée par une irrépressible envie de pleurer.
Difficile pour elle d'assister à ce qui se passe depuis un an dans son pays d'origine, l'Afghanistan.
Pourtant, l'ancienne professeure, réfugiée en France depuis plus de trente ans, ne baisse pas les bras et poursuit les actions humanitaires entamées voilà vingt-cinq ans avec son association, notamment en faveur des filles et des femmes, son « éternel combat ».
Ce qui la met le plus en colère, c'est le manque de réaction de la communauté internationale ; « une honte » dit-elle.
Nasrine Nabiyar est en train d'écrire un deuxième livre. Après son parcours personnel, raconté dans L'Exil, la rupture en 2016, elle veut aujourd'hui livrer les témoignages d'une quarantaine de femmes afghanes exilées en France ou en Amérique du Nord. « Quand j'écris - dit-elle – ça me soulage ; ça me permet de passer le message des femmes. D'ailleurs mon livre s'intitulera Des rêves et des cris des femmes afghanes ». Des rêves qui se heurtent à une réalité, celle des Talibans de retour au pouvoir depuis le 15 août 2021.
Depuis cette date, pour Nasrine Nabiyar « le pays s’enfonce dans la misère ». C'est dit-elle encore « la mise à mort des espoirs des jeunes filles et des femmes afghanes avec la confiscation de leurs droits fondamentaux tels que l'éducation ou le travail ».
Malgré ce constat que « l'avenir des petites filles est incertain », Nasrine par le biais de son association Malalay Afghanistan poursuit ses actions notamment en matière d'accès à la scolarité. Actuellement, l'école reste ouverte pour les filles du CP à la Sixième. Au-delà, elles n'ont plus le droit d'entrer dans les établissements scolaires, seulement réservés aux garçons.
« Ils sont incapables de gérer un pays (…)
ils ont peur des femmes ! »
Pour la période 2021/2022, l'association Malalay a permis à des veuves et des familles dans le besoin de se procurer des produits alimentaires et a pu financer l'achat de livres scolaires et de matériel, des pupitres notamment pour des élèves qui suivaient la classe assises par terre sur la moquette. « Une petite goutte d'eau » constate Nasrine mais qui apporte du réconfort là où elle tombe.
Les élèves les plus âgées, au-delà de la classe de Sixième et jusqu'aux études supérieures, sont enfermées chez elles, ne pouvant plus ni poursuivre leurs études ni espérer trouver du travail. Nasrine rappelle un taux de suicide en hausse chez les jeunes, notamment les filles, et ne cache pas sa colère contre le régime Taliban.
« Ils ont montré qu'ils sont incapables de gérer un pays – s'emporte-t-elle – mais surtout, ils s'en prennent aux femmes. On dirait qu'ils ont peur des femmes ! » Bien sûr, les promesses du début n'ont pas été tenues. Aujourd'hui, le gouvernement afghan ne compte aucune femme et le Parlement n'existe plus. « Toutes les femmes instruites ont disparu – dit encore Nasrine – les écrivaines, les chanteuses, les danseuses, les musiciennes, les professeures d'université... Seules celles qui travaillent pour la santé ou la sécurité peuvent encore exercer un métier. »
Au-delà de tout c'est aussi « la liberté de mouvement des femmes » qui est mise en danger par des Talibans qui semblent eux-mêmes ne respecter aucune règle précise. « Beaucoup de femmes ont peur de sortir de chez elles – rapporte Nasrine – certaines osent tout de même sortir sans être accompagnées d'un homme, parfois elles sont menacées, parfois il ne se passe rien. »
« Les Talibans ne changent pas (...)
ils font les choses plus discrètement »
Le dernier voyage de Nasrine dans son pays d'origine date de 2019. Le projet de bibliothèque qu'elle devait contribuer à mettre en place est pour l'instant à l'arrêt. Sur place, une coordinatrice de Kaboul assure le lien avec l'association rennaise. C'est par son intermédiaire, les messages des nombreuses jeunes filles soutenues par Malalay et la famille restée sur place que les nouvelles arrivent jusqu'à Nasrine. Si elle-même se risquait à faire le voyage, nul ne sait si elle pourrait rentrer en France.
Dernièrement le directeur de l'éducation d'Estalef, petite ville à cinquante kilomètres de Kaboul, où Malalay soutient écoles primaires et lycée de filles, a envoyé un message à Nasrine pour la remercier de ses actions et lui demander de les poursuivre. « Je lui ai répondu – raconte la présidente de Malalay – lui disant que ce que je souhaite qu'il fasse en tant que directeur de l'éducation de la région c'est de porter tous ses efforts sur l'amélioration de l'éducation des filles au moins jusqu'au lycée. » En riant, elle reconnaît n'avoir pas reçu de réponse à son message. Mais elle reste fière d'avoir pu exprimer ses convictions face à ce représentant du pouvoir Taliban.
Pour elle, en effet, pas question de rester les bras croisés. Chaque fois qu'elle le peut, elle défend la cause des filles et des femmes afghanes. « Les Talibans ne changent pas – martèle-t-elle – ce sont toujours les mêmes. Mais désormais, ils font les choses plus discrètement. » Les personnes arrêtées ne sont plus exécutées en place publique, elles sont juste portées disparues.
« Si on ne se soucie pas des souffrances des autres,
qu'est-ce que l'humanité ? »
Quant à la résistance, si elle existe bien, notamment dans les territoires du Nord du pays, elle reste mal organisée. Pour Nasrine, le salut ne peut venir que de l'extérieur. Elle en veut terriblement à la communauté internationale qui semble regarder ailleurs. Une indifférence – une « honte » pour elle - qui non seulement est dramatique pour les femmes afghanes mais va « fragiliser les droits des femmes partout ailleurs ». Le régime ne bénéficie pas d'une reconnaissance officielle des autres pays, mais le peuple, lui, se sent d'autant plus isolé.
Pour elle, ce sont les Etats-Unis, responsables de la situation, qui peuvent aider le peuple afghan à s'en sortir. Comme nombre d'associations afghanes en Europe ou en Amérique du Nord, elle multiplie les interventions publiques pour sonner l'alarme.
« J'ai vécu trente-huit ans en Afghanistan, j'y ai fait mes études, j'y ai travaillé [comme professeure de français dans un lycée de Kaboul - ndlr] – rappelle Nasrine Nabiyar – c'était déjà un pays musulman mais on y enseignait un islam universel. Priver les femmes de leurs droits fondamentaux n'est pas écrit dans le Coran. Je ne peux pas voir ce qu'ils sont en train de faire sans réagir. Je reçois des messages de jeunes filles qui me disent « c'est les Occidentaux qui nous ont mis dans cet état-là ». La communauté internationale c'est pas des robots, c'est des êtres humains, avec des sentiments... Si on ne se soucie pas des souffrances des autres, qu'est-ce que l'humanité ? C'est mon devoir de faire quelque chose pour mon pays ; si je ne fais rien, je ne peux pas vivre en paix ! »
Geneviève ROY
Pour aller plus loin :
Soutenir l'association Malalay-Afghanistan qu'on peut notamment retrouver au forum des associations de Vezin-le-Coquet le samedi 10 septembre
Participer aux repas organisés par l'association au profit des actions humanitaires en Afghanistan en particulier avec Femmes Solidaires à Saint-Malo en novembre prochain ou à Rennes durant l'année 2023 à l'occasion des 25 ans de l'association