Nous avions rencontré Julie* en novembre dernier. Violée à Rennes en 2012, elle attendait – avec six autres victimes du même homme – un troisième procès qui tardait à venir. Après l'appel, c'était la cassation suite à un vice de forme.
Aujourd'hui, rien n'a bougé. « Silence radio » dit-elle, laconique, toujours en attente de nouvelles de ses avocats. Entre-temps, il y a eu le confinement et maintenant les vacances judiciaires.
Entre-temps, il y a eu aussi, surtout, un changement de gouvernement qui attise sa colère. « Choquée », « écœurée », « révoltée »... la jeune femme enchaîne les adjectifs pour décrire ce qu'elle ressent depuis quelques semaines. Mais au-delà de tout, elle se dit « méfiante » quant à l'issue de son procès et de tous les autres...
Témoignage.
« La rage ; j'ai eu la rage pendant dix jours ! Mais une rage sévère, hein ! Parce qu'en plus Dupond-Moretti c'est le cabinet qui a défendu mon violeur au premier procès. Du coup, je me sens concernée directement.
Là, excusez-moi le terme, mais j'ai l'impression que le gouvernement dit fuck aux femmes. Pas seulement aux féministes ; à toutes les femmes. Je suis choquée. Comment peut-on choisir un ministre de l'Intérieur accusé de viol et « Acquitator » comme ministre de la Justice ?
Je n'ai plus aucune confiance. Mon procès est parti en cassation, il aura lieu, c'est la loi. Même si on attend depuis des mois et que désormais, ça ne pourra pas être avant fin 2020 début 2021 et que c'est difficile de passer à autre chose tant qu'on est dans l'attente ; mais je sais qu'il aura lieu. Par contre, par rapport à la peine, je suis méfiante. Est-ce qu'ils ne vont pas proposer un bracelet électronique ou quelque chose comme ça ?
Je suis écœurée et je ne suis pas la seule ; toutes les femmes qui m'entourent le sont : ma mère, ma belle-mère, mes amies... personne ne comprend ; j'ai même entendu des hommes se révolter ! Je pense que si les réactions continuent, le ministre de l'Intérieur n'aura peut-être pas les épaules et qu'il va démissionner, en tout cas, je l'espère ; mais celui de la Justice, je n'y crois pas trop. Il ne cédera pas aux pressions !
Quand j'ai porté plainte en 2012, c'était déjà le parcours du combattant. Mais avec un gouvernement comme ça, comment les femmes peuvent-elles avoir confiance ? Je continuerai à inciter les victimes à porter plainte mais en prévenant qu'elles le font pour elles, pour pouvoir se dire « j'ai essayé, j'ai fait ce qu'il fallait » mais en sachant qu'il n'y aura peut-être jamais de suite. Si on n'est pas entendues, il y a la déception, l'énervement bien sûr ; mais si on ne porte pas plainte, je pense qu'on peut le regretter toute sa vie.
En plus, je ne comprends pas comment on peut accepter de donner cette image de la France aux autres pays ! Un gouvernement qui prétendait qu'il allait faire quelque chose pour les féminicides ! On s'est battues et là, on nous enlève tout espoir ! »
Propos recueillis par Geneviève ROY
*-Le prénom a été changé
Photo : Nous Toutes 35 (manifestation à Rennes, le 11 juillet 2020)