Lucie, 25 ans, prépare le concours de CPE. Etudiante à Rennes 2, elle milite au syndicat Solidaires Etudiant-e-s qui prépare avec d'autres organisations la semaine du féminisme à l'université du 30 mars au 3 avril.
Pour elle, le féminisme ce n'est pas que l'affaire des femmes mais elle défend la non mixité, « un outil -dit-elle – pas une finalité en soi » qui trouve sa place dans quelques événements chaque année comme la marche non mixte nocturne organisée à Rennes voilà quelques jours.
Breizh Femmes : Pourquoi cette marche ?
Lucie - La marche du 11 mars est liée à la semaine du féminisme que nous organisons à Rennes 2 chaque année en lien avec la journée du 8 mars. Nous avons remarqué que la plupart des associations auxquelles nous voulions faire appel étaient très prises en mars, donc nous avons décidé cette année de la faire plus tard. Cette marche n'est pas tout à fait une manif comme d'habitude. Moi, quand je vais en manif, je prends mon drapeau du syndicat pour dire : Solidaires est là. Là, je ne prends pas mon drapeau parce que je pense que l'important c'est de dire : les femmes sont là, elles se réapproprient la rue qui devrait leur appartenir tous les jours !
Pourquoi une marche non mixte ?
Dans nos différentes organisations, nous nous sommes rendu-e-s compte qu'il était nécessaire de se retrouver en non mixité à certains moments, entre femmes, parce que les rapports de domination se reproduisent même dans le cercle militant, même chez des gens conscientisés, même chez des gens qui sont anti-sexistes, qui le disent et qui font des choses anti-sexistes ! On a été socialisé-e-s de telle manière que même dans une manif et même dans une manif féministe, on va plus souvent entendre un homme dans un mégaphone, on va plus souvent interviewé un homme, c'est plus souvent les hommes qui vont faire le SO [service d'ordre-ndlr], etc. En interne, nous voulons dire : les femmes sont capables de le faire ; elles sont capables d'être autonomes. Vu de l'extérieur, une marche non mixte, ça fait un effet que ne produit pas une marche mixte ; c'est aussi une manière d'être visibles aux yeux des autres.
« Même dans une manif féministe,
c'est plus souvent les hommes qui font le SO »
Ça attire davantage l'attention des passants... Quelles réactions suscitent ces marches ?
Ça attire plus l'attention et ça produit des réactions caricaturales, ou en tout cas très vives, qui prouvent bien à mon sens que le sexisme est loin d'être derrière nous ! Les réactions des gens, hommes comme femmes - plus souvent des hommes bien sûr parce que je pense qu'ils se permettent plus de faire des réflexions que les femmes - face à une marche non mixte sont des réactions très agressives, des réactions d'incompréhension, de colère, de misogynie, en fait ! On reçoit beaucoup d'insultes en fonction de nos slogans et puis des choses comme : « retournez chez vous » « retourne faire la vaisselle » « retourne faire le ménage » ! Certes, c'est un peu de la provocation, mais ça veut dire quelque chose.
Le sexisme est une oppression politiquement correcte, souvent sous couvert d'humour. Sauf que l'humour est toujours tourné vers les mêmes personnes ! On ne se moque jamais des hommes blancs hétérosexuels parce qu'ils sont dominants et qu'on se moque des dominés ! La non mixité fait ressortir tout ça.
Je suis peut-être un peu trop naïve, mais je me dis aussi que des gens qui ont des réactions spontanées extrêmement violentes ou agressives pourront peut-être en arriver à se demander : qu'est-ce qui me choque autant, qu'est-ce qui m'agresse autant pour que j'aie cette réaction-là ? Sur les hommes avec lesquels nous avons l'habitude d'en discuter, ça marche clairement !
Comment réagissent-ils, ceux qui souhaiteraient participer à votre marche ?
Toutes les personnes que j'ai rencontrées qui ont vécu la non mixité, soit en réunions, soit en marche, ont d'abord une réaction de rejet parce que la non mixité c'est se couper d'une partie de la population. C'est sûr, et c'est pour ça que c'est vraiment un outil, pas une finalité en soi.
Les réunions non mixtes, par exemple, permettent aux femmes de s'exprimer alors qu'en réunions mixtes, c'est souvent difficile pour elles de prendre la parole. Ça permet de prendre conscience à plusieurs, que bien sûr, ça peut faire partie de notre caractère d'être timide mais que c'est aussi construit parce qu'on est des femmes ; on nous a appris à nous taire.
En ce qui concerne les garçons, ils comprennent à partir du moment où on leur donne des exemples d'agressions sexistes qu'on subi quotidiennement et dont ils ne sont pas du tout conscients, qu'ils n'imaginent même pas ! Alors que nous, ça nous arrive tout le temps d'être héler dans la rue ou qu'on nous demande notre numéro de téléphone.
Ils prennent conscience qu'on vit une vie qu'ils ne vivront jamais : la peur de rentrer seule le soir, la peur de l'agression sexuelle quelle qu'elle soit, les réflexions permanentes, les regards sur notre corps, même le fait qu'on nous touche ne serait-ce que le bras ; combien de fois on m'a touché le bras dans la rue comme ça des gens que je ne connaissais pas ? Un corps de femme, c'est disponible, quoi ! C'est touchable ! Et du coup, je pense qu'avec cette prise de conscience, ils comprennent que notre colère est liée à un vécu qu'eux ne peuvent avoir, qu'on la sent dans notre chair ! Une marche non mixte c'est aussi une manière de se réapproprier notre dignité, de dire : oui, on est des femmes, on est là, et alors ? Vous allez faire quoi ?
« Ils prennent conscience
qu'on vit une vie
qu'ils ne vivront jamais ! »
Pourquoi une marche nocturne ?
Parce qu'on sait que c'est surtout la nuit que les femmes ont peur de sortir. La nuit, c'est un moment où on a particulièrement peur de se faire agresser notamment parce que c'est souvent un moment festif et du coup les gens sont plus désinhibés ; on se dit : la nuit il peut tout arriver ! C'est l'image qu'on a alors qu'on sait que les viols, par exemple, ça arrive n'importe quand et pas forcément dans la rue !
Mais pour les agressions sexuelles, c'est très net. « Qu'est-ce que tu faisais toute seule la nuit ? » On entend ça tout le temps ! Parce que dans l'imaginaire collectif, les femmes ont moins leur place dans la rue la nuit ; c'est normal qu'elles se fassent agresser, elles n'ont qu'à pas être dans la rue la nuit !
Il y a cette idée-là qui est vachement diffusée, sauf que nous, on est des humains comme les autres, et qu'on a aussi envie de faire la fête, on a aussi envie de pouvoir sortir... Et bien, pourtant... les filles ne veulent pas rater le dernier métro pour pas rentrer à pied chez elles ou ne veulent pas rentrer seules... ou parfois, elles ne sortent pas parce qu'elles ont peur. Et c'est grave, quoi ! Il y a toujours cette culpabilisation des femmes alors qu'il n'y a pas d'éducation faite aux hommes pour leur apprendre ce qui se fait et ce qui ne se fait pas.
Par exemple, à la fac, nous avons eu un cours sur la liberté des élèves et notamment leur liberté vestimentaire... Pourquoi interdit-on à des filles de venir avec des jupes courtes ou des décolletés ? Parce que c'est un trouble à l'ordre scolaire c'est-à-dire que des garçons pourraient réagir à leurs tenues, mais du coup, ce sont les filles qui sont punies et pas les garçons. Ce n'est pas comme ça qu'on éduque les enfants ! Et du coup, ça se ressent quand ils sont adultes, évidemment ! Je pense qu'il y a même plein d'hommes qui n'ont pas du tout conscience que ce qu'ils font ne se fait pas !
On parle beaucoup de harcèlement notamment dans la rue justement ou dans les transports, est-ce que ce n'est pas en train d'évoluer ?
C'est bien d'en parler ! C'est vrai qu'on voit des choses comme le Projet Crocodile ou Stop Harcèlement de Rue... Ça se développe... Même le féminisme, on en parle plus maintenant que quand j'ai commencé à militer. Après... c'est important d'en parler mais dans les faits ça prend longtemps et je pense qu'il y a tellement encore de travail à faire que ça ne me suffit pas !
La semaine du féminisme à l'université, c'est un moyen pour faire bouger les choses ?
Les organisations dont on fait partie ont toutes dans leurs principes d'être anti-sexistes. Bien ! C'est écrit ! Mais un moment, il faut le faire vivre aussi ! Les semaines du féminisme qu'on fait depuis quelques années, ça nous permet de mettre cette question-là dans l'espace public, de la rendre visible et de provoquer une discussion, un échange. Il y a beaucoup de filles qui participent et des garçons aussi. Le sexisme est une oppression envers les femmes mais c'est aussi une oppression envers les hommes homosexuels... d'ailleurs on va essayer d'élargir notre semaine du féminisme aux questions LGBTI parce que c'est lié.
Propos recueillis par Geneviève ROY
Pour aller plus loin :
La semaine du féminisme à Rennes 2 se déroulera du 30 mars au 3 avril. Elle est organisée par Solidaires Etudiant-e-s, la CNT, le RUSF, le collectif antifasciste rennais, des militantes de l'UNEF et des individu-e-s à titre personnel. Elle n'est pas réservée aux étudiant-e-s mais est ouverte à tout public.
Quatre temps forts sont proposés en partenariat avec des associations locales :
Lundi 30 mars à 18h 15 : conférence/auto-formation sur l'humour oppressif animée par Egalitariste, amphi D1
Mardi 31 mars à 18h 15 : conférence/débat animé par le CLASHES, collectif de lutte anti-sexiste contre le harcèlement sexuel dans l'enseignement supérieur, amphi L1
Jeudi 2 avril à 18h 15 : présentation de l'histoire du féminisme de la deuxième vague en France et à Rennes et échanges sur les études en histoire des femmes/du féminisme/du genre à Rennes 2 animé par l'association Histoire du féminisme à Rennes, amphi A1
Vendredi 3 avril à 18h 15 : conférence animée par Al Houda sur la stigmatisation des femmes voilées dans l'espace public, amphi L1