Peut-être l'avez-vous déjà remarquée dans l'arrière-salle d'un grand café rennais, place de la République, où elle aime travailler, un livre ouvert devant elle et un bloc-notes à portée de main. Ou peut-être l'avez-vous croisée au parc du Thabor à la tête d'un groupe de visiteurs.
Anne-Isabelle Gendrot est guide-conférencière ; un métier qu'elle a choisi tardivement suite à ce qu'elle appelle sa « grosse métamorphose ». Mais dit-elle « être une femme pas toute jeune dans ce métier-là, n'est pas un handicap, au contraire ! »
Anne-Isabelle n'a obtenu son Master que l'an dernier et goûte aujourd'hui l'excitation de commencer une nouvelle vie dans la Bretagne de ses grands-parents où elle venait, enfant, passer ses vacances.
Des vies, Anne-Isabelle Gendrot en a déjà eues plusieurs. « J'ai été pendant vingt ans technico-commerciale dans l'industrie – raconte-t-elle – j'étais la seule femme dans une entreprise qui ne voulait pas en embaucher ! » Anne-Isabelle la parisienne « a atterri à Angers », où sont nés ses trois enfants, « sur un coup de tête ». Puis, il y a huit ans, lui vient l'envie de retrouver la Bretagne de ses ancêtres, et elle déménage à Rennes. « Je suis entrée dans la fonction publique un peu par accident ; je ne m'en suis jamais remise » plaisante-t-elle.
A tel point que voilà six ans, elle demande un congé formation. Sans projet particulier, elle s'inscrit à la fac. « Je n'avais aucun projet, juste l'envie de changer de boulot. Et comme je me sentais inculte, je me suis dit qu'une petite année d'Histoire de l'Art me remplirait un peu le crâne ! Et puis, je me suis retrouvée au milieu de gamins de dix-huit ans alors que j'en avais quarante-cinq, c'était un peu dur, mais je suis tombée dans la marmite ! »
« Tous ces trucs en « graphes » très pompeux
qui faisaient rêver
mes jeunes camarades »
Sa première année universitaire finie, Anne-Isabelle reprend son travail à mi-temps et poursuit ses études avec enthousiasme. En juin 2015, elle obtient son Master et devient guide-conférencière. Une activité dans laquelle elle s'est lancée un peu par hasard. « En deuxième année, j'avais beaucoup de mal à mémoriser mes cours – se souvient-elle – et comme notre comité d'entreprise cherchait de nouvelles activités, j'ai eu l'idée de proposer des visites guidées ; ça m'obligeait à travailler pour expliquer aux autres et donc à comprendre. » Ses visites rencontrent immédiatement un beau succès et Anne-Isabelle sait désormais ce qu'elle va faire.
« J'ai mené les trois de front pendant quatre ans » résume l'énergique guide-conférencière qui partage donc son temps entre un emploi à temps partiel, ses études à la fac et sa petite entreprise créée dès 2011.
« Les enseignants m'ont un peu snobée – dit-elle – parce que j'étais déjà guide et que dans le milieu universitaire, ce métier n'a pas une bonne image. Ils nous préparaient aux métiers de muséographes, de scénographes, tous ces trucs en « graphe » très pompeux qui faisaient rêver mes jeunes camarades qui pour la plupart aujourd'hui bossent dans des châteaux et font des métiers de médiateurs dont ils ne voulaient pas ! » « Mais - ajoute-t-elle – c'est cela la réalité de notre métier et, je m'en fiche, parce que aujourd'hui, je m'éclate ! »
« Je suis tombée amoureuse de Rennes
qui souffre d'un déficit de connaissance
et d'attachement »
Un an après l'obtention de son diplôme, Anne-Isabelle est toujours salariée à temps partiel mais développe de plus en plus son activité de guide indépendante. Pour la saison estivale 2016, elle a pris un congé de cinq mois pour se consacrer à son entreprise dont elle pense pouvoir vivre correctement très bientôt. Et loin d'être un handicap, son âge et ses expériences professionnelles passées sont plutôt un atout pour elle. « J'avais déjà de la bouteille – dit-elle avec humour – j'ai une solide formation commerciale et je sais comment communiquer, après c'est le bouche à oreille et l'appui d'un certain nombre de guides comme le Petit Futé, le guide du Routard ou le City Guide de Rennes qui m'ont fait connaître. »
Elle insiste sur ce qui fait sa différence : des commandes en direct (sans passer par des offices de tourisme ou des agences), une programmation assez large avec un maximum de visites en extérieur sur toute l'année et l'aspect convivial qu'elle aime y apporter. « J'essaie de faire des choses originales et conviviales – explique-t-elle – j'aime bien faire interagir le public et je propose toujours un pot en fin de visite. Mes clients sont en majorité des femmes, entre quarante et cinquante ans, souvent célibataires, parfois un peu isolées, voire nouvellement arrivées à Rennes, et c'est aussi cette convivialité-là qu'elles recherchent. »
Et comme le dit le site de la guide-conférencière : « on n'est pas là pour apprendre par cœur l'arbre généalogique d'Anne de Bretagne, mais pour apprivoiser notre patrimoine, s'émerveiller et passer du bon temps ».
Alors pour répondre à toutes les envies, Anne-Isabelle travaille en permanence sur de nouveaux projets. « Comme j'ai commencé un peu tard – dit-elle – je ne veux pas m'éparpiller. Mais je travaille sur toute la Bretagne. » Et sur Rennes en particulier où elle a déjà construit une vingtaine de balades différentes.
« Je suis tombée amoureuse de Rennes - dit-elle – Finalement, c'est une ville que je connaissais pas. Je venais passer mes vacances à la Couyère, chez ma grand-mère, quand j'étais petite, mais on passait à la gare, on prenait la micheline jusqu'à Janzé et on ne voyait jamais la ville. En revenant en 2008, j'ai découvert une ville extraordinaire qui malgré ses deux mille ans d'Histoire souffre d'un déficit de connaissance et d'attachement alors que nous avons tout en termes de patrimoine. On peut y travailler sur toutes les strates du temps et toutes les thématiques. Dès que j'ai le temps, je creuse et je crée de nouvelles balades. »
« J'ai grandi avec l'image
d'un féminisme assez agressif ;
je ne me sentais pas concernée »
Anne-Isabelle se sent bien dans sa nouvelle vie. « C'est un métier très féminin – analyse-t-elle – même si les femmes finissent visiblement par arrêter au bout de dix ou quinze ans pour faire autre chose parce que c'est sûrement compliqué d'avoir une vie de famille en même temps. »
A 51 ans, elle réalise qu'elle n'a jamais été féministe et que c'est peut-être dommage. « J'ai grandi en région parisienne – raconte-t-elle – on habitait dans la banlieue rouge dans les premiers HLM des années 65/70 avec des WC, la machine à laver et l'été on venait chez pépé et mémé à la Couyère où il fallait faire pipi dans le jardin. Je croyais que je ne comprenais pas ce que disait ma grand-mère parce qu'elle était vieille, j'ai compris beaucoup plus tard que c'était juste parce qu'elle parlait en gallo. » Et lancée sur ses souvenirs, la guide habituée à conter des histoires de poursuivre : « j'ai grandi dans une famille communiste, je distribuais l'Humanité le dimanche en promenant mon chien, mes parents m'obligeaient à aller aux fêtes de la Jeunesse Communiste et mon oncle me faisait lire le Capital. Mais il n'y était jamais question de féminisme. »
« En fait, je dois être assez représentative de ma génération – poursuit Anne-Isabelle – j'ai grandi avec l'image d'un féminisme assez agressif. Je ne me suis jamais sentie concernée et donc jamais investie, c'est sûrement un tort parce que j'imagine que toute femme devrait participer. Et quand j'entends mes petites camarades de la fac je vois bien qu'il y a des combats à mener aujourd'hui ! » Des constats qui devraient amener la guide-conférencière à se pencher davantage sur l'histoire des femmes et peut-être à concocter de nouvelles balades. « C'est une grosse lacune – reconnaît-elle – il faut que je creuse. Anjela Duval, par exemple, est déjà dans ma pile de choses à étudier... »
Geneviève ROY
Pour aller plus loin et découvrir les balades proposées par Anne-Isabelle Gendrot : voir son site. On peut aussi s'inscrire pour recevoir la newsletter avec les nouvelles propositions de visites.