Dans une première vie, elle fut enseignante – de français en Colombie, d'espagnol en France – et dans une deuxième elle s'est reconvertie vers l'esthétisme et le bien-être. Longtemps, elle vécut en pleine forêt amazonienne puis à Bogotá.
Aujourd'hui, Esmeralda Guzman pratique la relaxologie à Rennes et préside une association de soutien à la reforestation de son pays natal. Elle dit avoir un « parcours atypique » et se sent désormais non pas Colombienne, mais « amazonienne ».
En espagnol, sa langue natale, son prénom signifie émeraude. Mais plus qu'une référence à la pierre précieuse, c'est en hommage à une sénatrice que sa famille l'a ainsi appelée à sa naissance en 1958. « C'était vraiment inouï à l'époque qu'une femme puisse atteindre les hautes sphères du monde politique » se réjouit aujourd'hui Esmeralda Guzman.
« Avant je me disais Colombienne – dit-elle encore – aujourd'hui je dis que je suis Amazonienne. » Une identité qu'elle revendique comme le fait d'être « métisse de sang indigène et de sang noir » mais aussi de sang espagnol. Lorsque, jeune fille, elle s'installe à Bogotá pour ses études, elle cache ses origines rurales parce que « ça faisait plouc » ; aujourd'hui, elle les affiche fièrement.
Une enfance sauvage en mode Mowgli !
C'est à l'occasion d'une campagne de colonisation menée par le gouvernement que les parents d'Esmeralda, tous deux enseignant-e-s, s'installent dans une des régions les plus éloignées et les plus sauvages du pays : l'Amazonie colombienne. « J'ai vécu mon enfance dans la vraie jungle » plaisante-t-elle.
Sur les bords du fleuve Caqueta à la fin des années cinquante, on construit « les maisons comme les indigènes sur pilotis pour se protéger des serpents et des tigres ». On vit en autarcie et lorsque la petite fille - âgée de quelques mois seulement quand ses parents se lancent dans l'aventure - ne peut plus téter sa mère, trop stressée pour l'allaiter, c'est à des petites bananes sauvages « pleines de fer et d'oligoéléments » cuites et écrasées dans l'eau de la rivière qu'elle doit sa survie. Soixante ans plus tard, elle rit en racontant son enfance « digne de Mowgli » !
Esmeralda est « fière et même très fière d'avoir eu cette enfance » ; elle a eu du mal à comprendre combien l'adaptation à ce milieu rude avait pu être difficile pour sa mère et les femmes de sa génération. Femme de la deuxième génération, elle a appris à aimer ce pays où sa famille a finalement pris racine.
Avec beaucoup d'admiration dans la voix, elle se remémore les engagements de son père, devenu une « sorte de notaire » dans sa petite communauté : « il rédigeait très bien, il s'exprimait très bien ; c'était un bienfaiteur qui s'est investi énormément pour le bien commun ». Désormais, quelque part en Amazonie, un petit village porte le nom de la famille, Puerto Guzman, en hommage à ce père tant admiré.
Du développement personnel au CAP d'esthétique
Pourtant, à l'âge de construire sa vie, Esmeralda n'a aucune envie de rester en Colombie. Riche d'études de français, elle débarque comme assistante d'espagnol à la fin des années 80 à Nantes d'abord puis à Rennes où elle rencontre « un charmant assistant espagnol » qu'elle épouse.
Ainsi démarre sa deuxième vie ; les jeunes époux sont lecteurs à la fac de Villejean et en profitent pour poursuivre des études de Master 2 en « didactiques des langues et des cultures » à la Sorbonne. Huit ans plus tard, Esmeralda, enceinte, a brutalement envie de rentrer en Colombie. Une nouvelle vie dans son pays natal où elle enseigne mais envisage aussi une reconversion professionnelle.
C'est au cœur des « valeurs familiales » que la jeune femme puise sa nouvelle passion. Elle quitte l'enseignement pour se recentrer sur des notions qui l'ont toujours nourrie : le développement personnel, une alimentation saine, le bien-être... Elle entreprend une formation en réflexologie plantaire et soins corporels de bien-être.
Rentrée en Bretagne, huit ans plus tard, Esmeralda veut exercer dans ce domaine mais doit d'abord passer par un diplôme d'état. Elle se lance « avec grande fierté » dans un CAP d'esthétique. « Je me forme en permanence depuis seize ans - dit-elle encore - j'estime que la beauté fait partie du bien-être des femmes. »
Son cabinet propose désormais les soins d'esthétique classiques mais surtout de la réflexologie et de la relaxologie, le dernier atout de celle qui avoue « une soif d'apprendre » permanente. Nichée au dernier étage d'un immeuble à deux pas de la Place de Bretagne, elle reçoit ses clientes, devenues un peu ses amies, dans les odeurs de parfums propres à la détente. On se déchausse, on boit une tisane ; des pétales de roses ornent le dessus de la table basse et des dessins d'enfants s'affichent aux murs.
Et un jour, le haut débit...
Et elle profite aussi de cette parenthèse zen. « Quand je fais mes soins, c'est ma récréation – s'enthousiasme-t-elle – ça me détend moi aussi parce que je suis vraiment là, que j'oublie tout. Ça me libère la tête ! » Parce que depuis un an, Esmeralda a une nouvelle vie qui lui demande beaucoup de temps et d'énergie. Elle est présidente de l'association SelvaViva.
Tout commence le jour où Esmeralda fait connaissance avec « le haut débit ». Désormais, elle peut communiquer facilement avec sa famille à dix mille kilomètres de là. Chaque dimanche soir elle s'entretient avec son frère pendant une heure, parfois deux. Il lui raconte sa vie là-bas, comment depuis que leur père est devenu vieux, il a repris l'exploitation familiale et surtout comment il l'a modifiée.
« Il y a eu beaucoup de dégâts causés par l'installation des colons » reconnaît Esmeralda qui précise : « à l'époque on était loin d'imaginer qu'on nuisait à l'environnement. Depuis il y a eu une prise de conscience et beaucoup, comme notre famille, ont décidé non seulement d'arrêter de déboiser la forêt primitive mais aussi d'entamer une reforestation ».
Fini l'élevage laitier, la famille Guzman transforme son exploitation en pépinière et favorise la reconversion des petits paysans notamment par une aide financière gérée par la fondation Itarka.
Procès symbolique et réelle sensibilisation
Chaque semaine, après ses longues conversations téléphoniques, Esmeralda a du mal à trouver le sommeil. Elle se demande comment aider sa famille et les voisins qui souhaitent sauver la forêt amazonienne. « Mon frère m'a imprégnée même si à aucun moment il ne m'a demandé de l'aider – se souvient-elle – Je me disais : je travaille ici comme une fourmi et ça ne m'apporte pas entière satisfaction ; je dois faire quelque chose là-bas ! » Et puis, à l'occasion du procès symbolique contre Monsanto en octobre 2016, son frère vient en France accompagner l'un de ses voisins paysans témoins à la Haye.
L'occasion pour toute la petite famille d'organiser des conférences-rencontres de sensibilisation à Rennes. Devant l'enthousiasme suscité par la thématique, Esmeralda décide de créer une association pour faire le pont entre la France et l'Amazonie.
Avec SelvaViva, elle veut sensibiliser les enfants et les adolescents aux questions environnementales à travers notamment des actions en milieu scolaire, mais aussi recueillir des fonds pour permettre à la fondation Itarka de soutenir les projets des paysans colombiens. « Toute personne qui passe par moi ne reste pas indemne » plaisante-t-elle évoquant ses clientes et leurs enfants – des filles souvent insiste-t-elle – qui deviennent relais de SelvaViva.
Une seule frustration : ne pas avoir son permis de conduire !
« Je suis en train de constituer une équipe d'animateurs-trices bénévoles – dit Esmeralda – et je souhaite que le plus souvent possible des enfants et des adolescents animent les ateliers avec nous. Je rêve d'un échange entre des élèves d'ici et des élèves de là-bas. Ça aiderait chacun à prendre conscience de l'importance de l'environnement. »
Depuis peu l'état colombien semble décider à aider les paysans qui souhaitent mettre fin aux cultures de coca. Esmeralda espère qu'ils seront ensuite inciter non pas à faire de l'élevage mais bien de la reforestation. En attendant, la famille Guzman, ici et là-bas, prépare le terrain pour favoriser ces actions.
« J'ai un parcours atypique parce que j'ai toujours fait des choix tardifs – conclut Esmeralda – J'ai eu un enfant à 37 ans, je me suis reconvertie à 40 ans ; j'ai même tenté de passer mon permis de conduire à 45 ans ; je n'ai eu que le code et j'ai arrêté. C'est ma seule frustration ! J'ai appris à aimer mon pays depuis que je suis en France et finalement je crois que le fil conducteur de ma vie, c'est cette appartenance à un lieu. »
Aujourd'hui, elle ne retourne en Colombie que tous les quatre ou cinq ans, mais dit-elle « j'y suis tous les jours »... grâce au haut débit !
Geneviève ROY